Lecture: Henri IV, Jean -Pierre Babelon, Fayard, 1982

Le Henri IV de JeanPierre Babelon est de taille impressionnante: plus de 1000 pages! Pourtant, il se lit vite, sans longueur, avec beaucoup de plaisir. La vie du Vert-Galant (1553-1610) n’est pas résumable en quelques lignes tant elle est riche en événements, correspondant à la période la plus dramatique des guerres de religion. Il est fascinant de se demander pourquoi ce roi d’une époque ténébreuse et sanglante est resté dans la conscience française, plus de 500 ans après, comme l’un des plus grands chefs d’Etat que la France ait connu en 1500 ans d’histoire (en prenant Clovis comme point de départ).

L’auteur ne cache rien de ses défauts personnels qui sont aussi des qualités au sens où ils le rendent humain. Henri IV, c’est bien connu est un épicurien. Il aime passionnément les femmes, multiplie les « bâtards », il adore boire et manger, à l’excès. Il ne vit que pour la chasse. Il joue des sommes d’argent considérables, qu’il perd et doit ferrailler avec son bras droit et ami, Maximilien Sully, pour que ce dernier qui tient les cordons de la bourse accepte de payer ses dettes sur les fonds de l’Etat (la distinction entre les biens privés et l’argent public n’est pas claire à l’époque). En dehors de ce vice, il se montre plutôt avare, mal habillé (toujours en tenue noire), sale, il se laisse humilier par ses maîtresses. L’une d’elle (on ne sait plus laquelle après 1000 pages) lui dit: « Tu es moche, tu pues le bouc, et je n’aurais jamais couché avec toi si tu n’étais pas roi ». Sa seconde épouse, Marie de Médicis (après l’annulation de son mariage avec la reine Margot), le maltraite à cause de ses infidélités et aurait même levé la main sur lui! Il est faible, cède aux caprices de ses maîtresses et accorde des faveurs invraisemblables à leurs proches. Pire, il se montre indécis, hésite indéfiniment avant de se décider, écoute tout le monde, le dernier qui parle, s’en remet à ses hommes de confiance, en particulier Sully. Il ne travaille pas ou peu, n’aime pas les dossiers, encore moins les réunions de travail ou les Conseils du roi qu’il quitte prématurément pour partir chasser.

Mais voilà, par-delà ces défauts, il fut un immense roi… Peut-être le plus grand de tous les rois. En tout cas, l’image qu’il a laissé à la postérité. D’abord, revers de la médaille, il était simplissime, on a envie de dire, un Français comme les autres, avec ses forces et ses faiblesses. Elevé à la rude, avec les enfants du Béarn, il parle à tout le monde sans ostentation, préfère le contact des paysans et des artisans à celui des nobles qui le lui reprochent amèrement. Il s’arrête lors des déplacements royaux pour aller parler avec les gens et leur demander ce qui ne va pas. Brave homme généreux, sans rancune – autant qu’homme brave, marchant à la tête de ses troupes pour l’exemple, la reine Elisabeth d’Angleterre, son alliée, lui reproche sa clémence qu’elle ne comprend absolument pas. Par certains côtés, il ressemble à un Français comme un autre. Il veut que « chaque laboureur ait les moyens de mettre une poule au pot ». Dans une période de chaos absolu, où le royaume est morcelé en factions haineuses qui s’entretuent et ravagent le pays, il n’a qu’une idée en tête: restaurer l’unité de la France. Peu soucieux de son image personnelle, entièrement dévoué au bien de la France, il place les principes au second plan. Henri IV a changé de religion à quatre reprises. Il accepte de se convertir enfin au catholicisme pour conquérir Paris et restaurer l’autorité dans le Royaume. En combinant la fermeté (lutte armée contre la Ligue) et la négociation (Edit de Nantes 1598), personnage emblématique, il rassemble derrière lui le parti modéré, multiplie les ralliements y compris de ses anciens ennemis, ramène la pays civile dans un pays en cours de dislocation. Quand il a été sacré roi après la mort du dernier Valois, Henri III, en tant que descendant par la loi salique d’une branche cadette de Saint Louis, la France n’était qu’un monceau de ruines sanglantes déchiré entre factions fanatisées et sous domination étrangère, espagnole et britannique. Quand il meurt sous le couteau de Ravaillac, elle est redevenu une puissance européenne prospère et respectée.

Dans un livre extrêmement riche en informations sur une période complexe – et mal connue – , l’une de celles où la France est passée à deux doigts de la destruction, Jean-Pierre Babelon concilie le souci de la précision historique et d’un portrait psychologique fascinant.

MT

Author: Redaction