Retour sur l’un des pires abominations de la France dite « d’en haut » de ces quinze dernières années, une tragédie déjà ensevelie dans les sables de l’oubli. Le 12 mai 2003, M. Baudis, directeur du CSA, ancien maire de Toulouse, homme politique centriste, est informé par son directeur de cabinet que son nom circule dans une nouvelle affaire concernant le tueur Patrice Alègre.
Deux ex-prostituées, Patricia et Fanny, entendues comme témoins par la justice, l’accusent des pires atrocités en particulier de les avoir violées, mais aussi, de tortures, actes de barbarie et meurtres d’enfants à l’occasion de partouzes sado-masochistes quand il était maire de Toulouse. Le 18 mai, alors que l’affaire n’est pas encore sortie, Baudis prend les devants et tente de s’expliquer au 20 heures de TF1. Son intervention fait l’effet d’une bombe. La France dite d’en haut, médiatique, entre dans une véritable chasse à l’homme.
Le journal la Dépêche du midi dont le propriétaire est un grand notable politique, alimenté par l’officier de gendarmerie chargé de l’enquête, multiplie les scoops accablants pour l’ancien maire, exerce une pression hallucinante sur la justice, mise en cause elle aussi, accusée de couvrir un ancien procureur supposé mêlé à l’affaire. Sous la pression de la presse locale, le parquet ouvre une information judiciaire, ce qui alimente la rumeur de la véracité des faits.
Les télévisions se déchaînent: « A 13 heures, nous allons diffuser l’interview d’une ex-prostituée vous mettant en cause« , annonce à Baudis Olivier Mazerolle de France 2. « Mais vous l’avez déjà diffusée ce matin! » Puis TF1 en rajoute, Patrick Poivre d’Arvor donnant la parole à un dénonciateur sous le pseudonyme de Djamel. Ce dernier est ensuite invité sur les plateaux de France 2 pour confirmer ses accusations. Canal+ prend le relais à travers l’un de ses plus célèbres animateurs, Carl zéro. Celui-ci, dans un accès d’acharnement, lit une longue lettre de l’assassin Patrice Alègre accablant Baudis, puis, à plusieurs reprises, donne la parole aux accusatrices, masquées, qui l’accablent de nouveau. L’histoire révélera que l’une d’elle a été fortement rémunérée pour participer à l’émission.
L’engrenage s’accélère. La crise d’hystérie prend des proportions inouïe. Le journal le Monde, la référence morale et intellectuelle suprême de la France dite d’en haut, informé par une source locale (toujours le même enquêteur) annonce de nouvelles révélations: « Derrière les tentures qu’ils ont arrachées, les gendarmes ont découvert dans les murs plusieurs fixations d’anneaux qui avaient été meulés. Ces anneaux étaient situés bas, à une cinquantaine de centimètres du sol, à hauteur d’enfant […] Ces moquettes étaient couvertes de tâches brunâtres que la propriétaire a identifié comme tâches du sang séché. »
M. Baudis raconte sa vertigineuse descente aux enfers, les meutes de caméras lancées à ses trousses, son honneur bafoué, la menace d’une arrestation, des mois de tourments au milieu de sa femme et de ses enfants qui partagent sa souffrance. A l’exception d’une poignée de journalistes qui prennent sa défense, par exemple Ivan Rioufol du Figaro, Jean-Marie Pontault de l’Express, FOG du Point, l’ancien maire de Toulouse est lâché par tout le monde, à commencer par la classe politique: il ne se trouve pas une voix, parmi les centaines de députés et sénateurs supposés amis pour le soutenir. Le voilà banni, placé en quarantaine: un invraisemblable climat de lâcheté écrase le pays comme si toute personne qui prendrait sa défense risquait de voir son image salie.
Au cours de l’été, les accusateurs, Patrice Alègre, Djamel et les deux prostituées, placés par M. Baudis et son avocat face à leurs contradictions, se rétractent les uns après les autres et son innocence est établie. Tout était faux, de A à Z, y compris le supposé local de torture soi-disant découvert par le Monde. Dominique Baudis, après avoir été ainsi martyrisé par le système médiatique, est décédé récemment d’un cancer, sans doute des suites de la souffrance endurée. En revanche, ses bourreaux qui l’ont ainsi traîné dans la boue, se vautrant dans le sensationnel d’une mise à mort, prenant un goût morbide à son lynchage, eux sont toujours en place. On sort de ce témoignage avec au cœur une véritable nausée.
Maxime TANDONNET