Le poison présidentialiste

Le sujet n’est pas facile et j’en parle, alors que l’affaire Benalla bat son plein, dans l’espoir de m’adresser à notre intelligence collective, notre aptitude à surmonter les clichés et les lieux communs. Les apparences sont trompeuses. L’idée d’un président élyséen tout puissant et incarnation du pouvoir est mensongère. Elle renvoie au mythe du chef et de l’autorité. Illusion, l’image du chef surexposée jusqu’à l’obscène, ne sert bien au contraire qu’à compenser l’affaiblissement de l’autorité, le délitement de la société, la désintégration sociale et mentale d’un pays dans la violence.

Le présidentialisme à la française est un véritable poison. Il saccage la démocratie. Le choix suprême qui conditionne l’orientation politique de la nation est une élection fondée sur le choix d’une personne. Celui-ci repose sur une sensation collective, une impression. Il est entièrement soumis à la propagande médiatique: rien n’est plus facile, grâce à un gros plan sur un visage, de faire basculer l’opinion. Le débat d’idée et le choix d’un projet en sortent anéantis. L’élection législative, qui est en principe celle par lequel la Nation se donne un projet politique, intervenant juste après la présidentielle, est totalement anéantie, privée de toute substance, ne servant, selon la formule convenue « qu’à donner une majorité au président ». D’où le taux d’abstention historique, de plus de 50% en 2017. Le présidentialisme est l’assassin de la démocratie.

Ensuite, il aboutit tout naturellement à travestir les buts mêmes de la vie politique. Cette dernière se focalise désormais sur l’exaltation de l’image d’un homme ou femme, l’heureux élu, dont la sublimation devient le but en soi. La classe politique autour de lui se tourne vers le but de sa glorification et de sa préservation au sommet le plus longtemps possible. La totémisation de la vie politico-médiatique aboutit à faire passer au second plan de ses priorité l’intérêt général, l’avenir du pays et de sa population. Peu importe, au regard de cette idéologie présidentialiste, que le pays se déchire dans la violence et le chaos, dès lors que l’image élyséenne  est préservée, voire renforcée, avec pour unique horizon le triomphe d’une réélection.

D’où le vertigineux basculement dans l’obsession de la communication: le but suprême n’est pas le bien du pays mais le culte de l’image élyséenne. On entre alors dans une logique de duperie permanente: la question n’est pas celle de l’action authentique pour le bien commun, mais celle de la posture et l’illusion du mouvement, de la réforme ou de la transformation. Le résultat n’existe plus mais seul compte l’idée que le peuple s’en fait. La vie publique tourne au grand spectacle narcissique et l’imposture permanente.

Cependant, l’erreur suprême du monde politico-médiatique est toujours de sous-estimer le bon sens populaire. L’échec de ce modèle est inéluctable car les gens perçoivent inévitablement l’imposture. Le présidentialisme est la source de la fracture démocratique de la guerre larvée entre les élites et la Nation.

Enfin, la pire de ses conséquences est de plonger la vie publique française dans un détestable climat de perversion mentale. L’occupant de l’Elysée (quel qu’il soit!) gonflé de vanité, perd le sens des réalités et s’embourbe dans une dangereuse dérive psychologique. Son entourage est emporté dans un sentiment voisin d’invulnérabilité et de toute puissance qui le conduit au bord du précipice – l’affaire Benalla n’est pas autre chose. Courtisanerie et jalousie deviennent les deux pôles dominants de la vie publique. La classe politique, dans son ensemble, éblouie par les sirènes de la magnificence élyséenne, sombre dans l’obsession maladive du trône présidentiel au détriment du travail pour le bien commun et du sens de l’intérêt général. Voilà pourquoi la France n’a plus d’opposition digne de ce nom.

Le régime a-t-il au moins l’avantage de la stabilité ministérielle, par rapport au IIIe et IVe République? Illusion là aussi. L’apparente stabilité n’est rien d’autre que le signe de l’irresponsabilité. Quels que soient les erreurs, les fautes commises, le rejet du pays, une sorte de paralysie s’est installée au sommet. Elle donne le sentiment que les dirigeants se protègent alors que la nation souffre et cet immobilisme se traduit par un fossé toujours plus profond entre la classe dirigeante et le peuple.

Depuis plusieurs décennies, la France piétine: chômage, déclin industriel, violence endémique, désintégration du pays dans le communautarisme, échecs dans la maîtrise des frontière et des flux migratoires, crise de l’autorité de l’Etat, dettes publiques et déficits croissants, désindustrialisation, chute du niveau scolaire, chaos généralisé, malaise profond qui s’installe. Les occupants successifs de l’Elysée et la classe dirigeante se montrent incapables, de majorité en majorité, de régler les drames qui s’accumulent.

Le système présidentialiste dans lequel la France est embourbée, est ainsi l’une des causes essentielle du mal français. Que faut-il espérer? Non pas un changement de république, mais simplement le retour à l’application de la Constitution de la Ve République gaullienne : un président protecteur et visionnaire, responsable de la politique internationale et de défense, sage et discret, au dessus de la mêlée; un Premier ministre au travail seul chargé de gouverner le pays avec des ministres puissants, et responsable de sa politique, sous le contrôle d’un Parlement souverain, indépendant et respecté, élu en dehors de l’élection présidentielle et authentiquement représentatif du pays.

Cette transformation est possible sans bouleversement institutionnel. Elle passe par la prise de conscience de de la monstruosité du système actuel et le retour à la raison démocratique. Un décalage de 6 mois minimum entre les élections présidentielles et législatives serait un premier pas dans la bonne direction. La solution idéale serait le retour à un septennat rendu non renouvelable, mais cela suppose alors une révision constitutionnelle.

L’idée que la solution au désastre actuel est de remplacer en 2022 Macron par le Pen, Bertrand, Pécresse, Mélenchon, Wauquiez, Hamon ou tout autre, avec le même mode de fonctionnement du régime, est le pire des contre-sens. Le désastre sera exactement le même, peut-être même pire s’il est possible, sous des formes différentes mais tout aussi violentes. Au-delà des hommes, c’est tout un état d’esprit qu’il faut changer et un mode de fonctionnement de la République qu’il faut modifier.  Si seulement 20% des lecteurs de ce billet pouvaient comprendre là où je veux en venir, ce serait déjà comme un germe d’espérance semé dans un grand terrain vague en friches…

Maxime TANDONNET

 

Author: Redaction