Demain sort en librairie la biographie de Philippe Séguin par l’historien M. Arnaud Teyssier, qui l’a bien connu et fut l’un de ses conseillers à la présidence de l’Assemblée nationale. Je recommande chaleureusement cet ouvrage passionnant et fondamental pour la compréhension de l’histoire politique française de ces trente dernières années. Cette biographie est la première publiée après le décès de Philippe Séguin, donc complète, portant sur l’ensemble de sa vie.
Séguin est né à Tunis en 1941, dans une famille issue d’un milieu modeste. La mort de son père sur le champ de bataille, engagé volontaire dans les forces de la France Combattante qui luttent contre l’armée hitlérienne pour la libération de la France, alors qu’il n’avait que deux ans, est l’événement fondateur de sa vie. Elle est la clé de sa passion de la France qui imprègne son engagement et sa vie publique.
Il connaît, lors de son rapatriement en France, à la suite de l’indépendance de la Tunisie en 1956, une période d’adaptation difficile, sur le plan matériel. Cependant, il réussit de brillantes études: histoire, Sc Po Aix-en-Provence, l’Ena. Son rang à la sortie de cette école lui permet d’accéder à la prestigieuse Cour des Comptes. C’est Michel Jobert, secrétaire général de l’Elysée qui l’ayant repéré à sa sortie de l’Ena, le présente à Georges Pompidou. Il est ainsi recruté comme conseiller à la présidence de la République. Il s’ouvre ainsi les portes de la politique et parvient à être élu député d’Épinal aux élections législatives de 1978.
M. Arnaud Teyssier revient sur les étapes de son ascension dans l’appareil du parti gaulliste, le RPR, dont Jacques Chirac est président. Il se fait remarquer à la fois par la clairvoyance et la justesse de ses analyses, ses convictions gaullistes et par son talent oratoire. Lors de la première cohabitation, en 1986-1988, il devient ministre des affaires sociales. Seconde grande étape de son ascension: en 1993, après la victoire du RPR et de ses alliés aux législatives, il est élu au Perchoir, à la présidence de l’Assemblée nationale. L’auteur présente Philippe Séguin dans toute la vérité du personnage, sans rien dissimuler: son exceptionnelle intuition visionnaire, sa passion de l’action et de l’intérêt général, ses qualités d’homme d’Etat – le dernier selon Arnaud Teyssier – mais aussi, derrière un physique impressionnant, un caractère compliqué.
L’ouvrage insiste fortement sur les grands combats de Philippe Séguin, et sa solitude face à la tyrannie de l’air du temps. Bien sûr, il a laissé son nom au combat contre le traité de Maastricht en 1992: « Un peu après 22H30, dans une ambiance très lourde, l’orateur monte à la tribune. Il s’engage alors dans un discours fleuve, de près de deux heures trente qui, malgré sa longueur, grâce à sa précision et à quelques morceaux de bravoure, produit une forte impression, sur le moment, sur les députés présents, mais surtout dans les jours qui suivent. » L’auteur raconte les coulisses de son fameux débat télévisé avec François Mitterrand, gravement malade, expliquant la modération du ton de Philippe Séguin, par respect pour l’homme affaibli comme pour la fonction présidentielle.
Arnaud Teyssier tord ici le cou à une légende mensongère: Séguin n’avait rien d’anti-européen, il était au contraire profondément attaché à l’unité européenne et en particulier à l’accueil dans l’Union des pays de l’Est rescapés du communisme soviétique. En revanche, il voyait avec une lucidité hors du commun le danger de fonder la construction européenne sur la logique d’une gigantesque usine à gaz bureaucratique. Sa crainte majeure tenait à la destruction de la démocratie nationale.
Dans une vision fulgurante, il annonce alors toutes les conséquences du traité: un chômage de masse irréductible, la fracture démocratique entre la Nation et ses dirigeants, les tensions et déséquilibres entre Etat européens qui iront jusqu’à l’explosion (aujourd’hui le brexit), la décomposition nationale, la poussée extrémiste, en particulier le risque d’une percée du FN en France une perspective qui le révulse. On sait à quel point l’histoire lui donnera raison contre à peu près tout le monde.
Mais il y aura pire peut-être aux yeux de Philippe Séguin: le trafic de l’histoire. Puisant son inspiration dans la pensée et l’action du général de Gaulle, la conscience omniprésente de son père qui a donné sa vie pour la France et qu’il n’a pas connu, il n’acceptera jamais la mode de la repentance qui s’empare des esprits dans les années 1990 et 2000. Son dernier combat sera avant tout intellectuel: dénoncer la mode de la haine de la France et de l’autoflagellation, rayonnante parmi les élites.
Bref, Arnaud Teyssier, dans une écriture splendide, grâce à une documentation fouillée, une connaissance personnelle approfondie du personnage, nous raconte avec son talent habituel l’histoire d’une rébellion solitaire contre la tyrannie montante de la bêtise, du conformisme et de la lâcheté.
Maxime TANDONNET