Elle a également été membre du Comex de BP France. Avant de rejoindre BP, elle était chargée de recherche au KAPSARC (King Abdullah Petroleum Studies and Research Center) à Riyad, où elle a mis en place et développé le programme sur le gaz naturel. Elle a également travaillé pour l’Agence internationale de l’énergie (AIE), où elle était chargée de gérer la recherche sur les marchés mondiaux du gaz, et pour IHS CERA.
Elle a commencé sa carrière en tant qu’ingénieur travaillant sur les piles à combustible et l’hydrogène chez Peugeot et Debis Systemhaus. Anne-Sophie est ingénieur diplômée de l’École Centrale Paris et de l’Université de Stuttgart.
Quel est le développement de l’économie hydrogène aux États-Unis à l’heure actuelle ?
Les États-Unis représentent un marché hydrogène assez important, avec une demande d’environ dix millions de tonnes d’hydrogène en 2021, soit un peu plus que 10 % de la demande globale d’hydrogène. Comme dans la plupart des autres pays, cette consommation est absorbée en premier lieu par le secteur du raffinage (55 %) et pour la production d’ammoniaque et de méthanol (35 %). Les activités de production sont principalement concentrées sur la côte du Golfe du Mexique, le Nord Est et dans une moindre mesure en Californie, qui était particulièrement intéressée par la production d’hydrogène pour le transport. Fait intéressant, les technologies de la pile à combustible aux États-Unis s’appuient déjà sur un historique, avec 500 MW de capacité de production d’électricité de secours installés, le déploiement de 50 000 chariots élévateurs, plus de 80 bus urbains et 13 000 véhicules électrique à pile à combustible et environ 50 stations de recharge. Le pays dispose également de 620 MW de capacité de production d’électrolyseurs.
Quelles sont les grandes mesures prises sous l’administration Biden-Harris en faveur de l’hydrogène depuis 2021 ?
Plusieurs textes législatifs ont été approuvés pour soutenir le développement de l’hydrogène et remettre les États-Unis dans la ligne des accords de Paris avec trois objectifs fondamentaux :
- Réduire les émissions de gaz à effet de serre de 50 à 52 % d’ici 2030 par rapport à 2005 (sachant qu’en 2020, cette réduction n’était que de 17 %) ;
- Décarboner le secteur de l’électricité d’ici 2035 ;
- Atteindre l’objectif de neutralité climatique d’ici 2050.
Tout d’abord, en juin 2021, le département de l’Énergie a lancé l’Hydrogen Energy Earthshot, avec des objectifs résumés par un triple 1-1-1 : atteindre un coût de production de l’hydrogène à partir d’énergies renouvelables d’un dollar pour un kilogramme d’hydrogène d’ici une décennie, avec un objectif intermédiaire à deux dollars par kilogramme d’ici 2026.
Puis, l’administration Biden-Harris a rapidement lancé une autre initiative majeure : l’Infrastructure Investment and Jobs Act (aussi appelé Bipartisan Infrastructure Law). Promulgué en novembre 2021, ce texte prévoit 9,5 milliards de dollars de financements publics dédiés à l’hydrogène, dont 8 milliards de dollars affectés au département de l’Énergie pour le développement de bassins régionaux de l’hydrogène décarboné (Regional Clean Hydrogen Hubs). Ce texte est fondamental parce que le département de l’Énergie a vraiment commencé à travailler sur le programme de développement de ces bassins et sur l’établissement d’un standard en matière d’hydrogène décarboné à partir de ce moment-là.
Par la suite, l’exécutif américain a signé en août 2022 l’Inflation Reduction Act, qui a retenu énormément d’attention à travers le monde, en faveur du développement de technologies décarbonées aux États-Unis et en particulier le développement de la production d’hydrogène.
Finalement, en septembre 2022, le département de l’Énergie a publié une version préliminaire de la stratégie hydrogène des États-Unis, avec des ambitions de production de 10 millions de tonnes par an d’hydrogène décarboné d’ici 2030, de 20 millions de tonnes par an d’ici 2040 et de 50 millions de tonnes par an d’ici 2050. Cette stratégie devrait être mise à jour tous les trois ans.
Quelles sont les principales caractéristiques de la stratégie hydrogène des États-Unis ?
La stratégie hydrogène des États-Unis est basée sur trois axes.
- Le premier concerne l’utilisation de l’hydrogène dans des secteurs en particulier, comme le transport et l’industrie, où il aura le plus fort impact en termes de décarbonisation.
- Le deuxième correspond à la réduction du coût de l’hydrogène, à travers le développement de toute l’industrie qui est associée, notamment la production d’électrolyseurs et de piles à combustible.
- Le troisième correspond au développement des bassins régionaux, qui inclut entre autres tout le volet social de la stratégie américaine, qui vise à créer des emplois rémunérateurs (high-paying jobs), dans une logique d’emploi national. Il est absolument crucial de retenir cet aspect.
En quoi la stratégie hydrogène américaine se distingue-t-elle radicalement de celle de l’Union européenne ?
La stratégie hydrogène américaine présente une approche complètement différente de celle adoptée en Europe. Aux États-Unis, on a plutôt une approche de la carotte (par exemple avec les crédits d’impôt), en Europe, c’est plutôt le bâton (par exemple avec la taxe carbone). Aux États-Unis, la seule chose qui importe réellement, c’est l’intensité carbone. Les documents officiels recourent peu voire pas du tout aux couleurs de l’hydrogène. L’approche américaine est agnostique en termes de technologie. Elle comprend l’hydrogène produit à partir du solaire, de l’éolien, du nucléaire, du gaz naturel avec stockage du carbone, et aussi à partir de biomasse ou de déchets. À la fin des fins, ce qui est important, c’est ce qu’on peut produire, à quel coût on peut le produire et quelle va être l’intensité carbone associée.
Afin de déployer cette stratégie avec une approche agnostique, le département de l’Énergie a publié en septembre 2022 un projet d’orientation pour définir un standard de production d’hydrogène décarboné (draft guidance for a Clean Hydrogen Production Standard) visant à aider le DOE dans ses décisions de financement. Cette proposition de standard était demandée par le Bipartisan Infrastructure Law de 2021. Cette proposition initiale fixe un objectif de 4,0 kgCO2e/kg d’hydrogène pour les émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble du cycle de vie de la production d’hydrogène (from well to gate). Il faudra inclure naturellement toutes les autres émissions associées, en particulier sur tout ce qui est en amont et en aval du site de production, surtout pour tout ce qui pourrait venir de gaz naturel.
L’Inflation Reduction Act apparaît comme le fer de lance de la stratégie hydrogène des États-Unis. D’où sort ce texte qui semble donner aux États-Unis un avantage crucial dans la course mondiale à l’hydrogène ?
La genèse de l’IRA s’est faite dans la douleur. Au départ, ce texte devait être le Build Back Better (BBB), un programme d’investissement gigantesque de presque 2 000 milliards de dollars. Durant les deux premières années de la présidence Biden-Harris, la Chambre des représentants était à majorité démocrate et le Sénat était divisé à 50-50 entre Démocrates et Républicains. Or un sénateur démocrate du nom de Joe Manchin, très à droite par rapport à son parti, s’est opposé à ce texte, entre autres, parce qu’il était inquiet par rapport au risque que faisaient peser ces nouvelles dépenses publiques sur l’évolution de la dette des États-Unis. Il a d’ailleurs publié une tribune le 7 février dernier dans le Washington Post en appelant à nouveau à réduire la dette. Son opposition a de fait empêché l’adoption du Build Back Better Act, qui a été révisé pour aboutir à l’Inflation Reduction Act, qui prévoit une partie de dépenses, dont les 369 milliards de dollars consacrés à l’énergie et au changement climatique, et des revenus comme un minimum de taux d’imposition pour les grandes entreprises, une réforme des prix des médicaments et l’amélioration de la collecte des impôts. Au final, l’IRA permet de diminuer la dette des États-Unis afin de répondre aux exigences du sénateur Manchin. Entre la fin 2021 et son adoption au Sénat en août 2022, puis à la Chambre de représentants, l’incertitude est restée grande sur ce texte.
En quoi l’IRA pourraient donner à l’industrie américaine de l’hydrogène un avantage décisif sur l’Europe ?
En ce qui concerne l’hydrogène, le volet le plus connu de l’Inflation Reduction Act concerne les subventions à trois dollars le kilogramme d’hydrogène décarboné. Toutefois, ce chiffre phare n’est pas affiché directement dans le texte de loi. Plusieurs articles dans l’IRA traitent de l’hydrogène et plusieurs mécanismes de soutien sont mis en place : les crédits d’impôt à la production (production tax credit) (article 45V), le crédit d’impôt à l’investissement (investment tax credit) (article 48) et indirectement le crédit d’impôt pour la capture et séquestration du carbone (article 45Q).
Comment fonctionnent ces différents mécanismes de soutien à l’hydrogène prévus par l’IRA ?
Le premier mécanisme, qui concerne les crédits d’impôt à la production (production tax credit) (article 45V), ne mentionne pas directement les trois dollars de subvention par kilogramme d’hydrogène décarboné. Ce mécanisme prévoit un montant de base de soixante cents de subvention pour un kilogramme d’hydrogène produit avec une intensité carbone comprise entre 0 et 0,45 kg CO2e sur l’ensemble du cycle de vie de la molécule et ce pendant dix ans. Toutefois, le montant de base de soixante cents peut être multiplié par cinq, pour atteindre trois dollars, si le producteur répond à des critères additionnels, notamment en termes de salaires et d’apprentissage. Il y a donc un montant de base et un montant bonus. Ce bonus de facteur cinq correspond ainsi au troisième pilier de la stratégie hydrogène des États-Unis, soit le pilier social, qui est donc fondamental.
Le deuxième mécanisme de soutien à l’industrie de l’hydrogène (article 48) correspond au crédit d’impôt à l’investissement (investment tax credit). Alors que le crédit d’impôt à la production est calculé à partir du nombre de kilogrammes d’hydrogène produit, le crédit d’impôt à l’investissement est calculé en fonction du coût du capital. Les entreprises doivent choisir entre les deux mécanismes et identifier la meilleure option en fonction de leur modèle d’affaires. L’institut de recherche américain Resources for the Future propose un graphique pour expliquer la différence entre les deux mécanismes en fonction du coût du capital et du facteur de charge. Ce graphique permet de voir que le crédit d’impôt à la production va être le mécanisme le plus avantageux dans la plupart des cas quand le taux d’utilisation est suffisamment important, ce qui est le cas de la production d’hydrogène à partir de gaz naturel avec stockage du carbone et souvent celui de la production par électrolyse de l’eau.
De quelle manière l’IRA soutient-il la production d’hydrogène fossile avec capture du carbone, sachant que les États-Unis sont le premier producteur mondial de gaz fossile ?
L’Inflation Reduction Act comprend un mécanisme qui se focalise précisément sur tout ce qui est capture et séquestration du carbone (article 45Q). Ce mécanisme de soutien n’est pas quelque chose de nouveau. Il existe depuis 2008 dans le code fédéral des impôts des États-Unis (Internal Revenue Code), et il a été amélioré en 2018. La mouture de 2018 de cet article 45Q accordait une aide publique de 50 dollars par tonne de dioxyde de carbone capturée et stockée et de seulement 35 dollars par tonne si cette tonne était capturée et réutilisée. De plus, il y avait des contraintes au niveau des utilisateurs, c’est-à-dire que les centrales électriques qui émettaient plus de 500 000 tonnes par an de dioxyde de carbone devaient en capturer au moins 500 000 tonnes par an, tandis que tous les autres acteurs devaient en capturer au moins 100 000 tonnes par an. En pratique cette disposition limitait le nombre d’entités qui pouvait mobiliser cet article 45Q. L’IRA a augmenté le montant des aides d’État à 85 dollars par tonne quand le carbone a été stocké, 60 dollars lorsqu’il est réutilisé, avec des aides encore plus élevées lorsqu’il y a un recours à de nouvelles technologies de capture du carbone directement dans l’air. Les seuils minimaux de volume de dioxyde de carbone capturé, imposés aux entités pour être éligibles à ces aides, ont été drastiquement abaissés afin de les rendre plus accessibles. Les producteurs d’hydrogène à partir de gaz naturel et capture du carbone disposent d’un mécanisme supplémentaire et ils pourront choisir entre ces différents dispositifs.
Ces différents mécanismes sont-ils cumulables entre eux par les industriels ?
Il n’est pas possible du cumuler le mécanisme de crédit d’impôt à la production d’hydrogène (article 45V) avec le mécanisme de crédit d’impôt capture et séquestration du carbone (article 45Q). En revanche, les porteurs de projets d’hydrogène renouvelable peuvent cumuler le crédit d’impôt à la production d’hydrogène (45V) avec le crédit d’impôt à la production d’électricité d’origine renouvelable, ce qui favorise très fortement ce type de production.
Quel est l’intérêt de ces mécanismes de crédit d’impôt pour tous les organismes qui ne paient pas d’impôts ?
L’IRA présente un autre aspect en matière de soutien à la filière hydrogène. Les différents mécanismes de soutien de l’Inflation Reduction Act sont des crédits d’impôt et certaines entités n’en payent pas, comme les villes, les communautés locales et les tribus. Pour ces acteurs, l’IRA propose d’être payés directement par l’administration (Direct Pay), c’est-à-dire de recevoir le montant du crédit d’impôt pour 10 ans. Pour les autres entités, cette facilité n’est valable que pour les cinq premières années. Au bout de cinq ans, une sorte de marché de crédit pourrait être créé, afin de de transférer ces crédits à une autre entité, qui elle va payer des impôts, avec probablement un rabais.
Le montant des crédits d’impôt de l’IRA dépend de l’intensité carbone de l’hydrogène produit par l’industriel. Comment est calculée cette intensité carbone ?
Du côté européen, beaucoup de discussions ont cours sur la manière de calculer les émissions qui sont attachées à l’hydrogène et aux différents types d’hydrogène. Côté américain, le texte de l’IRA est très clair pour le moment. En fait, on utilise ce qu’on appelle le modèle Greenhouse Gases, Regulated Emissions, and Energy Use in Transportation (GREET) qui a été développé par le laboratoire Argonne. Le texte de l’IRA prévoit de pouvoir faire évoluer ce modèle GREET (ou son successeur) dans le temps. À titre d’exemple, le calcul des émissions de méthane s’appuie actuellement sur un facteur de réchauffement climatique global qui est associé à une durée de cent ans, soit un facteur d’environ vingt-cinq. Mais certaines personnes ont remarqué que ça serait beaucoup plus logique d’utiliser une période de vingt ans, ce qui augmenterait le pouvoir réchauffant global à un peu plus de quatre-vingts. Par ailleurs, l’administration en charge de faire évoluer ce modèle n’est pas le département de l’Énergie, mais celui du Trésor, dirigé par Madame Janet Yellen, et plus particulièrement l’administration des impôts (Internal Revenue Service (IRS)), qui mène des consultations pour voir comment et dans quelle mesure ils vont pouvoir cadrer ce modèle de calcul des émissions qui sont associées à la production d’hydrogène. Mais pour le moment au moins, ce modèle GREET offre une base qui est claire et nette pour tout le monde.
Au-delà de l’IRA, où en sont les États-Unis avec la création des bassins hydrogène prévus par l’Infrastructure Investment and Jobs Act ?
Le département de l’Énergie a 7 milliards de dollars pour créer entre six et dix bassins hydrogène régionaux. Il a publié en septembre 2022 un imposant document, intitulé Regional Clean Hydrogen Hubs Funding Opportunity Announcement (appelée FOA). Tous ceux qui voulaient faire candidature pour avoir un financement du département de l’Énergie ont dû fournir une note d’orientation (concept paper) avant le 7 novembre 2022. Trente-trois dossiers de candidatures sont encore en lice début 2023. Les porteurs des projets doivent fournir au département une documentation finale d’ici le 7 avril 2023, avant de passer par tout un processus de sélection et d’entretiens qui aura lieu pendant l’été. Les résultats sont attendus à l’automne.
En quoi les critères sociaux, qui constituent le troisième volet de la stratégie hydrogène américaine, sont-ils cruciaux dans l’établissement de ces bassins hydrogène régionaux ?
Ces bassins doivent répondre à de multiples critères, comme une diversité en termes de sources d’hydrogène, d’utilisation finale et en termes de région, avec encore et toujours cet aspect social, à travers la création d’emplois rémunérateurs et l’amélioration de la sécurité énergétique. Le département de l’Énergie ne va pas seulement évaluer l’impact social de toutes ces candidatures sur les seuls aspects monétaires. Il va aussi regarder l’impact sociétal, donc les bénéfices à destination des communautés, en matière de diversité, d’équité, d’inclusion et d’accessibilité, dans le cadre de l’ordre exécutif signé par le président Joe Biden en juin 2021. Cette initiative s’inscrit aussi dans le cadre la directive Justice40 Initiative , qui fixe comme objectif que 40 % des bénéfices des investissements fédéraux iront à des communautés qui sont désavantagées. Un outil en ligne permet d’identifier sur tout le territoire des États-Unis les zones où les communautés sont désavantagées et par rapport à quels critères, comme l’exposition aux particules fines, les risques d’incendies et d’inondation, les inégalités de santé ou encore de revenus. C’est vraiment un outil très précis, à l’échelle de quelques bâtiments. Je pense qu’on ne parle pas suffisamment de ces critères dans la presse européenne alors que c’est extrêmement important.
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