Geoffroy d’Astier de la Vigerie est le petit-fils de l’un des principaux protagonistes de l’affaire Darlan: François d’Astier. Grâce à de nombreux documents et témoignages inédits, il apporte un regard neuf sur les événements qui ont bouleversé le cours de la Deuxième Guerre mondiale sur la rive sud de la Méditerranée, entre novembre 1942 et janvier 1943.
Avec beaucoup de talent, dans un livre passionnant et riche de révélations, l’auteur fait la clarté sur une tragédie mal connue dont les conséquences ont été cruciales pour l’avenir de la France. Il revient sur l’épopée des trois frères d’Astier de la Vigerie, trois grands résistants sous des engagements différents: François, général d’aviation, l’un des principaux commandants de l’armée de l’air en 1940, ayant rallié le général de Gaulle à Londres; Henri, royaliste et nationaliste; Emmanuel fondateur de l’un des réseaux de résistance en zone non occupée, Libération (dont il est peu question dans ce récit).
Au centre de la tragédie se trouve la colère de François d’Astier envers l’amiral Darlan. Ce dernier, à la tête de la flotte française, clame en juin 1940 qu’il refuse la fatalité de la défaite et s’apprête à poursuivre la guerre: « Comme grand amiral de la Flotte, je m’y refuserai [à l’armistice] avec la dernière énergie, la flotte continuera le combat. » Cependant, il change son fusil d’épaule et accepte un poste de ministre dans le gouvernement formé par le maréchal Pétain. « Comment, vous faites partie de la coalition gouvernementale qui a demandé la capitulation? Je croyais que vous pensiez que c’était une trahison? – Je le pensais comme amiral, mais maintenant, comme ministre de la Marine, les choses pour moi ont changé d’aspect. » Par la suite, devenu le bras droit du maréchal en 1941, Darlan s’engage dans une politique collaborationniste avec l’Allemagne hitlérienne incluant des clauses militaires.
[Eternelle tragédie de l’ambition et de l’ivresse du pouvoir qui conduit au reniement, à l’aveuglement puis à l’irréparable.]
Ulcéré par cette volte-face, François d’Astier, rallié à la France libre, parle désormais de « liquider » Darlan. Ce n’est pourtant pas lui, le grand père de l’auteur, qui s’en est chargé, mais son frère, Henri.
Ce dernier, à l’automne 1942, à Alger, est à la tête d’une conjuration de cinq hommes, dits « les Cinq », pour organiser, en liaison avec Murphy, un diplomate américain, un débarquement des alliés en Afrique du Nord (placée sous l’autorité du régime de Vichy).
Quand celui-ci (opération Torch) survient, le 8 novembre 1942, l’amiral Darlan se trouve par hasard en Algérie. Bien qu’il ait ordonné au nom du gouvernement de Vichy aux forces françaises sur place de combattre le débarquement allié, c’est lui que, par commodité, les Américains désignent comme chef politique et militaire de la France en Afrique du Nord.
Henri d’Astier, tout en étant en charge des questions de police dans l’équipe qui entoure à Alger l’amiral Darlan, organise un complot avec l’aide d’un prêtre, l’abbé Cordier et plusieurs personnalités royalistes, pour porter au pouvoir le comte de Paris, dans l’optique d’une restauration monarchique. Ce dernier se prête à l’opération en des termes ambigus: « Non pas en prétendant, mais en rassembleur de tous les Français d’Afrique du Nord« . Pour cela, il faut liquider Darlan qui refuse toute idée de démission.
François d’Astier se trouve en Algérie à la même période, en tant qu’envoyé du général de Gaulle. Il est informé des projets de son frère mais n’y prend pas directement part. Lui-même, tout comme les Américains et les Britanniques, n’envisage pas une solution consistant à porter au pouvoir le comte de Paris entouré de de Gaulle et Giraud et encore moins la restauration de la monarchie.
L’assassinat de Darlan, le 24 décembre par le jeune Bonnier de la Chapelle, exécuté quelques heures plus tard, est ainsi le fruit d’un complot monarchiste dans lequel les gaullistes n’ont pas trempé même s’ils en ont été les bénéficiaires. En effet, par la suite, rien ne s’est passé comme prévu. Le comte de Paris, privé des soutiens sur lesquels il comptait s’est dérobé. L’assassinat a ouvert la voie, non pas à la restauration de la monarchie, mais à l’avènement du général de Gaulle et de la France combattante.
Voici un livre limpide qui fait la clarté sur des événements d’une rare confusion, bien écrit et remarquablement documenté. Je le recommande aux passionnés de cette période.
Maxime TANDONNET