Amour et pouvoir: photographie prise au Château de Rambouillet, anciennement propriété de la Présidence de la République Française
Alors que la classe politique française devient passionnée de procédure pénale américaine (détaillée dans un billet d’ eolas ici) et que les conversations tournent autour de certaines frasques des puissants de ce monde, il peut sembler amusant de revenir sur un droit qui anime l’imaginaire collectif : le droit de cuissage.
.Au moyen-âge, le droit est fondé sur les relations interpersonnelles et hiérarchiques entre un Seigneur (créancier d’une obligation) et son Vassal (débiteur). Ainsi, lorsque deux personnes souhaitent se transmettre un terrain par une vente, ils doivent d’abord obtenir l’accord du Seigneur. Ce consentement du Seigneur, s’il est obtenu, implique que l’acquéreur remplace le vendeur dans sa relation avec le Seigneur. Ainsi, les obligations qui pèsent sur le vendeur du terrain sont imposées à l’acquéreur. Dans ce système d’organisation hiérarchique, le nouveau propriétaire devient à son tour le vassal du Seigneur. Par exemple, il doit aider son seigneur dans les combats et lui fournir une armée selon sa fortune, .
Ce système de relations interpersonnelles a connu un succès remarquable. Il a été abandonné en France, mais il a traversé la manche à l’époque de Guillaume le conquérant et fonde encore le droit de la propriété, la « property law », des pays de common law, c’est-à-dire, notamment du droit qui s’applique au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. C’est parce que ce système existe aux Etats-Unis qu’il est possible de créer des multitudes de droits, même potentiels, sur une chose.
Poussé à l’extrême, ce système de relations interpersonnelles entre le Seigneur et son Vassal donne naissance au célèbre droit de cuissage. En vertu d’un tel droit, pour obtenir le consentement du Seigneur au mariage, le Vassal doit présenter au Seigneur sa fiancée. Le Seigneur peut alors obtenir de celle-ci la première nuit après la célébration du mariage. Il s’agit du « jus prima nox » (droit à la première nuit). Un blog m’apprend, qu’en France on appelait ce droit, le droit de culage (source un blog). Par extension, le droit de cuissage est entré dans le langage commun : on en parle pour décrire de manière péjorative des personnes qui entretiennent des relations sexuelles à l’intérieur d’un système d’organisation hiérarchique de pouvoir.
Bien évidemment, ce droit n’existe plus. Un Seigneur de la finance internationale ne peut pas plaider qu’étant justement dans un hôtel d’un pays situé dans un pays de common-law, il est en droit d’obtenir de sa femme de Chambre l’exécution d’une « jus prima nox« …
Les auteurs anglais et américains se sont interrogés sur la question de savoir si un tel droit a pu exister ou s’il a seulement été fantasmé. Pour Blackstone un tel droit n’a jamais existé en Angleterre. En revanche, le droit de cuissage aurait bien existé en Ecosse. La preuve: il a été aboli par Malcom III, le successeur de Macbeth ( source: commentaires de la loi d’Angleterre de William Blackstone).
Ce droit de cuissage serait même à l’origine d’une étrange coutume (Durkeminier et Krier, Property Law, publié chez Litlle Brown et Company) les historiens du droit se sont aperçus qu’au moyen âge en Angleterre, l’aîné de la famille héritait chez les nobles (droit d’ainesse) tandis que chez les gens du peuple, c’était l’enfant le plus jeune qui était préféré. On explique cette divergence entre la succession des nobles et celle des gens du peuple par ce droit de cuissage. En préférant le plus jeune, le père de famille lorsqu’il était issu du peuple et soumis au droit de cuissage, savait que le fils qui héritait n’avait pas été conçu pendant cette fameuse première nuit….
Stanislas Lhéritier