1-Emmanuel Macron doit s’exprimer après le Grand Débat dimanche et mardi. Le président se retrouve dans une situation où il va devoir répondre à une demande forte de la part des contributeurs et d’une frange de la population française sans avoir le soutien politique pour assumer un tournant équivalent à ceux de De Gaulle en 1958, Mitterrand en 1983 ou Chirac en 1995. Le président se retrouve-t-il devant une équation impossible à résoudre ?
La situation est en effet compliquée, au point qu’on a du mal à en concevoir l’issue. Elle n’a pas grand-chose à voir avec les cas historiques que vous citez. A l’époque, la politique avait un véritable sens. La volonté politique permettait de changer les choses en profondeur. Nous sommes dans une situation bloquée aujourd’hui. Avec la mondialisation, l’effacement des frontières, les transferts de compétences à Bruxelles, la décentralisation, la puissance des juridictions en particulier le Conseil constitutionnel, le poids de la dette publique et des déficits, le pouvoir des autorités de l’Etat s’est fortement réduit. A cela s’ajoute le déclin de l’autorité et de la confiance dans les dirigeants politiques, la transparence et les réseaux sociaux qui créent un espace de contestation permanent, la violence de rue. La vérité est qu’un chef de l’Etat, contrairement à l’époque de de Gaulle, voire de Mitterrand et même de Chirac, n’a pas tant de pouvoir qu’on l’imagine. Alors, il compense cette relative impuissance dans le spectacle et les chimères : « Jupiter », « le nouveau monde », « la transformation ou la refondation » de la France ou de l’Europe, la guerre entre le « progressisme » qu’il incarne et la « peste populiste », le Grand Débat, le discours sur « rien ne sera plus comme avant ». La grandiloquence des formules trahit l’impuissance face au réel. Elle relève de la communication, du virtuel. Il arrive un stade où tout cela ne trompe presque plus personne. Et alors, que faire, en dehors de la fuite en avant dans le spectacle ? C’est la question qui se pose à lui, mais surtout, à l’institution présidentielle en général. Jusqu’à quand pourra-t-on leurrer la nation en lui vendant l’image mensongère d’un demi dieu élyséen tout puissant? Cette illusion ne sert qu’à recouvrir l’affaiblissement du politique comme mode d’action en faveur du bien commun.
2- D’un choix consistant à amender son programme de propositions catégorielles remontées du Grand Débat, à celui d’un vrai « tournant » politique, quelle est l’hypothèse la plus crédible ?
Mais voyons, quel tournant possible ? On a toujours à l’esprit la référence de Mitterrand en 1983. La situation n’a rien à voir. Les deux premières années du septennat de Mitterrand avaient une dominante idéologique très forte : alliance avec les communistes, nationalisations, relance massive de la consommation, recrutement dans la fonction publique, décentralisation. En 1983 et 1984, le choix a été fait de rompre avec une politique bien définie. Aujourd’hui, on est pas du tout dans le même cas de figure. Il n’y a pas de ligne idéologique claire et bien définie. Nous sommes avant tout dans l’affichage, les jeux des illusions, presque le romanesque comme le chef de l’Etat l’a lui-même si bien dit en parlant de lui-même après son élection. Comment rompre avec une ligne qui n’existe pas ? Donc, on est beaucoup plus dans le jeu des propositions catégorielles, destinées à donner satisfactions à diverses composantes dans l’objectif de préserver la paix civile.
3- Le macronisme, et sa définition politique encore floue, n’est-il pas remis en question par ce dilemme ?
Le macronisme est à l’image de la politique moderne, une sorte de mythe fondé sur une image de libéralisme. Mais peut-on parler de libéralisme dans un pays qui bat tous les records de prélèvements obligatoires et continue de les accroître ? Le nombre et le poids des impôts a poursuivi son augmentation, comme sous l’ère Hollande et le déficit de l’Etat ne se réduit pas sensiblement. On a bien vu le réflexe traditionnel : face à la crise des gilets jaunes, 10 milliards ont été dépensés pour apaiser les esprits. Ce n’est pas l’attitude d’un gouvernement libéral du point de vue économique. Quant au libéralisme sociétal, on peut aussi en discuter. La référence n’est plus celle de Mitterrand en 1983 mais celle de Valéry Giscard d’Estaing en 1974 et 1975. Le libéralisme avancé s’est traduit par des réformes essentielles, sur la majorité à 18 ans, l’IVG, le divorce. Rien qui puisse s’y apparenter aujourd’hui. L’époque n’est plus la même. Le chef de l’Etat s’apprête à faire des annonces spectaculaires semble-t-il. Le terme même « d’annonce » en est le reflet. Elles seront ressenties comme de la communication, au mieux, de la démagogie, au pire. De fait, le macronisme est avant tout l’allégeance à une personnalité, celle du président Macron, vainqueur du scrutin présidentiel de 2017 dans des conditions très particulières. Dès lors que son image est affaiblie par les scandales et les déceptions, un basculement s’opère dans le pays et le prestige se transforme en lynchage collectif. Le chef de l’Etat, dans une logique presque naturelle, devient le bouc-émissaire de la Nation. Au-delà du drame de l’institution présidentielle, c’est la question de tout un régime politique fondé sur le culte de la personnalité et l’abandon de l’intérêt général qui est posée.
Maxime TANDONNET