Si vous n’avez pas peur des très grosses biographies, celle-ci est faite pour vous. Elle est à la dimension qu’a occupée Pierre Laval dans la vie politique française essentiellement entre 1914 et 1945. Proclamé « Homme de l’année » par le magazine Times en octobre 1931 à la suite d’un voyage réussi outre-Atlantique, très ancré à gauche à ses débuts, pacifiste convaincu, maire sans interruption de 1923 à 1944 de la ville d’Aubervilliers, député puis sénateur, plusieurs fois ministre et pas des moindres (deux fois aux Affaires étrangères, une fois à l’Intérieur, à la Justice, au Travail ou aux Colonies, sans parler d’un secrétariat d’état), président du conseil à quatre reprises avant l’épisode de l’Occupation, comment et pourquoi un tel homme, à qui la réussite politique s’alliait à une insolente réussite financière, a-t-il pu terminer ses jours à Fresnes, fusillé en octobre 1945? Lorsque vous serez arrivés au bout des 1100 pages de ce livre (hors notes et annexes), vous en saurez probablement un peu plus sur celui que d’aucuns traitaient péjorativement de « maquignon ».
Pierre Laval a déjà fait l’objet de multiples biographies dont celle de Jean-Paul Cointet publiée chez Fayard. Bien que l’intéressé, du fait de la place qu’il a occupée à Vichy sous l’Occupation, soit présent dans toutes les études ou ouvrages relatifs à cette période de notre histoire, Renaud Metz a réussi le tour de force de revisiter le sujet de fort brillante manière. Du fait de l’éloignement croissant de la période, des archives nouvelles sont désormais disponibles et l’auteur y a abondamment puisé notamment en ayant eu accès à des archives privées (fondation Josée et René de Chambrun en particulier) mais également au sein des archives nationales (Haute-cour de Justice, Préfecture de Police, Ministère des affaires étrangères, Service historique de la Défense, National Archives à Londres, Centre de documentation juive contemporaine, etc,… la liste n’étant pas exhaustive). S’ensuit un ouvrage extrêmement complet où tous les aspects de la vie du « bougnat » comme on le surnommait sont abordés de manière très précise.
Pierre Laval naît à Châteldon, un petit village d’Auvergne, le 18 juin 1883. Ses parents, aubergistes du village, ne sont ni riches ni véritablement pauvres. Même au sommet de sa fortune, Pierre Laval se présentera toujours comme un homme du peuple et ce dernier le lui rendra bien. Avant de devenir la personnalité qu’on connaît, il vit des années de vaches maigres et de dénuement. Jeune avocat débutant à Paris en 1909, il est l’avocat des pauvres, et souvent, il ne fait pas payer ses clients. En 1911, l’affaire Manhès, du nom d’un ouvrier anarchiste suspecté de sabotages sur la voie ferrée près de Chosiy-le-Roi, lance le jeune avocat qui obtient l’acquittement de son client* de fort belle manière. La famille et les camarades de Manhès lancent alors une souscription pour le dédommager. Celle-ci rapporte environ 50 000 francs soit 170 000 euros actuels. La soupe devient bien meilleure chez les Laval. Très populaire chez les ouvriers du nord de Paris, il est rapidement surnommé «Pedro» et l’affaire Manhès sera pour lui un excellent argument publicitaire. Ouvertement de gauche, voire d’extrême-gauche bien que ce qualificatif n’ait pas grand-chose à voir avec ce que nous connaissons, il devient député le 10 mai 1914 dans la circonscription de Saint-Denis, au nord de Paris. A l’occasion de cette élection preuve de la virulence et de la violence des mœurs politiques sous la IIIème République, La Libre Parole l’attaque sur son apparence physique en le traitant de … youpin !!! Laval, rhétoricien hors pair, s’en sort magnifiquement. Député, il échappe à la grande boucherie de 14-18. A la Chambre, il fait connaissance d’un jeune député originaire du sud-ouest, un certain Vincent Auriol. Ce dernier lui reconnait une précoce aptitude à la combine parlementaire. Pierre Laval est inscrite au carnet B du fait de ses opinions ouvertement pacifistes en 1911. il voit son inscription radiée par le Préfet de police deux semaines avant l’attentat de Sarajevo. Louvoyant habilement entre ses opinions pacifistes, il hait la guerre, et l’adhésion à l’Union sacrée, Pierre Laval ne tarde pas à se faire un nom dans le microcosme politique. Il se rapproche de Clémenceau et de son jeune chef de cabinet, Georges Mandel. Est-ce les fonds secrets mis à la disposition du Tigre qui sont à la base de la fortune personnelle de Laval ? Difficile d’y répondre mais dès cette époque, il gardera un lien étroit avec Mandel. L’assassinat de ce dernier par la Milice en 1944 fera-t-elle prendre conscience humainement et personnellement à Laval des crimes qu’il a alors couverts? La question est posée mais, aux dires de tous ses proches il sera très affecté par l’action de la tristement célèbre Milice.
L’ouvrage regorge d’informations les plus intéressantes les unes que les autres qui aident à mieux comprendre pourquoi et comment Pierre Laval se compromettra de la manière qu’on connaît vingt ans plus tard et deviendra, au fil de l’Occupation et à la Libération, l’homme le plus haï de France. Pragmatique, charmant et charmeur, roublard, maquignon comme on l’a souvent décrit, ce n’était pas un homme de dossier. Le temps qui passe le verra adopter une forme de défiance vis-à-vis de l’opinion publique et de la démocratie. Mais il a la baraka, comme le montre l’échec de l’attentat dont il est victime en août 1941 à Versailles. Blessé grièvement par Pierre Colette, un jeune camelot du roi, il sollicitera et obtiendra la grâce de son assaillant qui s’éteindra, lui, en 1995. Après l’armistice du 11 novembre 1918, ses talents de profiteur de guerre s’épanouissent pleinement. A droite, François de Wendel admire « une fripouille de talent ». À l’avocat des pauvres, souvent non rémunéré, succède un avocat habile et âpre au gain. Sa vénalité ne cessera de se confirmer mais sa fortune ira croissant. Vivant assez modestement lorsqu’on connaît sa fortune, toujours vêtu d’un éternel costume bleu avec une cravate blanche, il nouera une relation fusionnelle avec sa fille Josée qui sera sa muse dans les milieux mondains. Progressivement, le pacifiste qu’il ne cessera jamais d’être en bon disciple d’Aristide Briand qu’il est, l’homme de gauche laissera aussi la place à un homme profondément anti-communiste. Sa politique déflationniste ayant eu pour conséquence de faire monter le chômage, sa popularité s’écroule. Il vivra son éviction du Conseil en janvier 1936 comme un coup de poignard dans le dos et n’aura de cesse de faire payer les artisans de sa déconfiture. Il saura s’en souvenir le 10 juillet 1940 quand il mettra à bas la IIIème République dans les circonstances que nous connaissons. Ayant la certitude, avec la baraka qui est la sienne et qui l’a si bien servie jusqu’à présent faisant de lui un des chantres du régime, d’avoir raison contre tous, il va tirer un amer orgueil de son impopularité. Ca le conduira dans une voie sans issue quelques années plus tard.
Je laisse au lecteur le soin de découvrir de quoi ont été faites les trente années d’une vie politique intense. Il est fort dommage, mais pouvait-il en être autrement, que son procès tienne plus d’un simulacre de justice que d’autre chose et ait été bâclé. La Libération était assez agitée et il fallait des têtes à l’opinion publique. Comme l’écrit Renauld Meltz : « Ceux qui assistent au procès regardent Laval comme un monstre. Sa laideur fait signe, plus que jamais. C’est une sorte de cauchemar national, la haine collective de soi, que les Français observent avec une fascination malheureuse ; ses saillies, ses succès oratoires leur permettent de voir briller au fond de leur mauvaise conscience, quelque raison de s’aimer, encore… ». La lecture de cette biographie éclairera tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de notre pays au XXème siècle, qui cherchent à comprendre ce personnage si décrié et pourquoi et comment le vainqueur de 1918 a pu sombrer d’une telle manière vingt ans plus tard. Dans ce naufrage, Pierre Laval apparaît comme un homme politique comme les époques en recèlent tant. Je ne ferai pas l’affront de faire des comparaisons avec la clique actuelle bien que certains noms me viennent spontanément à l’esprit. Je crois qu’il était sincèrement patriote mais une culture défaillante, il lisait très peu, et un égo et une confiance en soi surdimensionnés, ou du moins qui gagneront en importance au fil des années, supplanteront chez lui le bon fond de l’homme du peuple qu’il était et l’amèneront à des compromissions regrettables. On ne peut qu’espérer que des historiens, avec toute la rigueur requise, puissent nous éclairer grâce aux archives désormais disponibles alors que nous approchons des 100 ans de la catastrophe de 1940. Bonne lecture. H