TRIBUNE POUR LE FIGARO VOX:
La France « d’en haut », la France médiatique, célèbre en ce moment le premier anniversaire de l’élection du plus jeune président de l’histoire, à moins de 40 ans. Il est une autre commémoration, désormais enfouie dans l’oubli de cette même France d’en haut, sa plus grande défaite de l’histoire contemporaine, l’échec du référendum sur la Constitution européenne, le 29 mai 2005. Treize ans déjà, et le séisme de la défaite du oui ou de la victoire du non, paraît totalement oublié, refoulé dans les couches profondes de l’inconscient collectif.
Et pourtant… L’anniversaire de l’élection d’Emmanuel Macron a donné lieu à une avalanche de sondages d’opinion. Par le plus étrange des paradoxes, les résultats relatifs à sa cote de confiance coïncident précisément avec ceux du référendum de 2005. Le non l’avait emporté avec 55% des suffrages. Le dernier sondage IPSOS donne 55% de mécontents de l’actuel chef de l’Etat. Dans le détail, le niveau de satisfaction, par préférence partisane, correspond à peu près exactement aux résultats du 29 mai 2005. Les centristes, donc LREM, sont contents du bilan d’un an de présidence à 93%. Les Républicains sont déchirés, comme lors du référendum : 51% de favorables, 49% mécontents. Les socialistes sont dans une situation identique à celle de 29 mai 2005 : 41% de favorables, contre 59%. Mais surtout, les grands bataillons des anti-Macron se retrouvent dans les secteurs de l’opinion qui votèrent massivement contre la Constitution européenne, pour des raisons différentes : seuls 22% des électeurs du FN sont satisfaits de bilan de Macron, et 15% des sympathisants de la France insoumise.
Tout se passe comme si, malgré le déni absolu d’un événement dont plus personne ne parle, la victoire du non au référendum de 2005, celui-ci continuait à définir les lignes de partage de la politique française et à déchirer le pays. Le président Macron est de tous les présidents français, le plus enclin à revendiquer son engagement en faveur du renforcement de l’Union européenne. Il a ainsi plaidé en faveur d’une « souveraineté européenne », synonyme de fédéralisme, ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait fait. Les réformes (même d’ambition modeste) qui ont été engagées depuis un an sont clairement présentées comme la conséquence de l’application du droit européen, notamment les évolutions du code du travail et la modification du statut de la SNCF.
L’actuel président, à la différence de ses deux prédécesseurs, a choisi d’incarner le oui, ce oui battu en 2005, qui à travers lui, prend aujourd’hui sa revanche. L’histoire semble bégayer : le référendum de 2005 avait donné à lieu à une formidable mobilisation des médias et de la presse libérale en faveur du oui. Le même engouement, enthousiasme et unanimisme des éditorialistes et commentateurs agit, treize ans plus tard, en faveur de l’actuel président.
Nous assistons dès lors, aujourd’hui, à un raidissement du clivage entre la France du oui et la France du non. La première est plutôt urbaine, vivant dans les bons quartiers, formée dans les grandes écoles et les meilleures universités, privilégiée sur le plan économique et social ; la seconde se définit plutôt comme populaire, provinciale ou rurale, banlieusarde, moins ouverte sur l’Europe et sur le monde, connaissant des difficultés pour boucler les fins de mois, confrontée au chômage et parfois à la violence quotidienne. A cet égard, le « nouveau monde », supposé être issu de la victoire de M. Macron en 2017, est strictement identique à « l’ancien monde ». Pis : il attise les déchirures du passé.
Nicolas Sarkozy, lors de sa campagne de 2007, voulait « réconcilier la France du oui et la France du non ». Depuis 2005, la classe politique française a largement échoué à réaliser cette réconciliation. Jamais la France du oui et la France du non ne se sont autant opposées qu’aujourd’hui. Le pouvoir actuel donne le sentiment d’avoir pris acte cet échec, et plutôt que de chercher à surmonter le clivage, de jouer sur la victoire du camp du « oui », considéré comme celui du bien, par l’humiliation du « non ».
Cette stratégie est-elle viable ? De fait, le non est toujours fortement majoritaire dans le pays, mais il est traversé de fractures irréductibles qui rendent impossible toute perspective de sa victoire électorale. C’est d’ailleurs à cela que servent les partis extrémistes, constamment mis en valeur par les médias : diviser pour mieux régner. Dès lors, il faut sans doute se résoudre, pour les années, les décennies à venir, à la domination politique de la France du oui, même ultra-minoritaire. Cette politique de gouvernement minoritaire, sur le long terme, est dramatique car elle sape les fondements de la confiance en la démocratie, aggrave l’abîme entre les élites et le peuple, et ne cesse de déchirer la France, préparant les fractures à venir. La sublimation de l’image présidentielle correspond à un écran de fumée destiné à couvrir cette faille profonde qui déchire la société française.
La seule issue possible serait l’émergence d’une nouvelle équipe politique, déterminée à transcender la déchirure entre la France du oui et la France du non, en réunissant une vaste majorité de Français autour d’un ambitieux projet fondé sur le renouveau de l’école, la lutte contre la violence, la pauvreté et la fragmentation du pays, la réduction des impôts et de la dette publique, le renforcement de l’autorité de l’Etat pour protéger les libertés, la maîtrise de l’immigration, l’aide au développement… Mais nous n’en sommes pas là.