Lecture: Persigny, l’homme qui a inventé Napoléon III , Pascal Clément, édition Perrin 2006 (présentation par Cyril Grataloup)

L’auteur Pascal CLEMENT fut Ministre de la justice, président de la commission des lois à l’Assemblée Nationale, député de la Loire, président du conseil général de la Loire.

Victor Fialin, duc de Persigny, est un personnage peu connu du grand public et, lorsqu’il l’est, souvent déconsidéré. On ne retient de sa vie que ses deux passages au ministère de l’intérieur sous Napoléon III. L’homme vaut que l’on s’y intéresse. Il est un homme de l’ombre, un comploteur.

Persigny est né en 1808 à St Germain Lespinasse près de Roanne dans le département de la Loire. Son père était fonctionnaire des impôts. Grâce à une intervention d’un ami de la famille, le préfet de la Seine, Victor est admis au collège royal de Limoges. Il est boursier et se sent en situation d’infériorité par rapport à ses camarades financièrement mieux pourvus que lui.

La France depuis 1830 vit sous le règne de la révolution permanente. Les Bourbons sont chassés. En janvier 1832, une nouvelle émeute éclate à Paris où des extrémistes républicains tentent de mettre le feu à l’une des tours de Notre Dame. En mars 1832 une épidémie de choléra se déclare emportant le ministre Casimir Perier.

C’est en 1834 que Persigny rencontre Louis Napoléon et voit dans le neveu de l’Empereur l’homme capable d’incarner les idées bonapartistes. Il se consacrera à bâtir pour Louis Napoléon un destin national. Il organise deux tentatives de coups d’Etat en 1836 et 1840 qui échouent. Les échecs ne semblent avoir aucune prise sur lui.

En 1837 il est en exil à Londres ; en 1840 il est condamné à 20 ans de prison, incarcéré dans une forteresse ainsi que Louis Napoléon. Toutefois les conditions de détention de Louis Napoléon au fort de Ham dans le Pas de Calais sont assez clémentes (équitation, lecture etc). Persigny subit des conditions d’incarcération plus rudes à la forteresse de Doullens.

 En 1846, Louis Napoléon s’évade du fort de Ham, profitant du relâchement de la surveillance consécutif à des travaux dans le fort, il s’enfuit à Londres. Persigny va bénéficier d’un régime de semi-liberté en 1847. En février 1848, il écrit à Louis Napoléon pour lui réclamer des fonds pour la propagande et lui demande de se tenir prêt à rentrer en France au premier signal, la monarchie étant à l’agonie. Une insurrection se déclenche à Paris. 52 personnes gisent sur le pavé suite à une fusillade. Le Roi Louis Philippe abdique le 24 février 1848 et s’enfuit. Le 28, Louis Napoléon rentre à Paris. En juin 1848 ont lieu des élections et Louis Napoléon est élu député de Paris. Persigny est de nouveau arrêté et emprisonné pendant un mois. Paris s’agite en juin 1848, la guerre civile ravage les rues. 6000 morts sont à déplorer (soldats, insurgés, personnes fusillées), 25 000 arrestations.

En septembre 1848, Louis Napoléon entre à l’Assemblée et annonce en octobre sa candidature à l’élection présidentielle. Son nom est sympathique aux classes inférieures. Aux yeux des classes élevées, il deviendra le symbole d’ordre et de stabilité. Le poète Lamartine tente aussi de se présenter à l’élection. Du côté des républicains modérés, le général Cavaignac se présente et est soutenu par la presse parisienne. Le 22 décembre 1848, Louis Napoléon est élu avec 74% des voix. La victoire du prince est le fruit du vote rural. Persigny est élu député du Nord. En août 1949, il part en mission à Berlin. Il tente de sonder les sentiments du roi de Prusse en vue d’une alliance. Tocqueville est ministre des affaires étrangères. Persigny devient aide de camp du président puis ministre plénipotentiaire.

La révolution de 1848 constitue un tremplin que Persigny ne manque pas d’utiliser et grâce à l’intense propagande qu’il organise, le prince est élu à l’Assemblée avant d’accéder à la présidence de la République. « Je l’ai fait président contre son gré, je le ferai bien empereur malgré lui ».

En 1852 doit se dérouler l’élection présidentielle mais Louis Napoléon n’est pas rééligible d’après la constitution.

Le général Changarnier est destitué, arrêté en janvier 1851 ce qui entraîne la démission du gouvernement. En mai 1851 une procédure de révision est entamée à l’Assemblée mais la majorité des trois quarts n’est pas atteinte, le coup de force semble inévitable… En novembre 1851, Louis Napoléon dispose de 60 000 soldats en région parisienne. Des rumeurs de coup d’Etat courent. Les choses se précisent, chacun connaît son rôle. Persigny qui est à la tête des troupes stationnées à l’école militaire, a pour mission l’occupation de l’Assemblée et l’arrestation des questeurs. Il fait partie de la mince poignée qui prépare et réussit le coup d’Etat du 2 décembre 1851, dernière étape avant l’instauration de l’Empire. Morny, Saint Arnaud, Maupas, Mocquard sont des fidèles de Louis Napoléon qui participent à l’organisation du coup d’Etat.

Le 3 décembre 1851, les émeutes débutent, la répression aussi faisant 26 000 victimes, tuées, blessées ou arrêtées. Le 20 décembre, la population appelée par plébiscite à approuver le coup d’Etat, le fait massivement. En janvier 1852, une loi place sous séquestre les biens de la famille Orléans. Persigny devient ministre de l’Intérieur et veut instaurer l’Empire. Des tensions importantes apparaissent entre Persigny et Louis Napoléon. Il brave des interdits dictés par Louis Napoléon, agit clandestinement auprès des préfets de départements. En septembre 1852, Louis Napoléon est acclamé à Bourges, des scènes identiques se produisent à Nevers, à St Etienne etc, l’enthousiasme des villes traversées est à son comble (p145). En novembre 1852, le résultat du plébiscite en faveur de l’Empire est de 7 800 000 Oui contre 280 000 Non, avec 2 millions d’abstentionnistes. Le 1er décembre 1852, les corps constitués saluent le nouvel empereur, Napoléon III. Le 2 décembre ce dernier se rend aux Tuileries où il donne une grande réception. Persigny est nommé sénateur de l’Empire le 31 décembre.

Il conserve sa fonction de ministre de l’Intérieur et institue un corps des inspecteurs généraux des préfectures afin de veiller au bon fonctionnement des réformes et d’enquêter sur d’éventuelles dérives. Persigny tente d’améliorer les conditions de personnes condamnées, notamment concernant le bagne de Cayenne. Il a une vision rédemptrice et morale en laissant au condamné la possibilité de refaire sa vie. En matière carcérale, il s’attache à la condition des enfants et ordonne, par circulaire aux préfets, en août 1853 de veiller à la séparation des différentes classes de détenus (adultes, enfants, prévenus, coupables etc). Concernant les femmes enceintes ou venant d’accoucher en prison, Persigny leur permet de garder leur enfant et de s’en occuper (p155). Il va aussi œuvrer dans le domaine des grands travaux publics à Paris. Persigny est séduit par le préfet de la Gironde, Haussmann qui devient préfet de la Seine en juin 1853 et qui restera 17 ans à ce poste, mettant en œuvre les projets urbains de Napoléon III. Toutefois, Persigny est isolé au sein d’un gouvernement constitué d’orléanistes ralliés.

En janvier 1853, Napoléon III épouse Eugénie de Montijo. Quant à Persigny, fatigué par les intrigues, il démissionne en juin 1854, il souhaite voyager en compagnie de sa femme Eglé Ney de la Moskowa qui a 24 ans de moins que lui. Puis il est nommé ambassadeur à Londres en mai 1855 par Napoléon III, qui échappe à un attentat. Le 28 avril 1855, un révolutionnaire italien tire sur l’Empereur et le manque.

En octobre 1853, la guerre est officiellement déclarée entre la Russie et l’empire Ottoman. En Angleterre, Persigny renoue des liens avec ceux qu’il avait connus lors de son exil (Lord Malmesbury). Il cherche une alliance avec l’Angleterre afin de tirer la France vers le haut sur un plan économique, militaire.

Sur le plan personnel, Persigny connaît ses premiers déboires conjugaux. Eglé est volage et dépensière. De cette union naîtront 5 enfants mais à la mort du duc, elle les abandonnera. Ils seront recueillis par des membres de la famille d’Espagny, cousins de Persigny. Il est surprenant qu’avec son tempérament impulsif, il ait pu tolérer une telle situation jusqu’à sa mort. Aveuglement amoureux ? Peur du scandale ? Il y a là un mystère qui explique peut-être ses sautes d’humeur ainsi que son acharnement au travail.

En janvier 1858, un deuxième attentat contre Napoléon III fait 12 morts et 150 blessés. Trois bombes sont lancées sur la calèche de l’empereur et d’Eugénie devant l’opéra, par 4 hommes dont un révolutionnaire italien. Napoléon III et sa femme en réchappent. En mars 1858, à 50 ans, Persigny démissionne de son poste d’ambassadeur suite à des relations franco britanniques dans l’impasse.

En mai 1859, la France déclare la guerre à l’Autriche. En novembre 1860, Persigny est nommé ministre de l’Intérieur. Des élections ont lieu en mai 1863, l’opposition progresse en passant de 7 à 32 sièges sur un total de 283 députés (17 républicains et 15 royalistes). Thiers est élu. Mais Persigny est de plus en plus isolé. La femme de Napoléon III souhaite le départ du duc tombé en disgrâce. A partir de 1858, l’empereur pousse Eugénie sur le chemin de la politique en la désignant pour présider le conseil le conseil de régence. Par la suite elle assistera aux séances du conseil des ministres, à la grande colère de Persigny.

Dès lors, Persigny va se consacrer à son cher département de la Loire dont il fut nommé président du conseil général en 1858. Il va développer le département (agriculture, industrie) mais avec une gestion financière pour le moins aléatoire. Aussi, à St Etienne, la misère demeure, la classe ouvrière survit dans la précarité. Persigny crée et finance des postes d’inspecteurs du travail des enfants dans les manufactures.

Le 19 juillet 1870, c’est la guerre entre la Prusse de Bismarck et la France. Persigny n’est pas favorable à ce conflit. Il est convaincu de la détermination des Prussiens, qu’il connaît bien suite à plusieurs missions. Mais Persigny n’est pas en état de peser ni sur l’empereur, ni sur l’opinion. Napoléon III capitule à Sedan le 2 septembre 1870, il est emprisonné en Prusse, la République est proclamée à Paris le 4 septembre. L’armistice est signé en janvier 1871. En juillet, Persigny rentre en France dans son château qui fut occupé par les Prussiens, mais épargné ainsi que ses biens personnels, à la demande formelle de Bismarck. En août 1871 il se rend une dernière fois dans le département de la Loire, accueilli avec beaucoup d’égards. Le 12 janvier 1872 il est frappé d’une congestion cérébrale et meurt. Le lendemain, une lettre datée du 12 lui parvient, c’est Napoléon III qui lui écrit « Mon cher Persigny, … je tiens à vous dire que j’oublie ce qui a pu nous diviser pour ne me souvenir que des preuves de dévouement que vous m’avez données pendant de longues années. Croyez à ma sincère amitié ».

Persigny fut inhumé dans le cimetière de son village natal, St Germain Lespinasse dans la Loire. Sa femme ne daigna pas assister aux obsèques. Le 9 janvier 1873, Napoléon III s’éteignait à son tour, en Angleterre.

CG

Author: Redaction