Lecture: Le 18 Brumaire, par Patrice Gueniffey, Folio-histoire, 2018

Rarement un livre d’histoire ne sera tombé aussi à propos, dans l’époque de trouble profond où nous vivons. Disons tout de suite que cet ouvrage est un chef d’oeuvre, passionnant du début à la fin. A travers le récit de l’acte final qui clôture la Révolution française, il  soulève des questions d’une étonnante actualité autour de la notion de recours en cas dans le chaos, de la personnalisation du pouvoir, d’homme providentiel, des mythes qui animent les peuples dans la tourmente.

Avec le Directoire, la Révolution s’achève en 1799 dans un climat d’affreux chaos: « Une administration anarchique, incompétente et corrompue, une justice sinistrée, des écoles délabrées, des hospices où le taux de mortalité atteint 99% chez les orphelins et les enfants abandonnés; routes défoncées, canaux engorgés, bâtiments appartenant à l’Etat dégradés et mis à sac […] Les journaux pleins, comme chaque jour, d’histoires de diligences attaquées, d’assassinats, de familles molestées et rançonnées […] Au total l’impression d’une défaillance complète des autorités; l’impression aussi d’un pays abîmé et généralement appauvri, si l’on excepte des fortunes établies sur des trafics en tout genre. »

Dans ce contexte, le retour de Bonaparte de l’expédition d’Egypte se traduit par un triomphe populaire. « Quand la flottille se présenta devant Fréjus, le matin du 9 octobre 1799, la population se rassembla sur les quais, on tira le canon et la mer se couvrit de canots allant à sa rencontre: « Vive la république! s’écria le commandant du port, le sauveur de la France est arrivé dans notre rade! » Un interminable triomphe accompagne le général de moins de trente ans sur son parcours jusqu’à Paris. L’expédition en Egypte est loin d’avoir été un succès politique, diplomatique ou militaire et Bonaparte a tout de même abandonné son armée en situation précaire, en violation des ordres du gouvernement, pour regagner la France. Déserteur ou héros? Un mythe est né en tout cas, celui du général invincible, de retour d’Orient pour sauver le pays.

L’auteur raconte l’enchaînement des complots destinés à renverser le Directoire fomentés par Barras et pas Sieyès qui ont tous les deux besoins de l’épée de Bonaparte et de son autorité sur l’armée pour prendre le pouvoir. Mais la personnalité et le génie de ce dernier finissent par lui assurer un ascendant sur ces deux survivants de la Révolution.

Le récit du coup d’Etat du 18 Brumaires ne montre pas forcément Bonaparte toujours à son avantage. Après avoir obtenu, le 18, un transfert du Parlement à Saint-Cloud pour échapper aux pressions de la rue parisienne, Bonaparte se heurte le 19 Brumaire  (la vraie date du coup d’Etat) à la versatilité du Conseil des Anciens, sur lequel il comptait s’appuyer, puis à l’hostilité du Conseil des Cinq-cent où il est pris à partie physiquement. Face aux députés, il ne parvient pas à emporter la conviction: « La Constitution? N’est-ce pas en son nom que vous avez exercé toutes les tyrannies? » Et surtout, cette phrase hallucinante qu’il aurait bel et bien prononcé selon l’auteur: « Souvenez-vous que je suis le dieu de la guerre et de la fortune!« 

Menacé de mise hors la loi, il ne doit son salut qu’à l’intervention décisive de son frère Lucien, président du Conseil des Cinq-cent. Après l’échec de son intervention, destinée à préserver l’apparence de la légalité, Bonaparte n’a d’autres recours que de demander aux troupes qui lui obéissent toujours – dès lors  qu’il n’a pas été proclamé hors la loi grâce à Lucien – d’intervenir sur les lieux de réunions des deux assemblées et de les disperser par la force. C’est la fin du Directoire et l’établissement du Consulat, sous la domination absolue du « premier Consul ». La Révolution est finie, comme il le proclame lui-même.

Cet ouvrage magnifique raconte comment le rêve révolutionnaire de créer un pouvoir impersonnel, purement démocratique, débouche paradoxalement sur l’inverse, une personnalisation extrême du pouvoir. Il souligne comment le chaos monstrueux dans lequel sombre un pays débouche sur l’appel au héros, à travers le désir du sauveur et de l’homme providentiel, sans que celui-ci ne soit forcément toujours à la hauteur du mythe qui s’est développé autour de son personnage, puis sur l’établissement d’une dictature. A lire, franchement…

Maxime TANDONNET

 

Author: Redaction