Maximilien Robespierre est sans doute le personnage le plus emblématique de la Révolution en tout cas celui qui incarne ses heures les plus tragiques et les plus sanglantes. La nouvelle biographie qui lui est consacrée, en 250 pages abondamment illustrées par les archives de la BNF, esquisses, dessins, manuscrits, est particulièrement passionnante. Face à un personnage qui déchaîne les passions encore aujourd’hui, elle s’efforce de présenter un point de vue aussi impartial que possible, fondé sur la seule exposition des faits. La réussite est totale.
Avocat à Arras, Robespierre à ses débuts n’a rien d’un exalté. Au contraire, jusqu’à la révolution c’est un personnage plutôt cultivé, ancien élève de Louis-le-Grand à Paris, classique dans ses idées, royaliste comme presque tout le monde à l’époque. Lecteur et admirateur de Jean-Jacques Rousseau, il ne brille pas par son talent oratoire, se spécialise dans la défense des faibles et des causes perdues. Du portrait psychologique qui en est fait se dégage celui d’un homme réservé, austère et ambitieux, ayant peu d’amis mais attaché à son frère Augustin et à sa sœur Charlotte. Elu aux Etats-Généraux de 1789 de sa ville natale grâce à l’entregent que lui vaut sa profession d’avocat, il se montre discret et plutôt modéré au début des événements, suivant le mouvement bien davantage qu’il ne l’anime, méfiant envers Louis XVI mais fidèle aux principes de la monarchie constitutionnelle. Il intervient peu dans les débats de la Constituante, se positionnant plutôt en observateur qu’en acteur. Sa vision est plutôt celle d’un humaniste, résolument hostile à la guerre et à toute politique de conquête, à l’esclavage et à la peine de mort, défenseur de la propriété privée, de la religion (hostile à la déchristianisation), partisan visionnaire de l’école obligatoire… Il est tellement sage qu’il contribue à obtenir que les députés de la Constituante dont lui-même, ne soient pas rééligibles à l’Assemblée nationale en septembre 1791 afin de favoriser un renouveau et brassage démocratique
Alors, par quel sortilège de la nature humaine devient-il l’Incorruptible? Selon l’auteur, la fuite de la famille royale et son arrestation à Varennes a représenté chez lui un tournant. Il était désormais convaincu que « Louis XVI refusait de partager ses pouvoir avec l’Assemblée constituante et que le processus révolutionnaire était donc appelé à se poursuivre après l’adoption de la Constitution. Dénonçant la duplicité du premier fonctionnaire public, il s’opposa à la majorité de ses collègues, qui, pour préserver le monarque et ne pas ruiner les chances de la Constitution en voie d’achèvement, préférèrent mentir à l’opinion en affirmant qu’il ne s’était pas enfui mais qu’il avait été enlevé par les ennemis de la Révolution. » Robespierre est probablement sincère dans sa passion de la vertu, son aversion envers la dissimulation, la corruption et le mensonge. Alors, comment est-il passé d’une intégrité de bon aloi au tyran ?
A l’Assemblée nationale – qui succède à la constituante, il n’est plus député. Cependant, ses discours au club des Jacobins le rendent extrêmement populaires dans la foule parisienne dans le contexte de la guerre et de la coalition européenne contre la France. L’auteur montre parfaitement la logique de sa radicalisation et de son succès. Robespierre est entraîné dans une forme de paranoïa qui consiste à se focaliser jusqu’à l’obsession dans la dénonciation des traitres et des scélérats – les aristocrates, les modérés et autres ennemis de la révolution. Cette violence verbale et stratégie des boucs émissaires fait de lui l’idole d’une foule qui souffre des privations. Et lui même, personnage à l’origine plutôt effacé, se laisse griser par son succès. Il entre dans une surenchère paranoïaque, fustigeant violemment les félons qu’il voit partout tandis que l’ennemi menace les frontières.
Elu de Paris à la Convention en septembre 1792, il se fait le champion des sections parisiennes et des sans culottes avec ses amis Saint Just et Couthon. A ses yeux, la Convention n’a même pas à juger Louis XVI mais à l’envoyer à l’échafaud quoi qu’il arrive pour conforter la Révolution. Avec le soutien du (prétendu) peuple les sections parisiennes qui font pression sur l’assemblée, le leader des Montagnards s’identifie à la Révolution et voit dans toute réserve à son égard, toute modération, l’expression de la félonie criminelle. Maître du Comité de Salut Public, il expédie à l’échafaud ses adversaires Girondins, puis les Enragés hébertistes, et sans scrupule ses anciens amis intimes, les Indulgents, Danton et Camille Desmoulins. La Terreur bat son plein, après la loi des Suspects qui permet sur une simple suspicion de pensée contre-révolutionnaire, d’envoyer à la guillotine, la loi de Prairial qui prive les suspects de tout droit à la défense devant le tribunal révolutionnaire. Les charrettes ne désemplissent pas. Des dizaines de milliers de têtes tombent sous le couperet. Robespierre ordonne ou approuve les massacres comme celui de Vendée ou de Lyon.
Un psychopathe? L’auteur ne formule pas ce mot. Lors de la fête de l’Etre Suprême, il se met en scène comme grand prêtre de la vertu. Le pouvoir absolu rend absolument fou. Mais la fin est proche. Et la suite bien connue. Le 10 Thermidor (juillet 1794) est un moment emblématique de l’histoire de France – l’un de mes préférés. La révolution, paraît-il, dévore ses enfants. A l’issue de cette lecture passionnante, on a envie de le dire autrement: le pire des salauds a payé pour ses crimes abominables. La tête du l’avocat médiocre devenu une brute tortionnaire est tombée à son tour. Justice est faite, même si ses justiciers – ayant retourné leur veste à temps – sont aussi criminels que lui.
MT