Le nouveau livre de Nicolas Sarkozy, Passion, diffère sensiblement de ses deux derniers, Libre (2001) et Témoignage (2006). Ces ouvrages précédents étaient centrés sur ses projets pour le pays, l’évocation de certains souvenirs personnels ayant pour objectif d’illustrer ou donner vie à ses idées. Passion a été écrit dans un objectif profondément différent. Il faut y voir avant tout un témoignage pour l’histoire et une réflexion sur la situation de la politique française. De toute évidence, ce document précieux pour la compréhension d’une époque, d’une lecture facile et passionnante, tient du meilleur de la littérature politique.
La presse et les media ont beaucoup mis l’accent, depuis la sortie de l’ouvrage, sur les flèches décochées envers ses adversaires et certains de ses anciens amis. Toutefois, l’ancien ministre de l’Intérieur – l’essentiel du récit s’arrête à 2007 – de page en page, ne s’épargne pas lui-même : « Ma tête avait tourné, trop de pouvoir, trop de réussites rapides, trop de promesse d’un avenir radieux. Je n’étais pas le premier à succomber aux vapeurs déroutantes des premiers succès médiatiques ». La sévérité qu’il exprime envers autrui est proportionnelle à ses attentes déçues. Mais cette sévérité, il l’applique avec la même rudesse à sa propre personne et aux erreurs qu’il admet volontiers.
La richesse de ce livre tient dans son authenticité. La personnalité de Nicolas Sarkozy s’y exprime sans fard, ni arrière-pensée, avec une franchise désarmante. A sa lecture, tout ancien collaborateur de l’homme d’Etat aura le sentiment de revivre une période de la vie publique nationale – l’ascension d’une figure clé de la première décennie du XXIe siècle en France.
L’ouvrage reflète à la perfection « Sarko » tel qu’en lui-même. L’affectif : « Il est mon ami, et jamais je ne pourrai oublier que, quand ma mère en a eu besoin, c’est son père qui lui donna du travail. » La sensibilité extrême : « Je ressentais une colère froide mais profonde contre ces tueurs de policiers et de gendarmes […] Il y eut la sonnerie aux morts. Puis la Marseillaise. Au moment où j’allais épingler la médaille [sur le cercueil], le petit me tira par la manche. Je me baissai pour qu’il puisse me parler à l’oreille : «Sors papa de la boîte. Sors-le ! » me dit-il en me regardant droit dans les yeux. L’énergie : « Je décidai donc de défendre et d’incarner la valeur travail. Je voulais la mettre au cœur de tout, en faire la priorité, commencer et finir par elle. » L’assoiffé d’unité : « Je voulais diriger la cathédrale, pas régner sur une chapelle. J’aspirais à rassembler le plus grand nombre, pas à dominer la secte de mes proches partisans ». L’orateur : « J’ai passionnément aimé ces corps à corps avec les foules rassemblées ». L’homme d’ordre : « Sans autorité, sans ordre, sans hiérarchie, sans sanction, la société revient à l’état naturel, c’est-à-dire, à la loi du plus fort. »
Pour les historiens qui se pencheront sur cette période de l’histoire politique française, « Passion » constituera une mine d’informations sur les coulisses des événements. Sans surprise, Nicolas Sarkozy revient longuement sur un événement qui l’a profondément marqué : « la crise des banlieues de l’automne 2005 fut sans doute l’une des plus difficile que j’ai eu à gérer durant toute ma carrière gouvernementale. Elle fut violente, longue, irrationnelle, communautaire, et, surtout, révélatrice de tous les problèmes que la société française s’était cachés à elle-même tout au long des trente dernières années. » Le récit tourmenté de ses déplacements sur le terrain auprès des policiers, sous les injures et les jets de pierre, de ses échanges houleux, en pleine crise, avec Jacques Chirac et Dominique de Villepin, jette une lumière crue sur le chaos qui s’est alors emparé de la classe dirigeante comme de la France populaire qu’il voyait en pleine désintégration.
Le regard que Nicolas Sarkozy porte sur la politique française est lucide et désenchanté. « Le spectacle a gagné en ridicule et en cruauté… Car naturellement, le réveil est douloureux pour tous ceux dont les rêves se transforment si rapidement en cauchemar. C’est comme s’il n’y avait plus désormais ni mesure, ni limite, Or, il n’y a rien qui exaspère davantage les Français que l’arrogance de ceux qui les dirigent. » Parlant de Simone Veil et de son mari Antoine : « avec eux, il n’y avait ni médiocrité, ni petitesse, ni calcul. Je n’ose imaginer ce qu’ils pourraient bien penser de notre actualité politique. » Non, le message de Nicolas Sarkozy n’est pas à l’optimisme ni à la béatitude, encore moins à la complaisance : « C’est sans doute dans cette absence de réactions fortes [à l’islamisme radical] chez ceux pourtant censés incarner ce qu’il devrait y avoir de meilleur dans la Nation, que se trouve la preuve la plus flagrante de l’état de décadence de l’Europe en particulier, et de l’Occident en général. » Un appel à la lucidité et au réveil avant qu’il ne soit trop tard ?
Maxime TANDONNET