Le consensus et les doutes

Attention SVP! Mon étrange propos ne ce matin n’est bien entendu, en aucun cas, destiné à porter la moindre esquisse de regard critique ou décalé face aux  mesures de protection imposées par les circonstances d’une effroyable tragédie. Il consiste à essayer – essayer – de réfléchir, dans la solitude d’un dimanche de confinement, à ce qu’elles signifient pour la vie sociale et au regard de l’histoire. 

Les démocraties ont mis au moins deux siècles à bâtir un Etat de droit protecteur des libertés. L’une des plus fondamentales, principe à valeur constitutionnel ultra-protégé, est la liberté d’aller et venir, protégée par les conventions internationales, la Constitution, de multiples jurisprudences. Le confinement à domicile de tout un peuple, qui n’est autre qu’une assignation à résidence collective, mesure habituellement à caractère pénal pour éviter l’incarcération, est un acte d’une portée titanesque.

Aucun exemple dans l’histoire d’une telle opération ne vient spontanément à l’esprit, même sous la Terreur de 1793-1794, sous la Grande Guerre ou l’Occupation. Sous l’effet d’une peur effroyable, cette construction de deux siècles, (voire beaucoup plus dès lors que dans la société traditionnelle, il n’était même pas envisageable d’enfermer ainsi tout un peuple), vient en quelques heures de voler en éclat. L’interdiction pour l’exemple d’accès aux plages, aux forêts, aux montagnes, applicable à l’homme seul, la suspension du droit à la solitude, donc à la pensée solitaire, est une décision à laquelle sans doute aucun régime politique, dans toute l’histoire de l’humanité, n’avait jamais songé. Provisoire? peut-être, mais un précédent est accompli, une étape franchie. Mieux, ce phénomène est venu d’horizons qui ont toujours été perçus comme les sources de la liberté.

Le peuple tout d’abord, incarnation, dans des sociétés à tradition révolutionnaire, de l’amour de la liberté, est le premier, sous l’effet de l’angoisse, à réclamer, à demander, à exiger cette suspension de la liberté au profit de sa sécurité. 95% des Français se réjouissent du confinement. Le mot interdiction prend dans l’opinion, une connotation  salutaire, salvatrice. C’est le peuple en personne qui a soif d’autorité et d’ordre. On est passé, en un rien de temps, d’un extrême à l’autre, du soixante-huitard « interdit d’interdire » à l’interdit de ne pas interdire… Thomas Hobbes, prophète du monde moderne.

La société internationale ensuite. En principe, dans notre conception occidentale contemporaine, la liberté jaillit tout autant de l’extérieur, de l’ouverture au monde, de l’universalité: Convention universelle des droits de l’homme de 1948, convention européenne des droits de l’homme. L’universel, le post national est ressenti comme une garantie du libre-arbitre individuel. Or, la règle du confinement n’est pas seulement nationale: elle est venue de l’extérieur, s’applique à un milliard d’hommes, inspirée par les modèles européens ou étrangers (Italie, Espagne, Chine, etc.) D’ailleurs, cette suspension d’une liberté fondamentale en France procède d’un gouvernement rangé sous la bannière du progressisme et non d’une équipe suspecte de populisme ou d’Etatisme autoritaire.

La grande question est que cette suspension, non pas des libertés, mais de la liberté tout court, à laquelle s’ajoute l’impact d’un épouvantable désastre économique à venir, ne peut valoir que dans un contexte de confiance absolue dans la puissance publique. Cette confiance doit se traduire en obéissance totale, sans la moindre arrière-pensée. Sinon, en cas de doute, de faille dans le pacte de soumission, d’arrière-pensée négative, tout le dispositif s’effondre comme un château de carte. En effet, une telle suspension de la liberté, de la vie collective d’une nation, aussi grave, aussi totale, ne se justifie que s’il est absolument certain qu’il n’existe pas d’autre possibilité, d’autre solution, et que rien ne peut être autrement.

Nous sommes dès lors face à deux hypothèses:

  • Soit il est démontré que ces mesures exceptionnelles reposent uniquement sur le caractère exceptionnel d’un virus d’une toxicité hors du commun et sans aucun précédent dans l’histoire contemporaine, une nouvelle peste noire qui déferle sur le monde. Dès lors, la puissance publique peut être considérée comme ayant été irréprochable: toutes les bonnes décisions ont été prises en fonction des informations scientifiques disponibles. Tel est le discours officiel et quotidien. Si tout cela est bel et bien, les voies d’un retour progressif à la normale peuvent s’entrevoir à l’horizon de quelques mois… Ou années.
  • Soit le doute s’instille: la tragédie ne viendrait pas – pour l’essentiel – du caractère exceptionnellement nocif du virus mais de l’impéritie de la puissance publique sur le long terme.  Nous serions dès lors face à un séisme politique et social d’une ampleur gigantesque, amplifié par la vague de chômage et de détresse sociale qui vient: cela signifierait que la puissance publique est elle-même la cause profonde de la suspension de la liberté – et de la tragédie qui l’accompagne. La boucle serait bouclée. Or le doute s’instille bel et bien et se propage insidieusement, sous le couvercle du consensus: affaiblissement des capacités hospitalières sur plusieurs décennies, pénurie de masques, de lits et d’équipement, de médicaments, plainte de 600 médecins, images dévastatrices, en circulation,  invitant les Français, le 11 mars, moins d’une semaine avant la suspension de la liberté, à continuer de vivre comme si de rien n’était, premier tour des municipales, etc. Que savait-on vraiment et depuis quand? A cela s’ajoutent les propos dissidents, sidérants, dérangeants, d’un scientifique de haut niveau, le professeur Didier Raoult qu’il est difficile, compte tenu de son parcours, de disqualifier d’une revers de main comme charlatanisme, et qui battent en brèche toutes les certitudes sur lesquelles reposent le discours et la politique officiels. Derrière le consensus apparent, nous avons devant nous, réunis, les germes d’une vertigineuse crise politique et sociale dont nul ne peut aujourd’hui prévoir les conséquences et l’issue.

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Maxime TANDONNET

Author: Redaction