Edouard PHILIPPE, Premier ministre
Bonjour à tous, bienvenue pour ce nouveau « Facebook Live », on est lundi 7 mai, il est 19h30 et nous allons, comme d’habitude, dialoguer, en tout cas dialoguer autant que nous le pouvons, par l’intermédiaire de Facebook et par l’intermédiaire des questions que vous posez.
Alors aujourd’hui, j’ai passé une journée un peu particulière puisqu’elle a été tout entière consacrée à la réforme ferroviaire, avec plusieurs rendez-vous ce matin et en début d’après-midi avec les organisations syndicales, les confédérations et les fédérations de cheminots et puis aussi des rendez-vous avec la direction de la SNCF, avec l’organisation patronale qui regroupe les entreprises du transport public, avec l’Association des régions de France puisque les régions ont une compétence en matière ferroviaire, avec également les associations d’usagers et de chargeurs, ceux qui utilisent les entreprises de fret ferroviaire. Ça fait donc une longue journée consacrée à la réforme ferroviaire ; j’ai fait une conférence de presse vers 14h30 ou 15 heures pour évoquer ces sujets et un certain nombre de questions que vous posez aujourd’hui, portent sur la question ferroviaire, donc je vais essayer d’y répondre.
Pierre-Yves me pose la question suivante : bonjour Monsieur le Premier ministre, lundi, vous recevez les syndicats pour la situation de la SNCF ; ces discussions ont-elles permis d’avancer sur ce sujet ?
Bon, ça me permet de dire un petit peu quel a été le contenu de ces échanges dont je dois d’abord dire qu’ils ont duré une heure, une heure et quart avec chaque organisation syndicale, ils ont été courtois, directs, francs, les organisations syndicales sont venues dire ce qu’elles pensaient de la réforme, les questions qu’elles se posaient, les oppositions qu’elles pouvaient formuler mais tout ça a été fait dans un ton très respectueux de part et d’autre de la table et avec le souci d’échanger et de bien comprendre les arguments des uns et des autres. Ça, c’est la première chose que je retiens. La deuxième chose, c’est que j’ai dit aux organisations syndicales que lorsque nous nous sommes engagés sur la réforme, au mois de février, lorsque nous avons dit que nous voulions transformer le secteur ferroviaire, nous l’avons dit en disant que nous étions ambitieux sur le fond en ouvrant le secteur ferroviaire à la concurrence, en transformant la SNCF et notamment le statut juridique de la SNCF et en mettant un terme au recrutement au statut des cheminots. Si on l’a fait, ce n’est pas pour le plaisir de faire des réformes, ce n’est pas pour ennuyer qui que ce soit, c’est parce qu’il nous est apparu – et je crois qu’il apparaît à tous les Français – que la qualité du service ferroviaire depuis de nombreuses années, il ne s’agit pas de pointer les responsabilités de tel ou tel pendant les 6, 10 ou 25 derniers mois, mais la qualité du service public ferroviaire se dégradait et se dégradait de façon continue et même accéléré depuis de nombreuses années, probablement parce qu’il y avait trop de rigidité, probablement parce qu’il n’y avait pas assez d’investissements, pour toute une série de raisons qu’il peut être parfaitement intéressant d’évoquer, mais enfin ce qu’on constate, c’est sur un très grand nombre de lignes autres que celles qui ont l’immense avantage de pouvoir bénéficier des trains à grande vitesse, une qualité de service qui décroît, des prix qui augmentent, plus de restauration, des trains qui arrivent en retard, des trains qui roulent moins vite parce qu’il n’y a pas eu assez d’investissements sur le réseau, bref, une situation qui n’est pas satisfaisante et qui est autant moins satisfaisante que le train, le chemin de fer, est un domaine qui est évidemment un domaine d’avenir, qui est écologiquement extrêmement avantageux, qui permet la desserte de centre-ville à centre-ville, c’est évidemment un mode de transport d’avenir.
Et donc on a voulu à la fois tirer les conséquences d’un certain nombre de textes juridiques qui existent et puis aller plus loin et permettre à la SNCF, cette grande entreprise à laquelle on est évidemment tous très attachés, d’être plus forte dans un monde différent et notamment dans un monde ouvert à la concurrence. On l’a fait en exprimant clairement nos ambitions, en disant très bien quelle était notre méthode et la discussion s’est engagée avec les organisations syndicales. Elle a été intéressante, évidemment elle n’a pas donné lieu à un accord ni à une unanimité de la part de toutes les organisations syndicales, c’est parfaitement compréhensible mais elle a eu lieu. Elle a eu ensuite à l’Assemblée nationale où là, après de longues journées de discussions, l’Assemblée nationale a voté à une majorité écrasante le projet de loi qui avait été proposé par le gouvernement : 454 voix sur 577, c’est-à-dire très au-delà de la majorité parlementaire traditionnelle.
Et maintenant, on est au mois de mai, si j’ose dire entre deux chambres, c’est-à-dire entre l’Assemblée nationale qui a voté le projet de loi et le Sénat qui va examiner le projet de loi à la fin du mois de mai, au début du mois de juin. Dans ce même moment, il y a une grève, une grève assez dure, assez suivie qui a un impact très lourd pour les usagers, pour les clients, pour les entreprises qui ont besoin d’utiliser le chemin de fer pour déplacer des marchandises et évidemment pour les cheminots qui font grève et qui se mettent dans une situation qui du point de vue de leur pouvoir d’achat est évidemment délicate. Donc une grève dure avec une tension à l’intérieur de l’entreprise souvent entre grévistes et non grévistes et puis une tension très forte à l’extérieur, certains souhaitant parfois en des termes très durs, qu’on casse la grève et qu’on casse les syndicats, d’autres jouant dans ce conflit qui porte sur le ferroviaire, un débat public et parfois politique plus général.
Bref, aujourd’hui je recevais les organisations syndicales à leur demande pour dire qu’une deuxième phase s’ouvrait, pour leur indiquer que s’il y avait des sujets sur lesquels on était très ferme et sur lesquels je ne bougerai pas parce qu’ils étaient l’objet même de la réforme et parce qu’ils avaient fait l’objet d’une validation très majoritaire par l’Assemblée nationale, il y avait d’autres domaines sur lesquels j’été beaucoup plus ouvert à la discussion. Fermeté d’un côté – on ne reviendra pas sur l’ouverture à la concurrence ni sur la transformation du statut juridique de l’entreprise ni sur la fin du recrutement au statut pour les cheminots – mais beaucoup d’ouverture de l’autre côté sur trois types de sujets : d’abord la question de l’amélioration du texte existant, il va être débattu au Sénat et il y a un certain nombre de points qui doivent être encore précisés, enrichis et nous sommes évidemment prêts avec la ministre des Transports à recevoir les organisations syndicales pour compléter ça ou là tel ou tel dispositif. J’ai compris d’ailleurs des échanges que j’ai eus ce matin, que deux organisations syndicales sur cinq souhaitaient participer à cet échange et proposer des amendements qui pourraient être repris par le gouvernement dans le cadre de la discussion au Sénat. Ça, c’est le premier sujet ouvert à la discussion.
Deuxième sujet ouvert la discussion : la question de la reprise de la dette ; j’en dirai un mot un peu plus tard mais c’est une question évidemment très importante, compte tenu du montant des sommes en jeu. La SNCF, c’est 45-46 milliards de dettes, c’est évidemment absolument considérable, et la question, c’est : est-ce qu’il faut reprendre cette dette ? Comment il faut la reprendre ? A quel rythme ? A quelles conditions ? Ça, c’est le deuxième sujet et ça, évidemment, nous sommes prêts à en discuter.
Troisième grand sujet, plus technique mais au moins aussi important et peut-être même fondamental : comment se passe la discussion au sein de l’entreprise entre la direction et les syndicats et au sein de la branche, c’est-à-dire dans le secteur ferroviaire ? Parce que je crois que chacun comprend bien que dès lors qu’on arrête de recruter au statut à partir du 1er janvier 2020, on doit trouver les règles collectives qui s’appliquent à l’ensemble du secteur ferroviaire qui sera lui-même ouvert à la concurrence, et ça, ça passe par la discussion, par la négociation, par la conclusion d’une convention collective nationale pour que ceux qui seront recrutés à partir du 1er janvier 2020, bénéficient à la fois d’un contrat de travail – c’est évidemment la norme – mais aussi d’une protection collective dans le cadre d’une convention collective.
C’est les trois sujets sur lesquels il y a encore beaucoup de travail à faire et où il y a des champs de discussions qui sont très ouverts ; c’est ce que j’ai dit aux organisations syndicales. Certaines ont vu la fermeté parce qu’elles espéraient que nous reviendrions soit sur le timing soit sur le fond de la réforme et elles n’ont pas voulu évoquer l’ouverture ; et elles ont dit donc que le gouvernement était ferme ; d’autres ont vu l’ouverture et s’en saisissent, je crois, vont s’en saisir pour participer à des discussions et en tout cas pour essayer de faire en sorte, tout en pensant ce qu’elles pensent de la réforme, de participer à cette élaboration… co-élaboration dans les trois thèmes que je viens d’évoquer. Et au fond, l’ensemble de la journée a permis de bien expliquer où nous en étions et de faire la proposition aux organisations syndicales de participer à cette phase qui doit nous conduire jusqu’à la fin du mois de mai… mon idée, c’est le 25 ou le 26 mai, de reproposer une rencontre aux organisations syndicales et de dire très exactement quel sera le fruit du travail engagé et quels seront les arbitrages que nous avons pris avant la discussion au Sénat qui elle, permettra au Sénat, deuxième chambre, de discuter du projet de loi, d’adopter un texte qui deviendra la loi s’il est voté et ensuite approuvé en commission mixte paritaire.
Voilà à quoi a servi cette journée. Ça ne veut pas dire que la grève va s’arrêter – un certain nombre de syndicats ont dit clairement qu’ils continuaient d’appeler à la mobilisation – j’en prends acte, je crois que chacun doit assumer ses responsabilités. Mais ça veut dire aussi que, que ce soit sur la reprise de la dette qui est vraiment un sujet fondamental pour la SNCF et pour les contribuables français et sur la négociation de la convention collective, il y a un certain nombre de propositions d’avancées et il appartient à chacun, là aussi, de prendre ses responsabilités et de participer ou non à cet exercice. Pardon pour cette réponse qui est un peu longue mais je pense que c’est important qu’on dise très exactement ce qui s’est passé au cours de ces réunions – je l’ai dit à l’occasion d’une conférence de presse et je suis heureux de le faire en direct avec vous.
Pierre-Alex me dit : qu’en ressort-il de la concertation de ce matin ? N’y aura-t-il plus d’intransigeance ? C’est un terme intéressant parce que je ne sais pas si Pierre-Alex veut plus d’intransigeance ou veut moins d’intransigeance… je ne crois pas… enfin en tout cas, de ma part, il n’y a pas d’intransigeance ; il y a une fermeté qui est réelle, que j’assume ; je considère qu’on ne peut pas présenter une réforme au nom du gouvernement, la travailler, la soumettre à l’Assemblée nationale et constater qu’elle reçoit une approbation très largement majoritaire, pour ensuite dire bon finalement ce n’est pas comme ça qu’il faut faire. Je pense, je le dis comme je le pense, qu’il est indispensable pour l’avenir de la SNCF, de lui donner les moyens de s’organiser dans un monde plus concurrentiel. L’ouverture à la concurrence a été décidée, ce n’est d’ailleurs pas nouveau. Vous savez peut-être qu’il y a sur des grandes lignes internationales déjà de la concurrence ; il y a déjà une ligne ouverte à la concurrence sur le Milan-Marseille, donc il y a déjà un monde concurrentiel sur certaines lignes. L’Union européenne, avec l’approbation de la France, a décidé que cette ouverture à la concurrence avait vocation à s’accroître ; ça permettra, notamment dans un certain nombre de régions, au TER d’être mis en concurrence et donc de pouvoir obtenir plus de services à un meilleur prix, avec plus d’efficacité d’une certaine façon. C’est en tout cas ce qui s’est passé en Allemagne – on prend souvent l’exemple de l’Allemagne parce que c’est un exemple qui guide un peu ce que l’on veut faire – une entreprise qui reste publique et qui a vocation à rester publique et qui restera publique mais qui est soumise à la concurrence, des investissements qui sont importants – il ne s’agit pas pour l’Etat de se désengager des investissements dans le système ferroviaire – et une qualité de service et des parts de marché qui s’accroissent. Et donc notre objectif, c’est de permettre aux Françaises et aux Français qui aiment le train, qui ont besoin du train, qui croient que le transport ferroviaire, comme moi, est un moyen de transport d’avenir, de voir cette courbe infernale de la dégradation du service public ferroviaire, s’inverser pour qu’on puisse enfin avoir dans les années qui viendront, une meilleure qualité. Donc je ne sais pas si c’est de l’intransigeance mais c’est de la fermeté. Si la situation allait bien je serais probablement moins ferme ; mais la situation qu’on constate, n’est pas bonne et les Français le voient, ils en parlent, ils le disent et ils attendent, je crois, une grande fermeté ; c’est ce qu’ils me disent quand je les rencontre et quand ils m’interpellent.
Christelle me dit : bonjour Monsieur le Ministre, ma question la suivante : pourquoi le gouvernement devrait prendre la dette de la SNCF ? Une entreprise ne devrait-elle pas générer suffisamment de ressources afin d’assurer son bon développement ? Ne cédez surtout pas, la France a besoin de réformes. Bien cordialement… Alors Christelle, pourquoi est-ce que le gouvernement devrait reprendre la dette de la SNCF ? D’abord le gouvernement, il décide de reprendre la dette de la SNCF, ceux qui reprennent la dette de la SNCF, c’est les Français, c’est l’Etat mais l’Etat, c’est les Français. Donc pour le contribuable français, ce n’est pas du tout une décision neutre et j’en ai parfaitement conscience. Ça veut dire reprendre une partie de la dette importante de la SNCF qui normalement devrait être remboursée par la SNCF, pour faire en sorte qu’elle soit portée par l’Etat, donc par les Français et que ce soit les Français qui la remboursent. Quand on parle de ça et quand on parle de masses qui sont comprises quelque part entre 10 et 45 milliards d’euros, par définition on parle de beaucoup d’argent. Pourquoi est-ce qu’il faudrait reprendre une partie de cette dette ? Pour deux raisons : la première, c’est que c’est assez juste – c’est assez juste – une grande partie de la dette actuellement portée par la SNCF, ne résulte pas de décisions prises par la SNCF mais résulte de décisions qui ont été prises par des gouvernements antérieurs successifs qui ont demandé et qui ont même d’une certaine façon ordonné à la SNCF, de s’endetter pour financer des investissements qu’on lui a imposés et que peut-être la SNCF n’aurait pas décidés si on ne les lui avait pas imposés. Mais on lui a imposé aussi de porter ces investissements et donc on l’a conduite d’une certaine façon à s’endetter pour pouvoir satisfaire des besoins exprimés par les gouvernements. D’une certaine façon, une grande partie de cette dette est donc certes portée par la SNCF mais a été décidée par les gouvernements au nom de l’Etat et au nom des Français. Il est donc assez juste, au moment où on se réinterroge sur le statut juridique de l’entreprise, de récupérer une partie de cette dette pour dire : en réalité, elle devrait être portée par l’Etat. Ça, c’est le premier sujet.
Et puis il y a deuxième sujet, c’est qu’on va transformer l’entreprise en société nationale à capitaux publics ; ça va cesser d’être un établissement public, ça veut devenir une société, mais une société à capitaux publics, qui a vocation à rester à capitaux publics, qui est détenue entièrement par des capitaux publics et entièrement par l’Etat. Très bien. Une fois qu’on a dit ça, il faut que cette entreprise dispose d’un capital et si ses fonds propres – pardon pour cette expression… qui est plus une expression qui relève de la comptabilité que de l’échange souple entre vous et moi – mais enfin si ses fonds propres sont très largement négatifs, elle ne peut pas vivre, cette entreprise ; il faut donc d’une certaine façon la libérer de cette dette qui plombe son bilan, qui est tellement importante que les frais financiers associés à cette dette, ne permettent pas à l’entreprise le moment venu, de vivre, de récupérer une partie de cette dette.
Combien de dette on va reprendre ? C’est un sujet qui est encore ouvert. J’ai eu l’occasion de dire aux syndicats : la reprise de la dette ne sera ni minimale ni totale, elle sera substantielle. Ça veut dire qu’on prendra une partie substantielle de cette dette dans les comptes de l’Etat. J’ai dit aussi aux organisations syndicales que cette reprise de dette ne viendrait pas nourrir la masse de dette qui est déjà portée par l’Etat mais elle serait isolée dans les comptes de l’Etat – isolée dans les comptes de l’Etat, pas portée par la SNCF mais isolée dans les comptes de l’Etat – pour que l’on voit à la fois sa vitesse de remboursement et la charge que cela représente pour les Français parce que je pense que là encore, c’est assez juste. Voilà pourquoi on doit la reprendre. On va le faire de façon progressive entre le 1er janvier 2020, comme s’y est engagé le président de la République et le 1er janvier 2022, comme je m’y suis engagé parce qu’il est préférable de le faire progressivement qu’en une seule fois simplement pour une question pratique de conformité entre notre situation budgétaire et les engagements que nous avons souscrits. Voilà pour la question Christelle.
Michel me dit qu’il attend que je reste ferme sur la réforme de la SNCF mais que je sois précis sur l’engagement du gouvernement dans l’élaboration de la convention collective et sur l’échéancier de la reprise de la dette. Bon, j’ai déjà évoqué ces questions, Michel, sur la reprise de la dette, je n’y reviens pas ; sur la fermeté, je n’y reviens pas non plus. En revanche, ça peut être intéressant de dire un mot sur ce qu’on appelle la convention collective parce que je l’évoquais tout à l’heure, c’est vrai qu’il va falloir qu’il y ait une convention collective entière, complète pour l’ensemble du secteur ferroviaire, qui prévoit les droits collectifs de tous ceux qui auront vocation à être salariés dans ce secteur. Les discussions se sont déjà engagées, elles ont déjà commencé – il y a 9 chapitres normalement dans la convention collective, il y en a 6 qui ont été discutés – mais ça a été discuté assez lentement et manifestement assez difficilement. Et moi, mon objectif, c’est de faire en sorte qu’on ait des dispositions de la convention collective qui soient adaptées, efficaces au nouvel environnement concurrentiel, sans recrutement au statut qui prévaudra pour ceux qui vont rentrer dans la SNCF. Donc mon objectif, c’est de mettre beaucoup de pression sur les entreprises, les employeurs et les organisations syndicales pour qu’ils concluent avant le 1er janvier 2020. Et pour ça, il y a plein d’instruments pour le faire, plein de mécanismes qui peuvent inciter les organisations patronales et les organisations syndicales à s’entendre et je compte bien les utiliser tous parce qu’il me semble indispensable qu’en la matière, les partenaires sociaux s’entendent et avancent.
Annette me dit qu’elle ne partage pas l’avis des syndicalistes et qu’il ne faut pas exagérer. Je dirais assez volontiers à Annette que moi, je crois beaucoup aux discussions avec les organisations syndicales. Alors ça va faire sourire parce que je sais bien ce que disent les organisations syndicales quand elles sortent de ce bureau en disant : on n’a pas été entendus, on ne nous a rien dit de nouveau… Bon, il y a toujours une part de communication. Quand on sort du bureau du Premier ministre, on dit des choses qui souvent correspondent à ce qu’on pense – je ne mets pas en cause les organisations syndicales – mais qui ne reflètent pas toujours la richesse d’une discussion qui a pu avoir lieu dans un bureau et dans un bureau à plusieurs mais sans caméra et sans témoin. Et moi je pense que c’est très utile de parler avec les organisations syndicales. Je crois beaucoup au dialogue social ; il faut assumer le fait de pas être d’accord, il faut donc assumer une certaine fermeté qui est souvent très bien assumée par les syndicats, donc je ne vois pas pourquoi le gouvernement ne l’assumerait pas mais je pense vraiment – je le dis sincèrement – que c’est toujours précieux de pouvoir échanger parce que même si on n’est pas d’accord, on peut mieux comprendre un sujet et donc, sans espérer forcément convaincre son interlocuteur, enrichir sa réflexion et le texte qu’on prépare et je pense qu’il y a quelque chose de très sain à valoriser le dialogue social. Et moi je sais que, que ce soit avec les organisations syndicales, que ce soit… lorsque j’interviens par exemple sur le dossier de la Nouvelle-Calédonie, je crois au dialogue, y compris avec des gens qui ne sont pas spontanément, voire pas du tout d’accord avec vous, je pense qu’il y a toujours quelque chose à gagner à dialoguer, je le crois très profondément. Et donc je dis à Annette que même si parfois c’est long, même si parfois c’est difficile, il faut toujours donner sa chance au dialogue.
Il y a quelqu’un qui s’appelle « Entreprise Ben » qui me dit : bonjour Monsieur le Premier ministre, lorsque vous avez beaucoup de thématiques à traiter dans une journée, comment faites-vous pour vous souvenir de tout et être le plus opérationnel possible ? Merci de votre réponse. D’abord, je ne me souviens pas de tout ; il m’arrive de ne pas avoir la réponse à une question très technique ou d’oublier un chiffre ou d’oublier un nom ou de faire un lapsus, ça s’est vu parfois, et c’est normal, il faut l’assumer. On ne peut pas tout savoir sur tout, tout le temps ; c’est juste pas possible, ce serait inhumain et ce ne serait pas raisonnable d’espérer l’inverse. Donc j’assume parfaitement le fait que parfois, je ne sais pas répondre techniquement à un sujet. Mais ce qui est vrai, c’est que quand on travaille beaucoup, quand on lit beaucoup de papiers, quand on a la chance d’être comme je le suis, entouré par des gens qui sont à la fois très intelligents, qui ont un sens de l’engagement très fort, qui travaillent énormément et qui essaient de faire en sorte de m’aider au maximum dans ce que je fais, on a la chance de pouvoir mobiliser très rapidement beaucoup d’éléments de connaissance et donc, même si je ne me souviens pas de tout, j’essaie d’être précis dans ce que je dis. Quand on a discuté ensemble… ou plus exactement, ce que je viens de dire sur la SNCF, en tout cas j’essaie d’être suffisamment précis pour ne pas donner l’impression de biaiser.
Je vois beaucoup de questions.
Une question de Robert – je ne résiste pas au plaisir de la citer – pourquoi ne pas supprimer le Sénat pour plus d’efficacité dans les décisions ? Eh bien Robert, pourquoi ne pas supprimer le Sénat ? Parce que je suis convaincu de la nécessité d’avoir deux chambres dans un Parlement ; c’est sûr que ça prend plus de temps qu’une seule ; c’est sûr que si les textes étaient discutés dans une seule chambre qui représenterait les Français d’une certaine façon, on discuterait, ce serait adopté, on n’en parlerait plus, ça irait plus vite. C’est incontestable. Mais ce n’est pas du tout le sens des grandes démocraties et ce n’est pas du tout ma préférence. Moi je suis très attaché à ce qu’on appelle en droit le bicaméralisme, c’est-à-dire le fait qu’il y ait deux chambres, c’est ce qui prévaut en France, ce qui prévaut en Espagne, ce qui prévaut en Italie, ce qui prévaut en Allemagne, ce qui prévaut en Angleterre, ce qui prévaut aux Etats-Unis, c’est ce qui prévaut dans l’immense majorité… presque la quasi-totalité des systèmes démocratiques. Pourquoi ? Parce que ça permet de délibérer dans de bien meilleures conditions. En général, les deux chambres ne sont pas composées de la même façon ; elles représentent toutes les deux la France ou les Français mais pas de la même façon. A l’Assemblée nationale, on représente les individus, les électeurs, les citoyens qui élisent directement leurs représentants ; au Sénat, c’est une représentation différente et c’est d’une certaine façon un peu plus les territoires qui sont représentés ; ils sont représentés parce que le vote est différent, parce que ce sont des élus locaux et seulement des élus locaux ou les représentants des élus locaux qui votent pour désigner leurs représentants. Et du coup, cette différence… et en Angleterre, c’est les électeurs qui élisent la Chambre des communes et les Lords, eux, ne sont pas élus par des électeurs ; en Allemagne, c’est la même chose : vous avez une assemblée qui représente les électeurs et une autre qui représente les territoires, en occurrence les Etats fédérés, c’est la même chose aux Etats-Unis. Donc cette différence de représentation, elle crée justement une différence de regards, une différence d’appréciation dans la délibération sur la loi et c’est indispensable. Et on voit bien que, même si parfois c’est un peu plus long – c’est même toujours plus long – de ce débat entre deux visions différentes, parfois deux majorités différentes, parfois deux appréhensions différentes, naît un texte qui souvent est plus riche et plus intelligent – et je le dis sans hésiter.
Le Sénat complète le travail de l’Assemblée nationale ; l’Assemblée nationale enrichit le travail du Sénat. A la fin, il faut simplement qu’il n’y ait pas une espèce de match nul, que rien ne sorte, que tout soit bloqué. C’est pour ça que dans toutes les démocraties, il y a toujours une chambre qui a le dernier mot sur l’autre : en France, c’est l’Assemblée nationale qui a le dernier mot sur le Sénat. Quand les deux chambres ne sont durablement pas d’accord sur un texte, eh bien l’Assemblée nationale, finalement, a le dernier mot et c’est très sain parce qu’à la fin, c’est elle qui représente le plus directement l’ensemble des électeurs. Et donc il ne faut pas supprimer le Sénat. On peut s’interroger sur la façon dont il est composé ; le général de Gaulle il y a déjà bien longtemps, avait estimé nécessaire de transformer l’organisation et la représentation et donc le mode d’élection des sénateurs, bon, il a échoué. Il voulait le faire, il a échoué. Je me souviens d’une époque où je crois… je ne sais plus… peut-être que je me trompe, je crois que c’est Lionel JOSPIN… enfin en tout cas il y avait eu un Premier ministre socialiste qui disait que le Sénat était un héritage du passé et qu’il fallait cesser avec ce mode de désignation et cette institution. Si ce n’était pas Lionel JOSPIN, je m’excuse platement, mais je crois que c’est lui qui disait ça, en tout cas passons… Il y a eu parfois des remises en cause pas véritablement de la nécessité d’une deuxième chambre mais de la façon dont elle était représentée. Moi je considère, encore une fois, qu’elle est nécessaire ; on peut toujours avoir des interrogations sur les modes de scrutin mais c’est un autre sujet.
Alexandra me demande : Monsieur le Premier ministre, que pensez-vous de la gestion de crise chez Air France ? Merci pour votre réponse. Je dirais volontiers à Alexandra que je suis préoccupé par la situation chez Air France. Comme beaucoup de Français, j’aime beaucoup cette compagnie nationale, c’est avec elle que je voyage le plus souvent quand je pars à l’étranger. Bon… elle est soumise à une concurrence qui est très vive, qui est très forte. Le transport aérien, c’est vraiment… entre l’apparition des low cost sur les moyen-courriers et sur les courriers courts, la concurrence des très grandes entreprises sur les long-courriers, à l’évidence c’est un marché extrêmement concurrentiel et difficile. Et on sait qu’Air France est une belle compagnie internationale mais enfin qu’elle est soumise à une concurrence délicate. Il y a eu un certain nombre de revendications sociales qui se sont exprimées – je passe sur la nature de ces revendications sociales – avec des jours de grève qui ont eu évidemment un impact très fort, très lourd, sur les recettes de l’entreprise et la vie de l’entreprise. Et le président JANAILLAC a proposé à l’ensemble des salariés un référendum avec une issue de sortie de crise en disant : si elle n’est pas acceptée, j’en tirerai les conséquences et je démissionnerai. Je pense que c’était un acte courageux, il n’était pas tenu de le faire. Il l’a fait en mettant son mandat dans la balance parce que – je cite ses propos… enfin je ne les cite pas mais je me souviens de ce qu’il a dit et je ne crois pas travestir ses propos – il a dit que si ça n’était pas adopté, il ne voyait pas comment faire autrement pour faire vivre l’entreprise et garantir à la fois sa vie et son développement. Et donc il en a tiré les conséquences après que le référendum a donné avec 80% de participation, 55% de non et 45 % de oui. Et il a annoncé sa démission. Moi je prends acte de sa décision et je salue d’une certaine façon son courage et la cohérence qui est la sienne.
Reste la question de savoir ce qui va advenir pour Air France ; ce vote a dit la position des salariés ; il a des conséquences sur le président de l’entreprise mais il n’a pas transformé la réalité dans laquelle Air France vit qui est une réalité concurrentielle, qui est une réalité difficile. Je crois qu’aujourd’hui, les actionnaires… et notamment le cours de Bourse a dévissé… je pense qu’il y a beaucoup, beaucoup d’inquiétude – vous savez qu’Air France est marié avec KLM – il y a beaucoup d’inquiétude qui s’exprime chez KLM, moi je la prends en compte et c’est vrai que j’avais dit avant le référendum qu’on peut entrer dans une période de turbulences. Je ne le souhaite pas parce que je souhaite que l’entreprise se porte le mieux possible mais je ne peux pas non plus raconter des cracks et ne pas voir la situation en face. La décision a fait entrer l’entreprise dans une zone de turbulences. Il y a une gouvernance, il y a un conseil d’administration ; j’espère que rapidement le conseil d’administration se prononcera sur un nouveau président ou une nouvelle présidente, quelqu’un qui sera capable de reprendre le fil du dialogue et de redéfinir la stratégie de l’entreprise mais là encore, quand on prend des décisions, il y a toujours des conséquences. Et on y est. Et donc j’espère que tout pourra évoluer de la meilleure façon et qu’on saura traverser ces turbulences le plus calmement possible.
Voilà ce que je peux vous dire ce soir au terme d’un exercice qui a été beaucoup marqué par la question des relations sociales à l’intérieur des entreprises et à l’extérieur des entreprises. Je pense que la semaine prochaine, on aura l’occasion d’évoquer ces questions et bien d’autres. Merci beaucoup. Bonsoir.