La crise du 7 mars 1936 marque un basculement dans l’histoire de l’Europe, peut-être même de l’humanité. A l’époque, les démocraties Française et britannique conservaient encore une nette supériorité militaire sur l’Allemagne hitlérienne. L’armée allemande disposait de 480 000 hommes mais subissait le handicap d’un lourd déficit en nombre d’officiers susceptibles de mener les troupes aux combat : 4 300 officiers. La France pouvait aligner plus de 510 000 combattants – hors mobilisation générale – et les Britanniques 280 000 (Jean-Baptiste Duroselle, Histoire diplomatique, de 1918 à nos jours, Imprimerie nationale 1979).
Malgré les progrès fulgurants du réarmement allemand engagé par Adolf Hitler dès son accession au pouvoir trois ans auparavant, le niveau d’équipement de la Wehrmacht était alors bien loin d’avoir rattrapé celui de l’armée française, en matière de chars, d’artillerie, d’aviation et très largement inférieur à celui de l’alliance franco-britannique. En outre, l’Allemagne hitlérienne n’était pas encore l’alliée indéfectible de l’Italie mussolinienne.
Le traité de Versailles du 28 juin 1919 prévoyait , parmi les clauses essentielles à la sécurité de la France, le désarmement total d’une zone tampon entre la France et l’Allemagne: la Rhénanie, rive gauche et une partie de la rive droite du Rhin, sur 80 km. Quelques années plus tard, l’Allemagne confirmait son engagement à respecter cette démilitarisation d’une partie de son territoire dans le cadre du traité de Locarno, le 1er décembre 1925, négocié par Aristide Briand et le chancelier Stresemann.
Le 7 mars 1936, un samedi matin, en violation du droit international, le Führer allemand décide la réoccupation par l’armée allemande de la Rhénanie, foulant au pied une garantie essentielle sur laquelle reposait la sécurité de la France. Le gouvernement était alors dirigé par le radical-socialiste, Albert Sarraut (centre-gauche) et le ministre des Affaires étrangères n’était autre que le leader de l’Alliance démocratique (centre-droit), Pierre-Etienne Flandin.
Deux conseils des ministres sont réunis en urgence. A l’issue de celui du samedi 8 mars, le président du Conseil déclare solennellement et fièrement à la radio: « Nous ne laisserons pas Strasbourg sous le feu des canons allemand !» Le lendemain, le gouvernement se déchire sur la conduite à tenir. Quelques ministres, dont Yvon Delbos radical, Georges Mandel (Alliance démocratique), réclament une intervention militaire. La majorité hésite. Le radical-socialiste Georges Bonnet en charge du commerce et de l’industrie, préconise une issue pacifique. Flandin se range à son point de vue.
L’intervention du ministre de la Guerre, le général Maurin, s’avère décisive : une action militaire n’est, selon lui, possible que sous deux conditions : une opération conjointe avec la Grande-Bretagne et une mobilisation générale. Or, sur le premier point, le cabinet britannique dirigé par le conservateur Baldwin exclut toute action militaire. Et sur le second, comme le raconte Jean-Baptiste Duroselle : « Cette demande provoque un tollé au Conseil des ministres: la mobilisation générale, à six semaines des élections, c’était une folie! ». Le gouvernement se contente donc de mesures symboliques, notamment de lancer un « appel aux signataires de Locarno» et de saisir la SDN. Dans la presse et la classe politique, de l’extrême gauche à l’extrême droite incluses, l’indifférence, teintée de soulagement, est l’attitude la plus commune.
Il s’est avéré par la suite que l’opération lancée par Hitler relevait du coup de bluff et qu’en cas de réaction musclée de la France, le chef nazi eût retiré ses forces de Rhénanie. Sa progression eût été stoppée tout net: il ne serait plus jamais apparu aux Allemands de l’époque comme une sorte de demi-dieu invincible. Dans cette hypothèse, la possibilité d’un coup d’Etat militaire en Allemagne, mettant fin à sa course criminelle, est avérée. Le cours de l’histoire en eût sans doute été tout autre… Une étape décisive dans l’engrenage fatal qui conduit à l’apocalypse de 1939-1940 venait ainsi d’être franchie, dans un indescriptible climat de démission. Arrogance impuissante, indécision, médiocrité, aveuglement, lâcheté… Et si je vous dis que 82 ans plus tard, rien n’a changé?
Maxime TANDONNET