Les dirigeants de LR ne cessent de répéter qu’ils doivent être cohérents avec eux-mêmes. Lors des dernières présidentielles de 2017 et 2022, le retour au 65 ans figurait parmi les priorités de leur candidat. Dès lors, le parti, en tant que « parti de gouvernement » devrait soutenir le projet de loi sur le report à 64 ans de l’âge du départ à la retraite. Cependant, il n’a échappé à personne que LR avait échoué en 2017 comme en 2022 où sa candidate a subi une humiliation. Alors certes, la question des retraites n’est sûrement pas seule en cause. Mais qu’est-ce qui interdirait à la droite LR de remettre en question un projet qui a contribué à la conduire à deux défaites aux présidentielles comme aux législatives – à l’abîme?
Ils disent aussi: nous défendons les intérêts nationaux. Mais ils sont incapables, comme d’ailleurs l’ensemble des défenseurs de cette réforme, de démontrer l’intérêt objectif du passage au 64 ans. Le nombre d’annuités pour toucher une pension à taux plein est fixé à 43 ans (point qui est peu contesté par les syndicats et les salariés). L’âge moyen du premier travail est selon l’INSEE à 22, 5 ans. En théorie, l’âge de la retraite devrait donc être à 65,5 ans pour la plupart des salariés, un an et demi au dessus des 64 ans. Mais, de fait, le taux d’emploi au-delà de 60 ans est de moins de 30%. L’effet du passage à 64 ans ne saurait ainsi être que marginal, consistant pour l’essentiel à transformer des retraités en chômeurs. Le seul impact véritable des 64 ans concernerait les personnes qui ont travaillé avant l’âge de 21 ans (et qui devraient travailler plus de 43 années pour atteindre les 64 ans) : dès lors la mesure est non seulement inefficace, mais injuste dès lors qu’elle vise les travailleurs ayant fait peu d’études, notamment les professions manuelles.
Par ailleurs, si les travaux parlementaires aboutissent à neutraliser totalement l’impact de la réforme pour les travailleurs ayant commencé avant 21 ans, les 64 ans deviennent une coquille vide. Une coquille vide mérite-t-elle de plonger le pays dans la tourmente sinon la paralysie?
Ainsi, l’intérêt de cette réforme des retraites – que personne n’est capable de chiffrer en l’état – serait au mieux infime sur le plan de ses avantages financiers au regard du poids de la dette publique de 3000 milliards € qui s’est accrue de 560 milliards en deux ans sous l’effet de la politique du « quoi qu’il en coûte » du gouvernement. Alors ses défenseurs de droite LR répondent: toute économie est bonne à prendre, même minime. Mais pourquoi un tel arbitrage qui consiste à faire payer les seules catégories populaires (ayant travaillé avant l’âge de 21 ans), d’ailleurs sans la moindre garantie que ces économies ne seront pas dilapidées par la poursuite du quoi qu’il en coûte?
Alors la droite LR nous dit aussi: c’est le symbole qui compte. Cette réforme permet de revenir sur l’image du passage de 65 à 60 ans décidé par François Mitterrand en 1981. Mais encore faudrait-il pour être honnête, prendre en compte les nombreuses réformes intervenues depuis lors qui prolongent le nombre d’annuités nécessaire pour toucher une retraite à taux plein. D’ailleurs, les comparaisons européennes sur l’âge du départ à la retraite, brandies comme des Talismans par les chantres de cette réforme, négligent de tenir compte de la variable du nombre d’annuités qui conditionnent l’âge du départ à la retraite. De même, sur le plan des comparaisons internationales, il serait correct de souligner que l’âge du départ à la retraite en France, pour les personnes qui ont eu des carrières interrompues ou tardives, en particulier les mères de famille, les carrières fracturées ou certaines professions intellectuelles et ne pouvant réunir les 43 annuités en temps voulu, est à 67 ans et non 62 ans.
Les symboles, parlons-en. Le conflit autour des 64 ans oppose aujourd’hui le pouvoir politique et ses alliés à l’immense majorité du monde du travail. Selon plusieurs sondages, 90% des salariés la rejettent et une immense majorité des Français soutient le mouvement social. Cette réforme des retraites a pris en effet une dimension symbolique: celle de la fracture démocratique entre les (prétendues) élites dirigeantes ou influentes qui s’incarnent dans le macronisme et la Nation dans son immense majorité. Que la droite LR, dans cette affaire, se rallie à ce dernier contre un quasi consensus populaire est incompréhensible. Et remettre en cause la crédibilité des multiples sondages qui convergent dans le même sens et confirment un phénomène tellement perceptible sur le terrain ne saurait convaincre personne.
La France est un pays qui souffre depuis au moins une douzaine d’années, victime du terrorisme, frappé par le séisme des Gilets jaunes et deux mois de paralysie due au mouvement social de 2019-2020, puis la crise sanitaire et en ce moment la guerre en Ukraine et l’inflation. Les deux séismes – Gilets Jaunes et crise sociale – étaient de la responsabilité directe d’un pouvoir politique auquel les leçons visiblement ne profitent pas. La France est confrontée à de vertigineuses difficultés: la désindustrialisation qui s’exprime dans le vertigineux déficit du commerce extérieur, l’insécurité, l’immigration mal maîtrisée, le chômage, l’exclusion, la pauvreté, la crise de l’hôpital, l’effondrement de son niveau scolaire, etc. Elle souffre aussi du mépris de sa classe dirigeante ou influente, obnubilée par l’image d’une France « fainéante » et persuadée à tort que les Français doivent être « remis au travail » de gré ou de force.
Le déclenchement d’un nouveau séisme social – pour une réforme de portée plus que douteuse – avec les risques de violences et de blocage, est incompréhensible. Et le soutien au gouvernement de la droite LR, pourtant élue en tant que parti d’opposition, l’est encore davantage.
La vérité, tout le monde la connaît ou la perçoit. Le sens de cette réforme est politique bien plus qu’économique. Le projet est emblématique du macronisme qui y voit le trophée du double quinquennat. En s’y ralliant, la droite LR, même si elle le nie farouchement, donne au pays le sentiment de rejoindre la majorité présidentielle. Ce choix de l’état-major de LR ne fait que poursuivre et achever les vagues de ralliement de la droite au macronisme de 2017 et 2022. La droite LR fait le choix de la majorité présidentielle contre la Nation alors que cette majorité présidentielle s’effondre dans l’impopularité. Elle reconstitue à l’Assemblée, par des manœuvres de couloir, la majorité absolue que le pays a clairement refusé au chef de l’Etat lors des législatives de 2022. Elle laisse ainsi le monopole de l’opposition aux extrémismes Nupes et RN et prive les Français d’une perspective d’alternance raisonnable en 2027 (ou avant).
MT