Lecture: Jusqu’à la chute (Mémoires du majordome d’Hitler) Heinz Linge, Perrin 2023.

Ce témoignage est paru en Allemagne en 1980. Il émane du plus proche serviteur et homme de confiance du Führer, celui qui fut chargé d’incendier son cadavre et celui d’Eva Braun après leur suicide. Le livre a servi de base au chef d’œuvre cinématographique la Chute, qui raconte les derniers jours d’Hitler dans son bunker à Berlin. Voici la première traduction en français, 43 ans après la sortie du livre. L’ouvrage est présenté par l’historien Thierry Lentz et abondamment fourni en notes de bas-de-page qui permettent de situer les protagonistes.

On en a beaucoup dit sur la banalité du mal, mais c’est bien l’impression qui s’en dégage. Visiblement Linge, SS désigné auprès d’Hitler pour ses qualités physiques et psychologiques d’excellent « aryen », est un personnage médiocre, servile, conformiste. Mais il raconte au jour le jour sa vie auprès du dictateur. Il se vante de toujours l’avoir servi avec loyauté et même en 1980, après avoir passé une partie de sa vie en captivité en URSS, il semble continuer de vouer au « diable » une admiration et un respect préservés…

Son récit comporte des portraits de l’entourage de ce dernier: Speer l’architecte du Führer, jugé affable et courtois, Bormann, une brute sanguinaire qui frappe sa femme et ses enfants, maltraite physiquement ses collaborateurs, Göring, arrogant et méprisant avec les serviteurs mais particulièrement obséquieux avec Hitler. La vie de ce dernier avant la guerre, et surtout pendant, est racontée au jour le jour. On perçoit le contraste en la banalité de son quotidien pendant que sous ses ordres s’accomplit l’un des plus épouvantables crimes de l’histoire de l’humanité à partir de septembre 1939.

L’homme est plein de petites manies, ne supporte pas l’odeur du tabac ni l’alcool, hygiéniste avant l’heure, ne mange que des légumes, jamais de viande, malgré les conseils de ses médecins. Ses ébats sexuels avec Eva Braun sont bruyants… Mais son état de santé se dégrade inexorablement et Linge, qui vit dans l’inquiétude pour son chef, raconte son effondrement physique, surtout après l’attentat de juillet 1944. Pourtant, son état n’a rien qui puisse s’assimiler à la folie et il plaisante même de cette rumeur. « Un membre de son escorte voulait devait téléphoner au comptable de son unité et le Führer voulait en même temps téléphoner à Speer […] Par erreur, les communications établies furent interverties au centre d’appels. L’aide de camp tendit le combiné au Führer en pensant que Speer était au bout du fil. Mais après que Hitler se fut annoncé – selon son habitude – avec la formule « ici le Führer », un éclat de rire sonore retentit à l’autre bout de la ligne : il émanait du comptable qui toujours en riant aux éclats hurla dans le combiné: « Mais tu es dingue ou quoi! ». Je redoutais un éclat aux fâcheuses conséquences mais Hitler rendit l’appareil en disant: « Celui-là aussi dit que je suis fou! »

Cette vie quotidienne est dominée par l’obsession paranoïaque envers ses généraux soupçonnés en permanence de trahison, et même les pontifes du parti nazi qui exaspèrent le Führer, la croyance mystique d’être guidé par la providence et donc infaillible, l’enchaînement des colères hystériques (plutôt rares avant 1943 mais fréquentes après la défaite de Stalingrad), un climat d’idolâtrie et de courtisanerie exacerbé autour de lui, et des moments de détente et de convivialité comme les pique-niques dans la montagne avec ses secrétaires… Il ne se couche pas avant 4 heures, faisant subir à son entourage d’interminables monologues, puis se fait réveiller à midi. Il ne donne jamais d’ordres clairs, semble ne rien décider, mais ses acolytes qu’il ne cesse d’opposer les uns aux autres, doivent déduire sa volonté de son verbiage qui ressemble souvent à une bouillie indigeste.

La traduction de Didier-Armand Canal est remarquablement rédigée dans un style plaisant et les commentaires de Thierry Lentz sont lumineux. Un document clé de l’histoire du XXe siècle enfin accessible en français à lire pour connaître l’envers de l’une des plus épouvantables tragédies de l’histoire de l’humanité.

MT

Author: Redaction

Lecture: Jusqu’à la chute (Mémoires du majordome d’Hitler) Heinz Linge, Perrin 2023.

Ce témoignage est paru en Allemagne en 1980. Il émane du plus proche serviteur et homme de confiance du Führer, celui qui fut chargé d’incendier son cadavre et celui d’Eva Braun après leur suicide. Le livre a servi de base au chef d’œuvre cinématographique la Chute, qui raconte les derniers jours d’Hitler dans son bunker à Berlin. Voici la première traduction en français, 43 ans après la sortie du livre. L’ouvrage est présenté par l’historien Thierry Lentz et abondamment fourni en notes de bas-de-page qui permettent de situer les protagonistes.

On en a beaucoup dit sur la banalité du mal, mais c’est bien l’impression qui s’en dégage. Visiblement Linge, SS désigné auprès d’Hitler pour ses qualités physiques et psychologiques d’excellent « aryen », est un personnage médiocre, servile, conformiste. Mais il raconte au jour le jour sa vie auprès du dictateur. Il se vante de toujours l’avoir servi avec loyauté et même en 1980, après avoir passé une partie de sa vie en captivité en URSS, il semble continuer de vouer au « diable » une admiration et un respect préservés…

Son récit comporte des portraits de l’entourage de ce dernier: Speer l’architecte du Führer, jugé affable et courtois, Bormann, une brute sanguinaire qui frappe sa femme et ses enfants, maltraite physiquement ses collaborateurs, Göring, arrogant et méprisant avec les serviteurs mais particulièrement obséquieux avec Hitler. La vie de ce dernier avant la guerre, et surtout pendant, est racontée au jour le jour. On perçoit le contraste en la banalité de son quotidien pendant que sous ses ordres s’accomplit l’un des plus épouvantables crimes de l’histoire de l’humanité à partir de septembre 1939.

L’homme est plein de petites manies, ne supporte pas l’odeur du tabac ni l’alcool, hygiéniste avant l’heure, ne mange que des légumes, jamais de viande, malgré les conseils de ses médecins. Ses ébats sexuels avec Eva Braun sont bruyants… Mais son état de santé se dégrade inexorablement et Linge, qui vit dans l’inquiétude pour son chef, raconte son effondrement physique, surtout après l’attentat de juillet 1944. Pourtant, son état n’a rien qui puisse s’assimiler à la folie et il plaisante même de cette rumeur. « Un membre de son escorte voulait devait téléphoner au comptable de son unité et le Führer voulait en même temps téléphoner à Speer […] Par erreur, les communications établies furent interverties au centre d’appels. L’aide de camp tendit le combiné au Führer en pensant que Speer était au bout du fil. Mais après que Hitler se fut annoncé – selon son habitude – avec la formule « ici le Führer », un éclat de rire sonore retentit à l’autre bout de la ligne : il émanait du comptable qui toujours en riant aux éclats hurla dans le combiné: « Mais tu es dingue ou quoi! ». Je redoutais un éclat aux fâcheuses conséquences mais Hitler rendit l’appareil en disant: « Celui-là aussi dit que je suis fou! »

Cette vie quotidienne est dominée par l’obsession paranoïaque envers ses généraux soupçonnés en permanence de trahison, et même les pontifes du parti nazi qui exaspèrent le Führer, la croyance mystique d’être guidé par la providence et donc infaillible, l’enchaînement des colères hystériques (plutôt rares avant 1943 mais fréquentes après la défaite de Stalingrad), un climat d’idolâtrie et de courtisanerie exacerbé autour de lui, et des moments de détente et de convivialité comme les pique-niques dans la montagne avec ses secrétaires… Il ne se couche pas avant 4 heures, faisant subir à son entourage d’interminables monologues, puis se fait réveiller à midi. Il ne donne jamais d’ordres clairs, semble ne rien décider, mais ses acolytes qu’il ne cesse d’opposer les uns aux autres, doivent déduire sa volonté de son verbiage qui ressemble souvent à une bouillie indigeste.

La traduction de Didier-Armand Canal est remarquablement rédigée dans un style plaisant et les commentaires de Thierry Lentz sont lumineux. Un document clé de l’histoire du XXe siècle enfin accessible en français à lire pour connaître l’envers de l’une des plus épouvantables tragédies de l’histoire de l’humanité.

MT

Author: Redaction