J’ai connu, ou tout au moins rencontré Jean Germain quand j’étais directeur de cabinet du préfet de Tours, en 1992 et 1993. Il était alors président de l’Université d’Indre-et-Loire. Dans mon souvenir, l’homme était à l’image de son apparence, extrêmement simple, gentil, débonnaire, plein d’humour, sans prétention. Etoile montante du parti socialiste dans cette ville, il n’avait rien d’un idéologue, encore moins d’un sectaire ou d’un méchant. Son parcours fulgurant de futur maire de cette ville m’impressionnait, il faut le dire. Le décalage entre l’image de succès qu’il me donnait alors et la chute au fond de l’abîme, qui l’a conduit, 22 ans plus tard, à se donner la mort, donne le vertige. Qu’est-ce que la réussite? Jean Germain, comme Bérégovoy, n’avait sans doute rien à se reprocher. A titre personnel, j’en suis intimement convaincu. C’est le sentiment exacerbé d’injustice qui mène au suicide, me semble-t-il, pas la mauvaise conscience. La politique est un exercice de funambule, en équilibre sur une corde tendue au-dessus du précipice. Un ingénieur, un médecin, un artisan, un écrivain, un professeur, un entrepreneur, vit avant tout de ce qu’il est, de sa compétence, de son talent, de son oeuvre et de son savoir faire, dont il tire une fierté qui n’appartient qu’à lui et dont nul ne disposera jamais, ni l’opinion publique, ni les tribunaux. Le politique est dans une toute autre logique. Il n’existe que dans le regard des autres, dans l’admiration, l’envie, l’estime qu’il suscite et lui fournit sa nourriture: le suffrage de ses semblables. Quand le déshonneur se met à le frapper, tout son univers s’écroule, et il se retrouve confronté au néant, sinon à une immense souffrance qui peut conduire au geste fatal. J’ai tendance à penser que le bonheur et la politique sont difficilement compatibles. L’idée même du métier politique, que l’on exerce toute sa vie ou l’essentiel de sa vie, me semble être une aberration. Il est digne et responsable de se consacrer une dizaine, une quinzaine d’années à la collectivité en tant qu’homme ou femme politique. Mais il faut savoir s’arrêter et passer tant qu’il est temps à autre chose et laisser sa place à d’autres. La politique ne peut pas être une vie. Jean Germain: c’est un très brave homme qui s’est donné la mort et qui n’aurait jamais dû quitter son métier d’universitaire, un vrai métier…
Maxime TANDONNET