Le projet de réforme du bac qui circule ressemble à une ultime étape de la marche à la médiocrité.
La suppression des séries en premières, littéraire, économique et sociale, scientifique, va dans le sens du nivellement par le bas. En mathématiques et en physique, par exemple, le programme de base devra être adapté à tous les lycéens. Dès lors, l’exigence qui s’attache encore aujourd’hui à la série scientifique sera abolie. Resteront les options mais ces dernières ont, par définition, un caractère accessoire. Le même raisonnement est applicable au français et à la philosophie, pour la série littéraire, à l’économie pour la série économique et sociale. Il faut rompre avec « l’élitisme » de la série scientifique nous dira-t-on. Cela s’appelle bien le nivellement par le bas.
La création d’un « grand oral » qui représenterait un coefficient de 30% de la note globale relève d’une logique particulièrement douteuse. La formule est prétentieuse. A la fin de la terminale, on ne sait presque rien. Alors que veut-on juger? Un niveau de culture générale proche du néant? Impossible! La facilité d’élocution? Injuste pour des jeunes impressionnés ou timides, l’avantage revenant à l’esbroufe. Au contraire favoriser l’égalité des chances en avantageant les enfants de milieux défavorisés? Alors, le bac perd ce qu’il reste de son caractère sélectif.
Quoi qu’il en soit, dans cette logique, toute notion de mérite personnel disparaît. L’idée est de choisir sur l’apparence, et non plus sur une performance intellectuelle. La forme, c’est-à-dire la présentation, l’élocution, l’image donnée, écrase le fond, la connaissance, la réflexion. Et puis, ce grand oral est une épreuve hypocrite qui permet de masquer l’effondrement du niveau de l’orthographe: briser le thermomètre plutôt que tenter de soigner un mal profond. La démagogie est totale. L’idée est de séduire les lycéens en les invitant à un grand oral de type science po ou grandes écoles. Masquer la chute dans le néant par le clinquant d’une illusion prétentieuse: tel est le futur bac.
Le contrôle continu, troisième grand volet de la réforme, est le plus compréhensible, permettant d’épargner à des élèves émotifs la pression de l’examen. Mais ils seront notés par leurs propres professeurs. Là aussi, comme pour le « grand oral », la logique est celle de la disparition de l’anonymat. Le jugement du professeur sur l’élève qu’il connaît personnellement interfère dans la note. Quel professeur sera prêt à priver du bac un élève – apprécié pour sa personnalité avec lequel il a entretenu des liens pendant une année ou plus – à raison de son niveau insuffisant? Et l’inverse…
Mieux vaudrait aller jusqu’au bout de la logique. Plus de 80% des candidats obtiennent le bac général. La réforme achèverait de discréditer ce diplôme. Alors pourquoi ne pas avoir le courage de le supprimer? Et dès lors qu’aucun gouvernement n’aura jamais l’audace d’instaurer une sélection à l’université – fondée sur des épreuves authentiques – celle-ci continuera à accueillir de plus en plus d’étudiants non préparés et à péricliter sous la masse. Car le système français est d’une hypocrisie sans nom. Il différencie d’une part les IEP et les grandes écoles qui ont droit de pratiquer la sélection et forment les futurs cadres dirigeants, d’autre part les universités, auxquelles cette sélection, par examen ou concours, est interdite, et qui n’en finissent pas de sombrer. Quelqu’un pourra-t-il un jour m’expliquer cet étrange « deux poids deux mesures », cette injustice flagrante, mais totalement banalisée, passée sous silence et hypocritement acceptée ?
L’égalité des chances, dans ce contexte, est la dernière des illusion et des hypocrisies. En détruisant, avec la nouvelle réforme, le peu de crédibilité qui restait au bac, c’est l’idée même de méritocratie républicaine que l’on achève de tuer. Le principe d’épreuves sérieuses, anonymes et sélectives, valorisant le travail, la réflexion, la connaissance et l’intelligence, dans un esprit de neutralité, permettant aux enfants de milieux défavorisés de se hisser à la force du poignet est définitivement nié. Restera la sélection par le fric et les relations. Mais tout ce magma de mensonge et de béatitude, n’est-il pas à l’image de la France actuelle? La pente est raide…
Maxime TANDONNET