Qui d’entre nous, au temps du lycée, n’a pas été intrigué un jour ou l’autre par le nom redoublé de Roosevelt, deux fois président des Etats-Unis? Et qui plus est, de partis différents, l’un Républicain, l’autre Démocrate? Théodore de 1901 à 1909, et Franklin de 1932 à 1945? Père et fils? Simple homonymat? Georges Ayache lève le mystère dans un livre passionnant de bout en bout. Tous deux étaient des cousins à la fois éloignés et proches. Ils descendaient d’un même ancêtre commun, Klaes Martenzsen van Rosenvelt, néerlandais ayant immigré en Amérique au XVIIe siècle et son fils Nicholas, dont le nom fut américanisé en Roosevelt. Les deux fils de ce dernier, Johannes et Jacobus furent à l’origine de deux branches des Roosevelt, ceux d’Oyster Bay, une famille riche et conservatrice, de tradition républicaine, et ceux d’Hyde Park, plus populaires et de tendance démocrate. Theodore et Franklin, descendent chacun de ces deux branches, cinq à six générations plus tard. Mais ils ont un autre lien: Franklin était (mal) marié à Eleonore, une nièce de Theodore, au grand dam de se mère, Sara, autoritaire et possessive.
Ce livre se présente donc comme une extraordinaire galeries de portraits des élites américaines de la côte Ouest au XXe siècle. Celui de Theodore, peut-être moins connu de nos jours, est fascinant: tête ronde, petite moustache légère, silhouette trapue, il fit la conquête de l’opinion en s’engageant dans la guerre de Cuba contre l’Espagne et en multipliant les exploits, accompagné d’un journaliste, narrateur de son épopée. Baroudeur, intrépide, formidable communicant, il se mit ainsi à incarner le nationalisme américain avec son slogan: « America first » et sa doctrine ouvrant la voie à l’interventionnisme des USA en Amérique latine. Il serait trop long de raconter l’histoire de son ascension au parti républicain, puis dans l’Administration américaine, comme secrétaire d’Etat à la Marine. De fait, il parvint à la maison blanche par un concours de circonstances: l’assassinat du président William Mackinley dont il était le vice-président. Trois ans plus tard, en 1904, devenu le symbole de l’optimisme, de l’énergie et du volontarisme dans une Amérique en pleine euphorie, il était élu triomphalement. Par respect pour la tradition démocratique américaine, il refusa de se présenter pour un troisième mandat, quitte à le regretter par la suite et à échouer dans ses tentatives de retour.
Franklin était dans un tout autre style, beaucoup plus réservé et délicat. Si les deux branches de la famille était séparées et parfois hostiles l’une à l’autre les Roosevelt républicains méprisant les Roosevelt démocrates, Franklin avait une vive admiration pour Theodore qui, de fait, était son modèle. Et d’ailleurs suivit-il le même à peu près le même parcours, avec un passage remarqué au secrétariat d’Etat à la Marine. Mais il intervient dans l’histoire américaine à un tout autre moment: celui de la crise de 1929 qui jette les Etats-Unis dans le malheur et la détresse. Lui Franklin Delano (du nom de sa mère) Roosevelt, est frappé par la poliomyélite lors d’une sortie en mer avec ses fils qui le laissera paralysé. L’Amérique de la fin tragique des années 1920 va s’identifier à un homme affaibli et malade et surtout, à son courage face à l’adversité. D’autant plus que FDR est, depuis Theodore, le premier à savoir parler au peuple et notamment aux déshérités et à trouver les mots, lors de ses célèbres causeries à la radio, pour le réconforter et engager la politique américaine dans la voie de l’interventionnisme. Une fois élu président en 1932, son New Deal n’a pas fait de miracle mais il montrait un président américain décidé à agir pour lutter contre le désastre. Enfin, sa ferme volonté d’engager les USA dans la guerre contre l’Allemagne nazie s’inspirait franchement de la politique interventionniste de son illustre cousin. A l’inverse de ce dernier, il n’a pas hésité à se représenter pour un troisième mandat, puis un quatrième.
Deux personnages féminins ressortent particulièrement du récit. Alice, la fille d’un premier mariage de Theodore, fut une icône américains de la Belle Epoque et de l’Entre-Deux-Guerres, omniprésente dans les médias, presque aussi populaire que son père auquel elle ressemblait beaucoup, mais mal-mariée à un dirigeant républicain alcoolique et infidèle. Cette femme extravertie incarnant le féminisme, mais aussi, le mépris des Roosevelt d’Oyster Bay envers ceux d’Hyde Park, n’acceptera jamais le triomphe de Franklin Delano comme porte-parole des Roosevelt et successeur de son père à la Maison Blanche, au point de tenir des positions ambiguës sur l’engagement américain dans la deuxième guerre mondiale… Eleonore est aussi un personnage remarquable, issue des Roosevelt républicains mais épouse de FDR, au début timide, effacée, complexée, souffrant de l’infidélité de son mari, elle devint notamment pendant la guerre, par ses engagements caritatifs, un emblème de la générosité.
Franchement, un excellent livre qui combine le plaisir d’apprendre et celui de l’évasion.
MT