La déconnexion (pour Atlantico)

Emmanuel Macron multiplie les interviews. Au Parisien il a déclaré qu’il regrettait de ne pas s’être “mouillé plus” sur les retraites, mais n’est ce pas une mauvaise compréhension du problème : le manque de confiance en lui de la population ? (Surtout quand  69% des Français estiment que la réélection d’Emmanuel Macron le 24 avril 2022 a été une mauvaise chose pour le pays.)

On est en plein cœur de la déconnexion du pouvoir. Le macronisme consiste pour l’essentiel à magnifier un personnage, un individu pour sa double prouesse d’avoir conquis l’Elysée à deux reprises. Il faut se souvenir de ses déclarations initiales après son élection en 2017 : le président « Jupiter », ou celui qui « incarne les goût des Français pour le romanesque ». Le culte exacerbé de la personnalité est une manière de nier les malheurs ou les difficultés du pays. Sublimer un homme permet de détourner l’attention des problèmes de fond. Au fond, dès lors que le président est « beau et doué », comme l’affirme un admirateur, le pays ne saurait se porter si mal et ses habitants se plaindre. Et dans cette logique, le chaos des retraites s’expliquerait par le fait que le président Macron n’aurait pas été assez présent. Tout ceci dénote une parfaite incompréhension du pays. Les « 64 ans » de la réforme des retraites, jugés inutiles et injustes, ont pris une connotation emblématique de l’autoritarisme et de l’arrogance des dirigeants envers le peuple. Le mouvement de révolte qui en est issu, aggravé par le passage en force au Parlement et largement focalisé sur l’image présidentielle, est en vérité extrêmement profond et durable.  

Dans ce contexte, pousser Elisabeth Borne à présenter une feuille de route alors que tout le monde s’accorde à dire que ses jours à Matignon sont comptés, n’est-ce pas risquer de ternir encore la parole publique et la crédibilité de son gouvernement ?

Les « cent jours » donnés à Elisabeth Borne semblent être un mode de communication à l’image du grand débat qui a suivi le mouvement des Gilets jaunes. La stratégie présidentielle consiste à présenter la cheffe de gouvernement en responsable des troubles qui s’installent dans le pays. Le chef de l’Etat regrette d’avoir été insuffisamment présent sur la réforme des retraites. Cela signifie que les autres, le gouvernement et sa cheffe, n’ont pas été à la hauteur des enjeux. Désormais, Mme Borne, dans cette logique, a cent jours pour sortir le pays de la crise. Et si elle n’y parvient pas, elle sera tenue pour responsable et remplacée par un autre Premier ministre. Alors évidemment, après les Gilets Jaunes et le Grand Débat, la débauche de communication présidentielle à laquelle la crise sanitaire a donné lieu autour du fameux « nous sommes en guerre », puis les images élyséennes du début de la vraie guerre (en Ukraine), la parole présidentielle est banalisée, galvaudée, inaudible… Le spectacle n’intéresse plus personne, ou presque. 

Pourquoi n’arrive-t-il pas à comprendre l’ampleur du problème ? Et donc à envisager comment y remédier ?

Sans doute, les traits de sa personnalité le portent naturellement à refuser de voir l’ampleur du problème. Mais ce serait superficiel de s’en tenir là. Nous vivons aussi les conséquences d’un système politique qui fait naufrage dans l’absurdité. L’élection présidentielle, dans des conditions qui procèdent largement d’une manipulation médiatique, consiste à porter sur le trône élyséen un personnage qui n’a pas nécessairement le caractère, le sens de l’Etat, la sensibilité populaire ou la vision pour incarner le pays.  Cette conquête de l’Elysée, surtout renouvelée, a toutes les chances de favoriser chez lui un sentiment d’invulnérabilité ou d’infaillibilité qui l’éloigne toujours davantage du monde des réalités. La courtisanerie sous toutes ses formes, entourage politique et collusion avec le pouvoir médiatique de la radio et de la télévision, a pour effet d’amplifier encore cet isolement et cette fracture qui l’éloigne de la population du pays. La communication qui met en avant des contacts avec la foule ne fait même plus illusion. Pire : sur la base des promesses de « transformation » de son élection initiale, le président se présente, pendant les cinq ans de son mandat, comme le maître suprême du pays, celui qui tient seul ou presque la barre du gouvernement. Tel est le prix à payer du quinquennat et de la quasi abolition du poste de Premier ministre. Il est donc, de fait, l’unique responsable des échecs et des difficultés du pays. Son obsession quotidienne, comme une drogue, de s’afficher jour après jour dans les médias amplifie démesurément le phénomène d’usure du pouvoir et la banalisation de sa parole comme de son image. Toutes les conditions d’une catastrophe sont dès lors réunies.

Author: Redaction