Le duel Juppé/Sarkozy

imagesAvant-hier, le site d’information Atlantico m’a interrogé sur les stratégies respectives de Nicolas Sarkozy et Alain Juppé dans le cadre des primaires de la droite et du centre. Au-delà de mes réponses ci-dessous, je pense qu’il y a une gigantesque naïveté à attendre une solution miracle d’un sauveur présidentiel. La France traverse une crise politique épouvantable, sans précédent. Nous vivons une étrange période dominée par un mélange de démence narcissique et de désintégration accélérée de l’autorité de l’Etat. L’alternance est désormais une condition de survie pour le pays. Elle n’apportera pas de remède magique à son malaise, quel que soit le futur président. Il me semble d’ailleurs que l’institution présidentielle, dans sa conception actuelle de « l’hyper président médiatique », est totalement et définitivement discréditée. Le futur chef de l’Etat, quel qu’il soit, ne fera pas la pluie et le beau temps. Ne pas comprendre et percevoir cela est à mes yeux d’une naïveté et d’une bêtise expresse. L’alternance de 2017 sera pourtant une bouffée d’oxygène pour le pays, en mettant fin à des dérives sans précédent et en portant au pouvoir de nouvelles équipes, de nouveaux visages, l’espérance simple du retour à un minimum d’honnêteté et de bon sens dans la conduite des affaires de l’Etat. C’est peu et beaucoup à la fois. Espérer davantage est n’avoir rien compris à la situation actuelle.

Maxime TANDONNET

 

Le premier tour de la primaire approche à vitesse grand V : d’ici moins d’un mois, le premier tour doit avoir lieu, le 20 novembre. Alain Juppé a d’ailleurs décidé de se démarquer en se rendant dans des banlieues du Val d’Oise cette semaine. Dans quelle mesure la stratégie diffère-t-elle effectivement de celle de l’ancien président de la République ? L’approche droite « dure »- droite « modérée » se vérifie-t-elle aussi dans la façon d’aborder la campagne ?

La visite dans le Val d’Oise me semble bien compréhensible compte tenu de la situation de certaines banlieues parisiennes. Il est logique qu’un candidat à la présidence de la République s’intéresse de près à des territoires en difficultés: échec scolaire, chômage massif, malaise des policiers. Ce n’est pas en soi un signe de modération ou de dureté mais plutôt de réalisme. Alain Juppé et Nicolas Sarkozy ne sont sans doute pas si éloignés sur le fond. Tous les deux viennent du RPR de Jacques Chirac. Ils sont plutôt libéraux sur le plan économique, pro-européens, partisan de la fermeté en matière de sécurité et d’immigration, adversaires résolus du parti lepéniste. Mais leurs stratégies sont en effet très différentes. Alain Juppé est sur une ligne unitaire. Il évite d’être clivant. Il essaye de s’appuyer sur la sympathie des médias et de la presse. Nicolas Sarkozy a opté pour une toute autre ligne. Il réclame une alternance franche. Il tente de reprendre à son compte l’exaspération populaire qui s’exprime dans de nombreux sondages. Il se veut le candidat du peuple contre les élites.

Peut-on évaluer les campagnes et les stratégies menées par les deux favori de la primaire ? Quels sont les principaux atouts de la campagne de Nicolas Sarkozy ? Quelles sont à l’inverse ses faiblesses ?

La grande force de Nicolas Sarkozy est de bénéficier du soutien résolu du noyau de son parti, les Républicains. Les militants sont farouchement derrière lui. Un phénomène de forte identification et de personnalisation de l’autorité et de l’espérance s’exerce autour de lui. Donc, il dispose d’une base très solide qui ne lui manquera jamais quoi qu’il arrive. En outre, son discours est en phase avec l’attente de l’opinion publique. Dans un climat de chaos et d’incertitude, après la vague d’attentats terroristes et le malaise des policier, l’attente d’autorité est réelle dans le pays. En toute logique, c’est Nicolas Sarkozy qui l’a le mieux compris et exprime aujourd’hui ce besoin de fermeté dans tous les domaines. Mais curieusement, cet avantage ne se traduit pas dans le sondages. C’est là qu’intervient son handicap: une image négative dans une grande partie de l’opinion publique. Il donne une impression d’ambition, de dureté et de personnalisation excessives. La confiance envers lui très forte chez les militants Républicains, manque au contraire en dehors de ce noyau dur. Pour l’instant, il n’a pas pleinement réussi la reconquête de l’opinion après sa défaite en 2012.

 Alain Juppé base en bonne partie sa campagne sur sa bonne image auprès des Français. Cette solution, si elle lui permet de garder la tête des sondages jusqu’à présent, ne souffre-t-elle pas de failles ? Que doit craindre le maire de Bordeaux ?

On peut dire que la situation d’Alain Juppé est à la fois fragile et forte. D’une part, il bénéficie d’une bonne image dans les médias et dans l’opinion publique toute tendances confondues. Ce n’est pas un hasard si des électeurs habituels de gauche se disent prêts à voter pour lui. Cette image favorable d’un homme de consensus est en effet volatile et pourrait se retourner à la suite d’une parole maladroite ou d’une campagne agressive mettant en avant de vieux souvenirs tels que la grève de novembre décembre 1995 quand il était Premier ministre. Cela ne manquera d’ailleurs pas de se produire… Pourtant, sa position comporte aussi des points forts. Elle repose sur un besoin de sagesse, d’apaisement, d’accalmie de la société politique française. A cet égard, son âge n’a rien d’un handicap. La modération de son ton est appréciée. L’opinion est complexe et contradictoire: elle veut de l’autorité, mais aussi de l’apaisement. Sa réussite dans les sondages jusqu’à présent est aussi la marque du rejet des présidences Sarkozy et Hollande marquée par les polémiques. L’opinion veut passer à autre chose. Autre point fort, considérable dans l’exercice d’une primaire: il est visiblement le mieux placé dans les sondages pour assurer l’alternance presque à coup sûr et pour battre le candidat lepéniste.

Au final, face à deux stratégies à ce point aux antipodes, le risque n’est-il pas, pour l’un comme pour l’autre, de peiner à rassembler après la victoire ? Sur quels thématiques sont-ils susceptibles de se retrouver et, éventuellement, de fédérer l’électorat de droite avant la présidentielle ?

Il est certain que la profondeur du clivage personnel entre les deux est préoccupante pour l’avenir. En cas de victoire de Nicolas Sarkozy, il est probable qu’une partie de l’électorat d’Alain Juppé se reportera sur un éventuel candidat centriste tant le rejet de la personnalité du premier est vive. Mais de même, en cas de victoire d’Alain Juppé, certains sarkozystes refuseront de voter pour lui. Les proportions que prendront ces phénomènes de non-report sont la grande inconnue. On peut tout de même supposer que la dynamique d’alternance l’emportera. Le vrai danger me semble être l’après présidentielle. Le futur chef de l’Etat disposera-t-il d’une majorité lui permettant d’imposer ses réformes? On voit bien le potentiel de rébellion de la frange autoritaire des Républicains qui n’acceptera pas une politique à connotation consensuelle et risque d’entrer rapidement dans une logique de fronde. Mais on perçoit aussi le risque de révolte d’une partie des parlementaires républicains qui n’apprécient pas la personnalité de Sarkozy et refuseront une allégeance du type de celle qui a prévalu en 2007-2012. Il me semble que le dépassement de ces contradictions passe par une dépersonnalisation des enjeux, autant que faire ce peut. Les Français vont aussi élire une Assemblée nationale donc une nouvelle majorité. Il faut que celle-ci arrive avec des objectifs clairs, sur la baisse des prélèvements obligatoires, le désendettement, l’autorité dans les cités sensibles, le soutien aux policiers, la réforme de l’éducation nationale. Pour l’instant, malheureusement, les enjeux de personnes l’emportent sur le fond et le projet d’une future majorité d’alternance manque cruellement.

 

Author: Redaction