Voici l’une de mes dernières lectures de cet hiver. La Cagoule? ou le comité secret d’action révolutionnaire (CSAR) est une organisation secrète qui s’est développée au milieu des années 1930, notamment à la suite des émeutes du 6 février 1934 qui ont fait des dizaines de morts à Paris, place de la Concorde, fomentée par les ligues d’extrême droite à la suite du limogeage, par le président du Conseil, Edouard Daladier, du préfet de police de Paris, Jean Chiappe, supposé sympathisant des ligues, dans le contexte de la déliquescence de la IIIe République dominé par l’un des pires scandales politico-financier de l’époque: l’affaire Stavisky.
La Cagoule s’est développée autour de son chef charismatique, Eugène Deloncle, polytechnicien, un grand gaillard costaud à lunette, extrêmement charismatique avec l’objectif de renverser la République, dite « la gueuse », par la force. L’organisation nationaliste recrute dans les milieux de la « France d’en haut » de l’époque, la classe dirigeante, la haute administration, l’armée, les milieux économiques et financiers qui la financent. Elle pratique, le culte du chef, sur le mode fasciste, le culte un secret, fonctionnant sur un mode cloisonné, le trafic d’armes, avec l’Italie de Mussolini. Elle s’engage dans une action de nature terroriste, quelques-uns de ses membres, de la frange la plus radicale, procédant à des assassinats, en particulier de réfugiés politiques italiens.
A la suite de la débâcle militaire et de l’effondrement de la IIIe République, la Cagoule se déchire. Quelques-uns de ses membres rejoignent la Résistance gaulliste, tandis que la majorité de ses cadres se rallient au régime de Vichy. L’ouvrage, qui m’est tombé entre les mains, est particulièrement fascinant dans la mesure où il repose sur des entretiens entre l’auteurs et d’anciens Cagoulards, rencontrés dans les années 1960.
En voici un témoignage: » C’était quelques jours après l’armistice, le 25 juin, si j’ai bonne mémoire. Deloncle nous a convoqués chez lui, rue Lesueur, à Paris. Il y avait là entre autres Jacques Corrèze, Maurice Duclos et moi-même; en tout cas ceux qui étaient disponibles dans la capitale. Il souhaitait aire le point de la situation, comme il en avait l’habitude, dans les moments importants et Dieu sait si la situation méritait le titre d’exceptionnel. Deloncle était ouvert aux discussions et l’on se tromperait si on l’assimilait à quelque chefaillon imposant son autorité. Il souhaitait nous interroger sur nos propres options puisque l’heure du choix avait sonné […] On vit alors se dessiner le destin des principaux dirigeants de l’organisation. Duclos nous déclara qu’il avait décidé de rejoindre de Gaulle dont il avait entendu l’appel; pour moi, ce devait être, mais avec de sérieuses divergences, le choix de Deloncle: aucune hésitation possible, il fallait suivre et s’engager derrière le maréchal... »
L’ouvrage suit le parcours de ces hommes. Un lien entre tous: le caractère extrême de leur engagement. Les Résistants vont au bout d’eux-mêmes et de leur vie. L’ouvrage rapporte les exploits de l’un d’eux, parachuté dans le Sud-Ouest par une nuit de tempête en 1941, qui se traîne pendant des kilomètres avec une jambe brisée, dans des souffrances indescriptibles pour rejoindre son contact et reprendre les armes contre l’occupant.
Quant aux hommes de Deloncle, ils sombrent dans l’abject, l’ultra collaboration, l’antisémitisme viscéral, allant jusqu’à dénoncer à l’occupant allemand et à la Gestapo, autant par idéologie que par servilité et par ambition, des résistants et des juifs oubliés sur leurs listes. Deloncle et Doriot œuvrant de concert, ils sont à la pointe de la mise en place de la Légion des volontaires français qui ira combattre sous l’uniforme allemand contre l’Armée rouge. L’un des membres les plus actifs de la Cagoule, Darnand, est désigné par Pierre Laval chef de la Milice, en 1943 et 1944 qui combat la Résistance et les Maquis au côté de l’armée allemande et des SS.
Les cagoulards, autour de Deloncle, réalisant que l’Allemagne est en train de perdre la guerre, à l’hiver 1942-1943, après la bataille de Stalingrad et l’opération Torch de débarquement américain en Afrique du Nord, tentent de retourner leur veste et de rejoindre la France libre puis la France combattante, par l’intermédiaire de leurs anciens camarades engagés avec de Gaulle. Trop de trahisons et de sang sur les mains: la Résistance rejette leurs avances et dès lors, les anciens Cagoulards collaborationnistes sombrent dans une fuite en avant criminelle, fanatique et suicidaire au côté des SS et de la Gestapo.
A lire, pour redécouvrir une page oubliée de l’histoire, sur les dangers de toute forme de fanatisme et d’extrémisme.
Maxime TANDONNET