Toute réflexion sur la crise de la démocratie mérite d’être saluée. Celle de M. François Garçon, maître de conférence à Paris I, est particulièrement vivifiante et nourrit un débat central de notre époque. L’auteur commence son propos par un état des lieu du déclin scolaire français. « Pour les tests PIRLS, la France non seulement rétrograde encore par rapport à la précédente évaluation (elle est le seul pays dans ce cas avec la Hollande), mais, en trente-quatrième position, somnole parmi les cancres. » Cette abaissement intellectuel est à la source de toutes les reculades manifestes, sur les plans économique, scientifique, international…
Pour l’expliquer, François Garçon développe une critique radicale du modèle de gouvernance français (qui dépasse le champ de la politique). Il dénonce la morgue des élites dirigeantes envers le peuple comme un mal chronique : « L’arrogance, chaque citoyen français en a reçu son lot. Mais l’arrogance est plus visible, plus démonstrative chez les dominants, chez qui elle prolonge le statut social et le souligne. Chez eux, l’imprégnation se renforce tout au long du parcours de formation. Nous étions les plus beaux, les plus intelligents, les plus honnêtes et les détenteurs de la légitimité, ose dire Simon Nora, un connaisseur. »
L’auteur fustige une culture du pouvoir touchant tous les milieux – politique, administratif, éducatif ou secteur privé – issue d’une éducation qui voue un culte à la mégalomanie narcissique, à la puissance solitaire du décideur convaincu de sa supériorité. Il attribue l’affaiblissement de la France à « l’individualisme forcené » des élites, à la faiblesse du dialogue et de l’écoute, à la verticalité et au mépris des gens. « Une des affectations graves du management français est l’autoritarisme. La France se caractérise par sa culture d’autorité […] Pour en prendre la mesure, il ne faut guère compter sur la lucidité des intéressés, tous convaincus de leur capacité à savoir diriger, contrôler, ordonner […] Quand un individu est convaincu d’être capable de prendre tant de décisions vitales dans l’entreprise où il a posé ses valises huit jours auparavant, il est logique de crucifier les esprits simples qui prétendent avoir un avis divergeant du vôtre ». Le constat est imparable… L’analyse des causes de cette dérive – issue principalement selon M. Garçon du système des grandes écoles – plus discutable. La critique de l’élitisme a en tout cas l’avantage d’ouvrir et de stimuler un passionnant débat d’idées.
Selon M. Garçon, le système politique français touche aujourd’hui au paroxysme de cette dérive à travers une invraisemblable chute dans l’autocratie. L’auteur développe à cet égard une vision d’une rare lucidité [que pour le coup, je partage à 100%] : « … ce drôle de modèle hyper-présidentiel que ses fondateurs souhaitaient doter de fondations solides et stables pour en finir avec la IVe République. Aujourd’hui, le système politique français est peut-être le plus fragile d’Europe occidentale: bousculer le capitaine – et lui seul – suffit pour provoquer la catastrophe, ce qu’ont bien compris les naufrageurs. » Il déplore les gadgets inventés par le pouvoir politique pour faire semblant de restaurer le lien démocratique: « Et si, tout simplement, le tirage au sort n’était là que pour éviter de consulter directement les citoyens, tous les citoyens. »
Sans forcément le copier en tous points tant les deux nations sont différentes par leur démographie, leur géographie et leur culture, M. Garçon suggère de s’inspirer du modèle suisse dont il est un fin connaisseur pour sortir de l’impasse. « Et si, à propos de la démocratie directe, on parlait enfin sérieusement? De la Suisse par exemple! » Il détaille les modalités d’une gouvernance politique a minima: présidence tournante, « ni vague, ni bruit lorsqu’à Berne, tous les quatre ans, au sein du Palais fédéral, les élus du peuple reconstruisent l’entier exécutif du pays. » Il présente une démocratie suisse apaisée et préservée, à l’inverse de la politique française, du naufrage dans l’hystérie comme masque de l’impuissance et des échecs (polémiques quotidiennes, coups de mentons stériles, postures narcissiques).
Puis il explique longuement le modèle de la démocratie directe, fondée sur une pratique fréquente du référendum. « Il est exact que les Suisses votent beaucoup, au minimum quatre fois par an […] les électeurs se prononcent sur des lois qu’élus et gouvernement leur soumettent (référendum obligatoire), ou que les citoyens contestent (référendum facultatif), ainsi que sur des projets de lois initiés par les citoyens contournant les assemblées élues et qui, se faisant, font valoir leur point de vue (initiative populaire). » Chaque vote donne lieu à un important travail d’information et d’explication destiné à l’électeur.
L’auteur ne voit pas forcément dans ce modèle une solution miracle aux problèmes de la France. Il estime simplement que la France pourrait en tirer partie en l’adaptant à ses caractéristiques. Il réfute l’idée que les Français ne seraient pas aptes à pratiquer une part de démocratie directe et seraient voués à sombrer dans la démagogie: « Les Français ne sont pas des idiots. » En tout cas, dans leur grande majorité, pas moins responsables ou éclairés que les Suisses.
Maxime TANDONNET