L’agression physique contre un président de la République est signe de désintégration (pour Figaro Vox)

Les agressions physiques contre un chef de l’Etat en exercice (autres que les assassinats ou tentatives d’assassinat) sont exceptionnelles dans l’histoire de la République. Deux en particulier sont passées à la postérité.

Le 3 juin 1899, Emile Loubet est frappé d’un coup de canne par un militant royaliste alors qu’il assiste aux courses d’Auteuil. Cet acte de violence dirigé contre le président de la République traduit le climat explosif qui ronge la société française dans le contexte des suites de l’affaire Panama, l’un des plus grands scandales  politico-financiers de la IIIe République et surtout au lendemain d’un jugement de la cour de cassation annulant la condamnation au bagne d’Alfred Dreyfus (cet officier français de confession juive accusé à tort d’espionnage en faveur de l’Allemagne et victime d’une erreur judiciaire dans un climat de rage antisémite).

Cette attaque emblématique contre l’occupant de l’Elysée provoque une grave crise politique. Le président du Conseil (Charles Dupuy) est mis en cause par la Chambre des députés qui vote une motion dirigée contre lui : « La Chambre est résolue à ne soutenir qu’un gouvernement décidé à défendre avec énergie les institutions républicaines et à assurer l’ordre public. » Charles Dupuy est contraint de démissionner.

Le successeur d’Emile Loubet a lui aussi été victime d’une agression du même genre. Le 25 décembre 1908, le débonnaire Armand Fallières se promène sur les Champs Elysées quand un garçon de café lecteur de l’Action française, le quotidien monarchiste, se jette sur lui et le blesse légèrement en lui tirant la barbe. Il est interpellé et condamné à quatre ans de prison. L’impact politique est moindre que dans le cas précédent dès lors que le président de la République revendiquait sa liberté de se déplacer en privé sans garde du corps.  Le rédacteur d’un journal de gauche, le Feuillet rouge, s’indigne de cette sanction : « En République, qu’importe la déchéance d’un président. Le président, et surtout quand il se balade, est un homme. »  L’auteur de ces lignes n’est autre que Vincent Auriol qui deviendra lui-même en 1947 un chef de l’Etat populaire et grand amateur de bains de foule sans avoir jamais craint la violence quotidienne.

De fait, sous la IVe et la Ve république, la mémoire collective ne semble pas avoir conservé trace d’une agression gratuite de ce genre contre un président de la République. Certes le général de Gaulle a été victime de l’attentat du petit Clamart le 22 août 1962 mais ce geste était d’une nature bien différente : le fruit d’une opération terroriste montée par l’OAS. Un tel geste criminel est sans rapport avec une agression spontanée – non organisée –, gratuite et sans but de tuer mais de rabaisser et d’humilier. On se souvient de la bousculade dont Valéry Giscard d’Estaing fut victime à la sortie de l’Elysée en 1981 mais il n’était plus chef de l’Etat.

Pourtant, tous les présidents de la Ve la République ont adoré s’afficher au contact des Français, se fondant dans la foule – entourés de leurs gardes du corps – ou serrant d’innombrables mains par-dessus des barrières. Et tout se déroulait généralement dans un climat bon enfant. Les agressions – au moins connues, médiatisées – tellement faciles à commettre, ne se sont jamais produites ou alors n’ont guère fait parler d’elles. Cette sécurité de fait dont bénéficiaient les présidents s’expliquait par une sorte de consensus national autour du respect de la personne emblématique du chef de l’Etat, incarnation de la nation pendant la durée de son mandat et par-delà les sentiments de confiance ou de défiance qu’il inspirait.

L’agression dont le président Macron a été la victime le 8 juin dans la Drôme marque sans doute un tournant à cet égard. Il renvoie à la période lointaine, profondément troublée de la présidence Emile Loubet quand les Français se haïssaient entre dreyfusards et antidreyfusards. La France est de nouveau profondément déchirée entre deux sociétés qui ne se supportent plus, celle d’une bourgeoisie à l’aise dans la mondialisation et la « France périphérique ».

Dans ce contexte, l’image présidentielle n’incarne plus l’unité nationale mais une France rejetée par une autre. Cette gifle exprime un véritable chaos moral. Elle est le signe patent de l’effondrement de la démocratie française. Les désaccords qui ne se règlent plus par le suffrage universel et le débat d’idées s’expriment dans la violence. 

A cela s’ajoute l’extrême banalisation de la présence présidentielle qui ne date pas de la seule présidence Macron. L’exubérance médiatique des apparitions présidentielles quasiment quotidiennes – cela depuis des décennies – finit par dégrader la figure élyséenne dans l’ensemble de l’opinion en focalisant sur elle l’émotion collective, les colères et les frustrations.

Enfin, cette lamentable et lâche agression est le reflet de l’anomie – la perte des repères de l’éducation – du chaos et de la violence qui désintègrent la société française. Le coup porté à la personne du chef de l’Etat, particulièrement odieux, est à l’image de ceux qui subissent au quotidien des millions de Françaises et de Français dans un climat extrêmement délétère et une décomposition accélérée de la société.

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Author: Redaction