Tout d’abord, il est important de dire que cet argument, selon lequel la crise démocratique ce serait l’arrivée de partis extrémistes au pouvoir est simplement ridicule, il n’y a pas d’autre mot. Il revient à tracer une frontière entre le « bien » incarné par le pouvoir actuel prétendu progressiste et le « mal » c’est à dire les oppositions dites populistes ou extrémiste. On le bilan de l’équipe au pouvoir n’a rien d’un modèle de perfection libérale ou démocratique : saccage des libertés pendant la crise sanitaire, recherche permanente de boucs émissaires à l’image des Gaulois réfractaires, gilets jaunes, de ceux qui ne sont rien, fument des clopes et roulent au diesel, ou des non vaccinés qu’on a « très envie d’emmerder », et ce mépris permanent du peuple… Je ne dis pas que le pouvoir macronien est extrémiste mais que la frontière entre lui et l’extrémisme n’est pas aussi nette qu’il le prétend. La crise démocratique c’est quand le peuple ne se sent plus écouté ni entendu pas ses dirigeants politiques élus. A l’évidence nous sommes en plein dedans. 82% des Français estiment que le pouvoir ne tient « aucun compte » de leur avis (enquête CEVIPOF sur la confiance 2023). La crise démocratique bat son plein. Ne pas s’en apercevoir relève du déni, de l’aveuglement ou de l’hypocrisie.
– A quel point a-t-on réduit le champ de l’action politique en prenant, volontairement, des actions perçues comme bénéfiques mais attentant néanmoins à notre souveraineté et notre capacité d’action ?
Ce point est essentiel. Il est à la base du climat chaotique que nous connaissons aujourd’hui. Dans notre système le président est élu comme un héros ou un homme providentiel sur la promesse de réaliser des miracles. Souvenons-nous des promesses de 2017 : le plus jeune président de l’histoire qui se présentait comme Jupiter pour transformer la France et promouvoir un nouveau monde et l’exemplarité ! En vérité les marges de manœuvre du pouvoir national sont réduites. Les contraintes financières internationales conditionnent largement la croissance, les taux d’intérêt, l’emploi, le pouvoir d’achat et la hausse des prix. Les transferts de compétences à Bruxelles privent le pouvoir des leviers monétaires et d’une grande partie du pouvoir législatif dès lors que les lois sont décidées à Bruxelles sous la forme de directives et de règlements. Le pouvoir est nu selon la formule. Alors il gesticule, se débat dans le vide, provoque, fait naufrage dans l’esbroufe et la provocation pour exister. Mais ce décalage entre l’impuissance chronique et le grand cirque quotidien de la politique ne peut qu’exacerber les tensions, exciter les esprits et mener à la violence.
– Dans quelle mesure nos politiques ne peuvent-ils et ne savent-ils pas ou plus comment sortir des pièges du monde qu’ils ont créé? Et faire les changements que réclament sans relâche la population ? (sur les questions de mondialisation, immigration, etc.)
Le problème fondamental tient à la fuite du politique dans le grand Guignol. Tout ce qui compte pour lui c’est la posture, le jeu des illusions ou des mensonges. Pour le pouvoir politique le monde des réalités n’a pas d’importance. Tout ce qui compte tient à l’image ou l’apparence. Les marges d’actions sont de plus en plus faibles. Donc pour justifier son existence, le pouvoir sombre dans le spectacle ou l’exubérance narcissique. D’où la banalisation du culte de la personnalité et ce sentiment de naufrage permanent dans le mensonge. C’est ce qu’on voit avec cette réforme des retraites. Tout le monde sait que derrière le totem des 64 ans elle est parfaitement insignifiante (sauf en ce qu’elle a d’injuste). Le pouvoir et ses alliés baignent dans le mensonge en martelant qu’elle est vitale pour l’avenir du système des retraites voire les équilibres financiers. Et tout le monde s’en rend bien compte. Ce climat de manipulation nourrit l’exaspération et la colère. Moins le pouvoir a la capacité d’améliorer la vie quotidienne, plus il bascule dans la personnalisation à outrance.
– A quel point cette impuissance croissante nourrit-elle le mécontentement et les envies grandissantes de radicalité politique ?
La colère et la violence, la radicalisation sont en partie les conséquences de cette évolution de la politique, cette rupture du dialogue et l’incompréhension entre les élites dirigeantes et la nation. Le pouvoir promet un nouveau monde se fait élire sur des promesses grandiloquentes mais ensuite multiplie les mesures ressenties comme des humiliations populaires. Le bras de fer actuel est parfaitement emblématique de l’affrontement entre une élite dirigeante qui se présente comme porte-parole des contraintes mondiales ou européennes et l’immense majorité de la population et surtout des actifs hostiles à 92%. La radicalisation dans la rue ou au Parlement est la réponse au mépris. La seule issue pour le pouvoir serait de changer radicalement de mode de fonctionnement. Plutôt que l’esbroufe, la fuite dans l’illusion et le mensonge, le spectacle grandiloquent, ou les coups de mentons aussi vaniteux que stériles, les élites dirigeantes auraient tout intérêt à tenir un discours de vérité : la vérité, c’est que cette réforme est fondamentalement illusoire et n’apporte aucune solution aux difficultés du pays. Mais pour cela, il faudrait une transformation profonde des mentalités à la tête de l’Etat : en finir avec la logique de l’arrogance. Comme beaucoup de voix le réclament, la sortie de crise passe par un référendum ou des élections, l’idée étant de rendre la parole au peuple, mais ce n’est visiblement pas la voie choisie.