Seul le prononcé fait foi.
Mesdames et Messieurs les ministres,
Monsieur le Président Dominique Bussereau,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Le Président de la République a lancé, le 13 septembre dernier, une stratégie globale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Son objectif n’est pas simplement de contenir la pauvreté par la redistribution, mais de transformer notre système de protection sociale, pour que la pauvreté ne se transmette plus en héritage, d’une génération à l’autre. Vous avez été nombreux à participer à l’élaboration de cette stratégie et je vous en remercie. Nombreux à partager une détermination résolue ; nombreux aussi à la conjuguer avec une lucidité qui nous fait constater que le combat contre la pauvreté est ancien, difficile, et qu’il renvoie à une forme d’humilité, il est désormais temps de convertir nos ambitions en une méthode concrète, celle de la contractualisation que je viens lancer aujourd’hui avec vous.
En deux mots, j’aimerais vous rappeler l’ambition politique qui nous anime. Sur la pauvreté, on a trop raisonné en termes de partage des compétences entre l’Etat et les départements, pas assez en termes de qualité du service rendu. Notre stratégie inverse donc la logique en mobilisant tous les acteurs – l’Etat, les départements, mais aussi les Caf, pôle emploi, les acteurs de l’insertion – en un front cohérent et efficace pour que nos concitoyens en perçoivent les effets concrets et durables, dans leur vie quotidienne.
L’Etat assume pleinement sa part de responsabilité, depuis le début du quinquennat, par des actions ciblées, notamment sur la petite enfance puisque c’est à cet âge que s’instaurent les inégalités les plus pernicieuses.
Le 15 octobre dernier, lors du Congrès de l’UNCASS, je rappelais la création de 30 000 nouvelles places en crèche, sur la durée du quinquennat, pour assurer une égalité d’accès aux modes de garde sur tous les territoires. En ce début d’année 2019, le tiers-payant pour la garde d’enfant est aussi entré en vigueur.
A la rentrée prochaine, 100 000 enfants bénéficieront de petits déjeuners, dans les classes de primaires REP+. Dans les petites communes rurales, les cantines proposeront des repas à un euro à 70 000 élèves, soit 140 repas sur l’année. Aucun enfant ne doit avoir faim, particulièrement quand il essaie d’apprendre. On sait que la malnutrition a des conséquences dramatiques sur leur développement.
L’adolescence et la jeunesse peuvent aussi constituer des moments de bascule dans la pauvreté.
C’est pourquoi le projet de loi pour une école de la confiance prévoit la mise en place d’une obligation de formation de 16 à 18 ans : à cet âge décisif, chacun doit être soit scolarisé, soit en emploi, soit en formation. Dès qu’un jeune décroche, les plateformes de décrochage scolaire gérées par l’Education Nationale enverront donc une alerte aux missions locales, qui devront systématiquement contacter les jeunes concernés et leur proposer une solution personnalisée.
Nous allons aussi étendre la garantie jeunes à 500 000 nouveaux bénéficiaires. C’est un dispositif qui n’assure pas seulement un revenu mais aussi une insertion professionnelle efficace, grâce à un accompagnement individualisé des jeunes concernés.
Aujourd’hui, je suis fier de lancer avec vous une nouvelle étape dans la mise en œuvre de la stratégie pauvreté : celle de la contractualisation. Vous l’appeliez déjà de vos vœux pendant la concertation qui a précédé la construction de la stratégie pauvreté, notamment dans le rapport remis par Mathieu Klein et Joëlle Martinaux. Car actuellement, indépendamment des bonnes volontés individuelles ou collectives, le système est devenu incroyablement complexe, opaque et parfois même aléatoire. Il faut donc le réparer et le simplifier, par un travail de co-construction entre l’Etat et les départements. Plus qu’un débat sans fin sur la recentralisation ou la décentralisation.
La contractualisation ouvre une voie qui consiste à réconcilier l’équité sur tout le territoire, dont seul l’Etat est le garant, avec une proximité de terrain dont vous êtes les premiers acteurs. Onze départements ont déjà accepté d’expérimenter cette contractualisation, avant son ouverture à l’ensemble des départements. Dès cette année, nous mobilisons 135 M€, à travers un fonds de contractualisation qui pourra s’élever jusqu’à plus de 210 M€ en 2022. Je crois savoir que vous en avez parlé ce matin : ce fonds de contractualisation a vocation à transformer le quotidien de nos concitoyens sur trois sujets prioritaires.
Le 1er axe concerne la fin des sorties sèches de l’aide sociale à l’enfance.
Nous le savons tous, les jeunes qui passent par l’ASE ont souvent des parcours chaotiques qui les fragilisent socialement et psychologiquement. Actuellement, 25% des SDF sont passés par l’ASE. Pour beaucoup de ces jeunes, l’âge de la majorité est un couperet plus qu’un seuil d’émancipation. Certains n’ont pas de boulot, pas de logement et, peut-être pire, certains nous disent qu’ils n’ont personne à qui parler en cas de pépin, de maladie, de question. Ils ne savent pas à qui demander conseil.
La contractualisation permettra désormais aux jeunes de choisir un référent officiel, parmi les figures qu’ils côtoient et apprécient dans leurs familles d’accueil, à l’ASE ou dans les associations de protection de l’enfance. Ces référents les accompagneront dans leur parcours d’insertion professionnelle et les aideront dans leurs démarches, par exemple à souscrire une assurance maladie complémentaire.
Je remercie Madame Fouzy Mathey pour l’important travail qu’elle a mené dans cette perspective, en lien avec les différents acteurs et surtout avec les premiers concernés, les jeunes sortants d’ASE. Et j’en appelle à votre engagement, sachant qu’il sera appuyé par la future stratégie de protection de l’enfance portée par la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, la Garde des Sceaux, Nicole Belloubet, et le secrétaire d’Etat en charge de la protection de l’enfance, Adrien Taquet.
Le 2ème axe concerne la simplification des guichets et des services.
Actuellement, nos concitoyens se disent désorientés ou écrasés par la complexité administrative, parfois découragés d’avoir à répéter cinquante fois leur histoire à des interlocuteurs différents. Si bien que certains sortent des circuits qui seraient censés les aider. Nous avons donc souhaité généraliser le premier accueil social inconditionnel, dans des lieux de proximité variés comme les maisons des solidarités départementales, les CAF, les centres sociaux, les PMI, les MDPH. Tout dépendra des spécificités de chaque territoire mais aucun endroit en France ne doit échapper à ce maillage.
Et nous voulons développer les référents de parcours qui coordonneront tous les interlocuteurs auxquels s’adressent nos concitoyens les plus précaires pour que leurs problèmes de handicap, de logement et de travail, par exemple, reçoivent une réponse unifiée et cohérente.
Enfin, le 3ème axe porte sur l’insertion des bénéficiaires de minima sociaux.
La meilleure manière de contrer la pauvreté, c’est d’aider nos concitoyens à en sortir par le travail. Je salue au passage la grande qualité du rapport remis par Frédéric Bierry pour nous aider à orienter tous les bénéficiaires du RSA, en un mois maximum, avec un accompagnement personnalisé. C’est aussi le sens de l’effort massif que nous consentons pour développer l’Insertion par l’Activité Economique (IAE), qui touchera, en 2022, 100 000 personnes de plus qu’aujourd’hui, afin d’offrir une activité, y compris à nos concitoyens les plus éloignés de l’emploi.
Car j’ai la conviction que pour lutter contre la pauvreté, il faut développer des solutions d’insertion adaptées à chacun, en précisant et en personnalisant le contenu du contrat d’engagements réciproques signé entre le bénéficiaire du RSA et le Conseil départemental. Actuellement, trop peu de contrats sont signés : 50% des bénéficiaires du RSA n’ont pas de contrat au bout de 6 mois. Et ceux qui sont signés sont souvent peu concrets. Le même contrat pourrait être signé avec des bénéficiaires très différents. L’idée, c’est que ce contrat vous engage à proposer des solutions personnalisées aux difficultés de logement, de garde d’enfant ou d’inscription à des formations, par exemple, qu’une même personne peut rencontrer. Et, de son côté, le bénéficiaire du RSA doit s’engager à suivre des formations et à s’inscrire dans un parcours d’insertion réel.
Parallèlement, les bénéficiaires du RSA inscrits à Pôle Emploi seront soumis aux mêmes obligations que les autres demandeurs d’emploi : ils pourront être sanctionnés en cas de refus abusifs d’offres raisonnables d’emploi. C’est le sens de mes propos sur la contrepartie aux aides sociales. Je suis profondément attaché à notre système de solidarité : il est constitutif de notre pacte républicain. Mais je crois aussi qu’il n’est pas scandaleux de poser la question des droits et des devoirs. Cette logique d’engagements réciproques, de droits et de devoir, était au cœur de la création du RMI, elle est présente dans le RSA, elle doit être assumée. Lorsque nous avons adressé la lettre de cadrage aux organisations syndicales et patronales pour lutter contre le développement de la précarité et contre le développement de la permittence, nous avons d’ailleurs indiqué que nous souhaitions mettre en place un dispositif qui incite au retour au CDI, ce qui revient à favoriser des mécanismes de droits et de devoirs pour tous les acteurs, y compris les entreprises. Il me semble donc légitime et même fondamental de se poser la question des contreparties aux versements, qu’ils soient liés à l’aide sociale, à la solidarité ou à des politiques publiques.
La puissance publique doit mieux orienter et mieux accompagner les allocataires du RSA, en proposant davantage de solutions d’insertion. Mais en contrepartie, ces derniers, qui bénéficient à juste titre de la solidarité nationale, doivent respecter les engagements du contrat qu’ils auront signé avec vous, en participant aux actions qu’il prévoit. J’assume parfaitement qu’il existe des devoirs, en face des droits, dès lors que ces devoirs sont personnalisés, adaptés à chaque situation sociale, sanitaire, psychologique.
J’attends par ailleurs beaucoup de la concertation qui s’ouvrira au printemps, autour du futur service public d’insertion. Je vous invite à y contribuer activement pour que nous concevions ensemble un nouveau service public plus efficace, plus équitable et mieux adapté aux besoins de nos concitoyens. Cette concertation devrait déboucher sur un projet de loi dès l’an prochain.
Mesdames et Messieurs, l’Etat est pleinement mobilisé pour vous accompagner : les préfets de département sont à votre disposition pour lancer la contractualisation. A partir d’avril prochain, de hauts commissaires entièrement dédiés à l’accompagnement de la mise en œuvre de la stratégie pauvreté seront aussi présents dans chaque région : ils seront, pour vous, des interlocuteurs privilégiés, qui connaissent la réalité de vos territoires. Vous pouvez donc être assurés que l’Etat est pleinement investi, sur le terrain, pour que cette contractualisation aide à changer la vie de nos concitoyens les plus précaires.
Dans son magnifique récit, La Place (1983), Annie Ernaux évoque la place sociale dans laquelle notre société tend à maintenir chacun de nos concitoyens – en l’occurrence son père qui tient un café-alimentation, à Yvetot et qui vit constamment avec la peur d’être « déplacé », démasqué, et de retomber dans la pauvreté. Aujourd’hui, certains de nos concitoyens expriment aussi leur impression d’être assignés à vie à une « place » sociale, territoriale. Toute l’ambition du gouvernement, depuis le début du quinquennat, consiste précisément à lutter contre les déterminismes qui verrouillent les destinées, depuis le plus jeune âge et aux périodes décisives de la vie – l’adolescence, la maternité, la perte d’un emploi. Pour que la pauvreté ne soit plus jamais « une place » à laquelle on serait assignée, d’une génération à l’autre, comme une fatalité.