Lors du dernier salon du livre, en mars, j’ai rencontré la fille d’Honoré d’Estienne d’Orves, l’un des premiers résistants de 1940, officier catholique, polytechnicien, père de quatre enfants, fusillé par les Allemands à l’âge de 41 ans. Elle m’a raconté sa dernière entrevue avec son père à la prison du Cherche-Midi, avant l’exécution de celui-ci. " – Ce devait être terrible, lui ai-je dit – Il avait fait son devoir, nous le savions, m’a-t-elle répondu". C’était il y a 74 ans, c’est-à-dire il n’y a pas si longtemps, moins que la durée de vie moyenne d’un homme. Et pourtant, le monde semble avoir totalement basculé. A voir l’actualité française, il nous paraît que la société française visible, apparente, médiatisée, manifeste la plus grande indifférence, voire du mépris, envers l’avenir du pays: vie politique sombrant dans le burlesque, la pitrerie – une pitrerie qui ne fait rire personne – élites françaises fanatisées par la défense des rentes de situation (voir la grève inique des pilote d’Air France); peuple apathique, indifférent, grégaire… D’Estienne d’Orves a écrit de magnifiques récits de voyage, mais rien sur sa vie ni ses idées; il n’a pas eu le temps, dommage. Son personnage nous inspire deux interrogations: quand on voit la médiocrité sinon la vulgarité de la France apparente d’aujourd’hui, on est en droit de se demander si son sacrifice, au nom de l’honneur, a réellement servi à quelque chose? Autre question, dans des circonstances aussi épouvantables, qui peuvent survenir à nouveau, même sous des formes totalement différentes, se trouverait-il de nouveaux d’Estienne d’Orves pour donner leur vie au nom de l’honneur? Eh bien, je crois que oui. Un Français sur un million peut-être. Sûrement pas parmi les clowns – méchants clowns – qui hantent notre univers médiatique, mais venus des profondeurs de la majorité silencieuse, soldats, chefs d’entreprises, ouvriers, fonctionnaires, illustres inconnus venus de la France discrète, de la France anonyme. Un par million, cela fait peu vous me direz: environ 60, pour 60 millions… Oui, mais les d’Estienne d’Orves ne couraient pas non plus les rues en 1940, me semble-t-il… Et par conséquent, si ma pensée est juste, son sacrifice, pour l’honneur, aura bel et bien était utile.
Maxime TANDONNET