Lecture: Pétain par Bénédicte Vergez-Chaignon, Perrin, 2014 (I)

Voici une biographie monumentale de Philippe Pétain, de plus de 1000 pages. Nous la présenterons en deux temps, avant et après 1940. Elle est infiniment meilleure que toutes celles qu’il nous a été donné de lire jusqu’à présent. Elle a l’avantage considérable de se fonder sur des faits, le récit d’une vie. Elle ne prend jamais de parti idéologique ou politique, ne cherche pas ni à accabler le personnage, ni à le réhabiliter, ni à l’utiliser à des fins partisane: les faits, uniquement les faits.

Voilà un livre d’histoire comme nous les aimons. Quand on tourne la dernière page, d’un ouvrage qui se lit d’une traite malgré son épaisseur, on se dit que tout le monde devrait avoir lu ce livre, avant de parler d’une époque charnière pour la France et pour le monde. Il exploite abondamment des archives personnelles auxquelles nul biographe ne s’était référé jusqu’à présent. Il n’accuse ni n’excuse mais fournit des outils de compréhension nouveaux.

  • Pétain a eu une enfance obscure. Issu d’une famille nombreuse, sa mère est morte juste après sa naissance, le 24 avril 1956, à Gauchy-à-la-Tour, dans le Pas-de-Calais. Son père l’a plus ou moins délaissé après son remariage et il a été élevé par son oncle maternel. Toute sa vie, il aura horreur qu’on lui parle de cette enfance ou de sa jeunesse, reniant ce passé maudit. Devenu célèbre, il interdira à ses frères et sœurs de s’exprimer sur son histoire personnelle:  » Je renouvelle mes instances à ce sujet, envoie promener tous ces indiscrets et refuse toi à toute interview. Ces reporters sont très malins et finissent par vous arracher ce qu’on ne veut pas dire ».
  • Elève studieux, la vocation militaire lui vient de bonne heure. Il réussit Saint-Cyr, mais effectue une carrière « lente et sans éclat », voire « banale », colonel à 57 ans, à la veille de la première guerre mondiale. La médiocrité de son parcours semble s’expliquer à la fois par son refus de toute manœuvre de couloir, son caractère solitaire et indépendant, mais aussi par ses idées novatrices: il rejette ouvertement les conceptions napoléoniennes de la guerre, fondées sur l’offensive à tout prix.  La guerre et les armes modernes exposent le soldat au feu et la défensive peut servir à user les forces de l’ennemi avant le passage à l’offensive. L’effroyable boucherie des premiers mois de la guerre en 1914-1915 et des attaques à découvert, se traduisant par des centaines de milliers de victimes, poussent le haut commandement à s’intéresser à ses théories, et, promu général, à lui confier des responsabilités stratégiques.
  • Pétain est-il vraiment le « vainqueur de Verdun » à l’origine du mythe autour de son personnage? Sous un déluge de feu, sa stratégie défensive lui permet de tenir contre les assauts allemands pendant deux mois, février-mars 1916 au prix d’un bain de sang. On retient de cette période sa formule célèbre »Courage, on les aura ». Il est cependant très critiqué par le commandant en chef Joffre, qui le juge passif. Pétain a donc tenu Verdun pendant deux mois avant d’être remplacé. La victoire est intervenue bien plus tard les 24 octobre et 2 novembre avec la reprise des forts de Vaux et de Douaumont par les généraux Nivelle et Mangin. Il est donc excessif, selon l’auteur, de considérer Pétain comme le « vainqueur de Verdun », la légende n’étant qu’à demi fondée.
  • En revanche, nommé commandant en chef de l’armée française en avril 1917, après le massacre inutile provoqué par la grande offensive de Nivelle, son influence est alors considérable pour mettre fin aux mutineries qui menacent d’emporter l’armée française. Son principe fondamental est de s’attacher « au moral du soldat ». Il met fin aux offensives inutiles et sanglante, promet d’attendre « les Américains et les chars », améliore sensiblement les conditions de vie du soldat: permissions, casernement, nourriture.
  • Sur la dernière année de la guerre en 1918, son rôle est beaucoup plus contestable. Au printemps, la situations des armées de l’Entente (française, britannique, américaine) est désastreuse. Les Allemands qui ont acheminé sur le front français la masse gigantesque des troupes qui combattaient en Russie après la paix signée par Lénine, sont à 80 km de Paris. Pétain de montre alors défaitiste, hésitant à secourir l’armée britannique pour combler une brèche menaçant de s’ouvrir, et prônant l’évacuation de Paris qui eût été ressentie comme le signe de l’acceptation de la défaite. Il est soutenu par le président du Conseil Clemenceau, mais ps par le président de la République, Poincaré, qui veut s’en débarrasser. Nommé généralissime des armée de l’Entente, donc au-dessus de Pétain, c’est Ferdinand Foch qui conduit la France et ses alliés à la victoire.
  • A l’issue de la Grande Guerre, devenu maréchal, Pétain continue à exercer un rôle clé dans la vie publique française: vice-président du conseil supérieur de la guerre, inspecteur général de l’armée, ministre de la guerre (1934), ambassadeur de France en Espagne, auprès de Franco (1939). Il ne cesse de répéter qu’il veut prendre sa retraite mais ne résiste jamais aux propositions qui lui sont faites. D’après l’auteur, il semble avoir été critique envers la construction de la ligne Maginot, dont le coût faramineux détourne les crédits de l’amélioration de la condition des officiers et des soldats.
  • Il s’impose dès les années 1920 comme une icône nationale, symbole de la victoire de Verdun et d’un commandement soucieux de la vie des Poilus. Grand communiquant, homme de  séduction, d’allure majestueuse, les yeux clairs, le style sobre, noble et silencieux, il impose une autorité naturelle fondée sur le prestige. La presse multiplie les reportages à son sujet. Il cumule les maîtresses, se marie avec l’une d’elle, Eugénie Hardon, à plus de 60 ans mais cette union est largement fictive, pour un homme d’origine catholique mais sans véritable religion qui rejette viscéralement toute forme de contrainte familiale.
  • Sur le plan idéologique, il déteste le monde politique et parlementaire jugé bavard et inefficace. Certes,  il se montre plutôt conservateur, mais assez consensuel, capable de travailler avec un gouvernement Poincaré comme avec le Front populaire. Contrairement à Foch, clairement marqué à droite, ou à Darlan homme de gauche proche du radicalisme, Pétain n’affiche pas de préférence partisane ou d’engagement précis. Dans le gouvernement Doumergue, il se lie avec Laval, républicain modéré (droite), venu de la gauche pacifiste pendant la Grande Guerre.
  • A partir des années troubles, les ravages de la grande crise et la montée de la menace hitlérienne, dès les années 1930, il fait figure, dans une partie de l’opinion en quête de chef, de sauveur providentiel et des campagnes d’opinion se développent sur le thème: « c’est Pétain qu’il nous faut ». Toutefois, Nul n’a démontré qu’il ait été personnellement associé dans les années 1930, à des visées complotistes ou factieuses. [A SUIVRE]

Maxime TANDONNET

 

 

 

 

 

 

Author: Redaction