En France, comme au Royaume-Uni, la distribution des produits d’assurance et de placements donne lieu à des errements : les situations où le souscripteur n’est pas informé des risques financiers et fiscaux qu’il encourt ne sont pas rares. Après coup, l’investisseur (ou ses héritiers) s’aperçoit que le produit vendu était totalement inapproprié à la situation. Il réclame des dommages-intérêts pour manquement au devoir de conseil, ou encore la nullité de l’investissement pour vice du consentement.
Dans le cadre de l’établissement d’un espace financier européen, le régulateur européen a travaillé ces sujets. L’idée est qu’en raison de la profonde disparité entre les offres existantes dans les différents Etats de l’Union, il faut permettre la libre prestations de services. Les entreprises qui fournissent des investissements doivent pouvoir travailler dans les autres Etats membres. Ainsi, l’agrément donné par une autorité nationale doit suffire pour l’ensemble du territoire de l’Europe: c’est l’idée du « passeport » pour le marché commun. Pour autant, si la directive Mifid prévoit des règles relatives à la protection des investisseurs, il faut reconnaître que celle-ci est essentiellement assurée par les droits nationaux.
Trois décisions, l’une de l’autorité des marchés Britanniques, les deux autres de la Cour d’Appel de Paris permettent de cerner la disparité dans la protection accordée aux investisseurs:
1) Royaume-Uni: l’amende à HSBC pour avoir vendu des produits financiers à des personnes trop vieilles
L’autorité de contrôle des marché (FSA) sanctionne les pratique de HSBC: en plus de sa responsabilité civile mise en oeuvre: HSBC doit acquitter une amende de 10 M£ : il était notamment reproché à une filiale de HSBC d’avoir vendu des produits à échéance de cinq ans à des personnes qui n’avaient pas cinq ans d’espérance de vie. Le fait que HSBC représente une partie importante du marché de l’épargne des personnes âgées au Royaume-Uni, justifie l’importance de la condamnation.
2) France: une autorité de marché « inexistante » et des héritiers empêtrés dans des procès où la responsabilité de l’Assureur est difficilement mise en oeuvre.
– Cour d’Appel de Paris 15 mai 2007
Un assureur propose à une dame âgée de 84 ans de souscrire à une assurance-vie pour protéger son conjoint, ce qu’elle accepte. Quelques temps après, elle décède. Son conjoint assigne la compagnie d’assurance: les primes ont été payées alors qu’elle avait plus de 70 ans :elles sont, par l’effet d’une disposition fiscale soumises au droit desuccession (il y avait des droits de succession entre époux à cette époque).Or la dame en question était mariée sous le régime de la communautéuniverselle. Compte tenu de ce régime, il lui suffisait de laisser la case« bénéficiaire » vierge pour que le contrat soit transmis sans aucundroit de succession. Réponse de la Cour d’Appel de Paris dans un Arrêt du 15 mai 2007: le prestataire de service d’investissement n’a pas commis de faute car il ne lui appartenait pas de tenir compte de la situation matrimoniale de sa cliente pour vendre son produit.
Un commercial d’un compagnie d’Assurance s’adresse à une vieille Dame de plus de 70 ans pour lui proposer de racheter son contrat d’Assurance en euros qu’elle détenait depuis de nombreuses années pour souscrire à des contrats de capitalisation avec des unités de compte très risquées. La vieille Dame n’a pas d’enfants mais souhaite transmettre son patrimoine à ses neveux. Elle donne la nue-propriété du contrat à ses neveux. Le contrat perd presque la totalité de sa valeur..Par suite, les héritiers font un procès à l’Assureur pour manquement au devoir de conseil: la décision d’investir sur des unités de comptes était clairement insensée alors que la vieille Dame avait fait savoir qu’elle cherchait un placement sûr pour ses vieux jours. Par ailleurs, en lui faisant souscrire des bons de capitalisations, la transmission supportait des droits de succession à 45% alors que le traitement fiscal était bien plus clément en assurance-vie. La Cour déboute les neveux : le fait d’avoir accepté après le rachat du contrat d’assurance, la donation des contrats de capitalisation impliquait qu’ils connaissaient parfaitement l’opération…
Ainsi, en France, il est bien rare que l’autorité de marché se saisisse des modalités de distribution des produits d’assurance-vie. Lorsqu’il y a un contentieux, il commence souvent par du droit pénal et se révèle souvent infructueux : on reproche à l’employé de la compagnie d’Assurance d’avoir abusé de la faiblesse du souscripteur. Les poursuites sont rares (heureusement pour les employés des compagnies d’assurance!). Les condamnations pour manquement aux obligations de conseils dans l’investissement sont rares. Les magistrats sont enclins à appliquer le principe « caveat emptor » (il appartient à celui qui achète de faire attention à ce qu’il fait) : à partir du moment où les informations pré-contractuelles (très importantes en assurance) ont été remises et signées par le souscripteur, le souscripteur est considéré comme « informé ».
Dans le contexte actuel de crise et de faiblesse des organismes financiers, le message du gouvernement se veut rassurant pour les banquiers: il n’est pas question en France de modifier le régime de responsabilité et d’introduire par exemple le concept de dommages-intérêts punitifs ou les actions de groupe: de telles actions pourraient avoir un effet colossal en cette matière.
Aujourd’hui, les personnes qui voient leur épargne fondre dans la crise sont nombreuses et je reçois parfois des emails et propositions de missions auxquels il m’est bien délicat de répondre favorablement. Il faut donc avoir en tête cette constatation: pour se battre contre un assureur, ou un prestataire en services d’investissement, il faut avoir un dossier très solide: être capable de démontrer que le produit vendu ne correspond pas à la volonté exprimée et matérialisée du souscripteur. Si l’ensemble des obligations formelles pré-contractuelles ont été respectées, le dossier est très difficile à gérer pour les avocats, les situations où après avoir fait les frais de l’assureur, les épargnants font les frais du systèmes judiciaire ne sont pas rares…
Dans leur volonté de plaire au marché, les pouvoirs publics devraient pouvoir quand même se rendre compte qu’un marché est fort lorsque les investisseurs sont confiants. La confiance dans le marché suppose que ses acteurs soient responsables.
Stanislas Lhéritier