En 2021[sur une même dictée] les élèves font en moyenne 19,4 erreurs contre 18 en 2015, 14,7 en 2007 et 10,7 en 1987. La baisse des résultats continue de concerner l’ensemble des élèves, quels que soient leur sexe et leur âge […] C’est l’orthographe grammaticale (règles d’accord entre le sujet et le verbe, accords dans le groupe nominal, accords du participe passé) qui demeure la source principale de difficultés. La baisse du niveau scolaire moyen, notamment en orthographe, n’a rien d’un mythe décliniste comme le prouve une nouvelle étude du ministère de l’Education nationale.
La dégradation du niveau d’orthographe est un phénomène de long terme dont il serait excessif d’accabler les seuls dirigeants politiques actuels. Elle s’explique, très partiellement, par des facteurs extérieurs au milieu scolaire, qui tiennent à l’évolution de la société, notamment au déclin de la lecture au profit des réseaux sociaux et des jeux vidéo, ou aux difficultés de l’apprentissage de populations n’ayant pas le français comme langue maternelle. Mais c’est pourtant bien à l’intérieur de l’école que se situent ses causes essentielles.
D’ailleurs, cette dégradation ne semble pas figurer parmi les préoccupations prioritaires des autorités politiques qui privilégient les missions à caractère sociétal de l’école sur celle de transmission des savoirs fondamentaux. Enseigner l’éducation à la sexualité et lutter contre les inégalités entre les filles et les garçons est un moyen de donner à chacun les clés de sa réussite expliquait le ministre de l’Education nationale le 12 septembre dernier dans un tweet de rentrée, sans dire un mot sur la question de l’orthographe et du niveau scolaire. Lui-même ne faisait que poursuivre ainsi dans la voie engagée par ses prédécesseurs.
Ce déclin spectaculaire n’est évidemment pas imputable aux élèves ni à leurs professeurs. Il est le fruit d’un choix idéologique de long terme qui tend à affaiblir l’enseignement du français, c’est-à-dire essentiellement de l’orthographe dans le primaire. Selon Mme Agnès Joste, professeur de français, auteur d’une étude publiée par le groupe de recherche sur la démocratisation scolaire : « Pendant ce temps les horaires diminuent (la moyenne de l’horaire hebdomadaire d’enseignement du français dans le primaire passe de 10 heures à 7,7 heures entre 1969 et 2002). L’utilisation du français dans toutes les matières (« pratique transversale de la langue ») étant censée remplacer son étude, les contenus baissent… »
Il faut y voir le résultat d’une volonté de nivellement par le bas, assumée depuis plusieurs décennies, dans une perspective égalitariste. La maîtrise de l’orthographe et plus généralement du français est considérée – à tort – comme emblématique d’un code de reconnaissance sociale et donc de reproduction des inégalités. Ce raisonnement est aux antipodes de la méritocratie républicaine sous la IIIe République qui voyait bien au contraire dans l’excellence scolaire – notamment l’orthographe – un mode de promotion et d’égalité des chances fondé sur le travail et l’intelligence, à l’opposé de la cooptation par la fortune et les relations de famille.
La baisse du niveau en orthographe n’est bien entendu pas le seul symptôme du déclin scolaire. Le classement international PISA situe la France au 23e rang mondial pour la compréhension de texte. Selon l’étude Timss, la France est désormais avant dernière de l’OCDE en mathématiques devant le Chili. Mais à travers l’orthographe, en particulier la grammaire, c’est la maîtrise du français qui est frappée de plein fouet. Or, la langue écrite, la capacité à la comprendre, à s’exprimer, former des phrases intelligibles et cohérentes, est la porte d’accès à la vie professionnelle et sociale, à la capacité de raisonnement et à la culture.
Le choix d’affaiblir le niveau de maîtrise de la langue écrite relève de l’idéologie de la table rase. Pour affaiblir l’intelligence collective d’un peuple et son esprit critique, rien n’est plus efficace que de s’attaquer à sa langue écrite. La déconstruction de l’intelligence commence sans doute par le sabotage de l’orthographe, de génération en génération. Il est infiniment plus facile de manipuler des individus qui n’ont pas appris à écrire correctement. L’incapacité à s’exprimer par écrit rejaillit sur tous les autres apprentissages : l’histoire, la littérature, les langues et la science. Subrepticement, on fabrique ainsi un individu privé de culture, sans racines intellectuelles, soumis à toutes les influences et les peurs, dépersonnalisé, privé de la curiosité livresque, de l’esprit critique et indéfiniment manipulable par toute sortes d’idoles de notre temps. Le déclin de l’orthographe contribue à préparer une société servile et décomposée.