Deux amis m’ont récemment offert les livres de témoignage de leurs proches, juifs rescapés des camps de concentration du siècle passé, l’un Auschwitz, et l’autre le Goulag. En ces temps d’incertitude et de questionnement sur les valeurs et sur le destin de l’humanité, ces souvenirs, rapportés du fond de l’enfer, constituent une précieuse source de lumière.
L’un Roger Perelman, déporté à Janina, camp satellite d’Auschwitz le 1er novembre 1943, évacué le 18 janvier 1945 raconte comment il fut l’un des deux survivants d’un groupe de 40 déportés. Il est impossible de résumer en quelques lignes la souffrance qu’il a vécue et les conditions de sa survie, mais la leçon qu’il tire de cette plongée dans les entrailles de la férocité humaine fait froid dans le dos: "Finalement, je crois intimement qu’un régime de type nazi peut réapparaître et que la mémoire d’Auschwitz ne l’empêchera pas comme elle n’a pas empêché d’autres génocides en Europe ou ailleurs. Je le crois parce que la haine est mobilisatrice, la modération est contemplative et surtout volatile." [Roger Perelman, une vie de juif sans importance, Robert Laffont].
L’autre, Julius Marcolin, originaire de Biello-Russie, a été déporté au Goulag en 1939, sans raison particulière si ce n’est sa religion, et libéré en 1945. Son récit fait état de la même barbarie absurde – les coups, le froid, la faim, la promiscuité, les maladies, la rage permanente d’humilier et d’avilir pour déshumaniser – mais avec une différence qui est l’absence de la volonté d’extermination. Impossible également de résumer cet ouvrage bouleversant de près de 800 pages. Sa conclusion est elle aussi accablante sur la lâcheté humaine, le conformisme, l’aveuglement volontaire, l’instinct grégaire: "En effet, il suffit de faire allusion aux victimes des camps [staliniens] pour que, chez des hommes en d’autres circonstances pleins d’une bonté mielleuse et d’une sensiblerie démocratique pour la moindre imperfection de notre monde, brusquement poussent des crocs de loup et se manifestent une surdité totale et une secheresse de coeur." [Julius Magolin, voyage au pays des Ze-Ka, le bruit du temps]. Ces propos, qui datent de 1947, n’ont-ils pas une connotation étrangement actuelle?
Maxime TANDONNET