Le spectacle que donne en ce moment la politique française n’est pas seulement affligeant. Il est déshonorant. Depuis une dizaine d’années, les désastres s’enchaînent : affaires, vague d’attentats islamistes, Gilets jaunes, covid19. Il en résulte un pays déboussolé, fracturé, privé de ses repères historiques, éthiques, intellectuels. Sur ce paysage dévasté, sur les ruines de la conscience politique française, s’enracine un nihilisme qui prend des formes multiples.
Le sensationnel et l’anecdotique ont fait main basse sur la vie publique. Ainsi, la France s’enflamme au sujet de la suppression du sapin de Noël à Bordeaux décidée par le maire écologiste. Classique : un beau scandale pour couvrir l’impuissance. Faut-il tomber dans le piège du sapin qui cache la forêt, transformer une initiative mesquine en affaire d’Etat effaçant tout le reste ? Parler du sapin de Noël ou d’autres futilités, permet d’occulter les vraies questions qui fâchent, par exemple la loi bioéthique, la PMA sans père remboursée ou l’extension des conditions d’interruption médicale de grossesse (jusqu’à la naissance), sujet qui n’intéresse personne.
L’abus des sondages de popularité est une autre forme de manipulation. Une multitude d’enquêtes paraissent simultanément pour faire de M. Philippe, l’ex-premier ministre, une sorte de recours (au cas où…). Il serait le « candidat favori » à « droite », mais aussi la personnalité la plus populaire de France. Un nième sondage le présente comme « l’incarnation de l’autorité ». Pourquoi nul ne parle jamais, au grand jamais, du bilan de trois années de gouvernement, des 80 km/h, la taxe carbone et le chaos des Gilets Jaunes, la réforme ratée des retraites et deux mois de blocage du pays, la gestion de la crise du covid-19 sous tous ses aspects (masques, tests…), etc ? Jusqu’où la table rase et le gavage des cerveaux ?
La politique est étouffée par les questions de personnes, la « peopolisation ». Le monde médiatique, et pas seulement la presse à sensation, se fascine ainsi pour les relations personnelles, réelles ou supposées, entre M. Sarkozy et M. Macron, le feuilleton de l’été à Brégançon, les rapports entre Mme le Pen et sa nièce, les hésitations de M. Baroin, ou les mouvements d’humeur du chef de l’Etat. La politique peut-elle se réduire à un spectacle quotidien – piètre spectacle ?
La magouille politicienne est évidemment aussi ancienne que la politique elle-même. Mais aujourd’hui, à la différence d’hier, elle occupe tout l’espace. 90% de la politique nationale, visible, médiatisée, se ramène désormais à la question de l’élection ou la réélection élyséenne et les manœuvres qui l’entourent. Elle explique la semi-droitisation de la parole présidentielle (par exemple sur « le séparatisme »). Elle se traduit par des vagues de débauchages. Les ralliements de « droite » au camp présidentiel, nonobstant tout contenu des politiques mais anticipant sur une réélection en 2022, sont un signe flagrant d’opportunisme bas de gamme et de mépris des électeurs.
D’ailleurs, le naufrage de la politique française dans la névrose élyséenne se présente comme une authentique perversion de la démocratie. Comment qualifier un régime politique fondé tout entier sur le rayonnement obsessionnel, narcissique et idolâtre d’un individu, écrasant toute notion de bien commun et de destin collectif de la nation ? Certainement pas une république. Mais qui cela préoccupe-t-il ?
Tout se déroule d’ailleurs dans un climat sans précédent d’obséquiosité, de conformisme, de médiocrité. Le débat d’idées et de projets collectifs a disparu, anéanti. Sur l’économie, les institutions, l’Europe, les frontières, l’école et l’éducation, les sujets de société, le moindre pas hors des sentiers battus expose son auteur à la fascisation ou la nazification. Le débat d’idées a été remplacé par la quête de gourous providentiels (de l’extrême gauche à l’extrême droite incluses) et les vagues de néant hystérique qui secouent chaque jour le pays à tout propos.
Quant aux coups de menton et postures martiales, ils ne servent jamais qu’à voiler les échecs et les renoncements. Plus personne ne parle de la déferlante de chômage qui frappe les jeunes, condamne une génération au désœuvrement, de la pauvreté et de l’exclusion qui en résultent, de l’effondrement vertigineux du niveau scolaire (destruction du bac), des déficits et de la dette publique, du niveau des prélèvements obligatoires qui battent des records historiques, de la désindustrialisation accélérée, de la violence et la délinquance qui minent la vie des Français les plus fragiles et les plus exposés (812 000 victimes en 2018), de la crise migratoire.
L’enquête CEVIPOF 2020 sur la confiance des Français souligne que 79% d’entre eux ont une vision négative de la politique. Faudra-t-il atteindre 99 % pour que survienne un début de prise de conscience ? Car l’enjeu, c’est tout simplement la survie de la démocratie française ; ou plutôt, ce qu’il en reste.
Maxime TANDONNET