Entretien avec le Figaro Vox concernant la réédition de la biographie d’André Tardieu (Tempus-Perrin)

Le Figaro : Votre biographie d’André Tardieu, publiée aux éditions Perrin, fait l’objet d’une réédition en format Tempus (poche) enrichie d’un abécédaire de ses citations. Pouvez-vous nous rappeler qui était André Tardieu ?

Maxime Tandonnet : André Tardieu était licencié ès lettres, haut fonctionnaire de son premier métier, puis journaliste au Figaro et au Temps. Ecrivain et homme d’Etat des années 1900 à 1930, proche de Clemenceau, puis de Poincaré, plusieurs fois ministre et président du Conseil de 1926 à 1934, il fut l’un des personnages les plus considérables de l’histoire politique française de l’Entre-Deux-Guerres, aujourd’hui plus ou moins oublié ou maltraité par la postérité. Il est aussi, par ses idées, un authentique précurseur du général de Gaulle et de la Ve République, en tout cas telle qu’elle était à ses débuts.

En quoi diffère-t-il des politiques de l’époque, comme Herriot, Blum, Daladier, Flandin, Laval, Reynaud, etc. ?

Tardieu a toujours été un marginal, davantage intellectuel que politique au sens de politicien. Contrairement aux personnages que vous citez ci-dessus, il était extrêmement critique envers le fonctionnement de la IIIe République, dominée par le « despotisme parlementaire » et la valse des gouvernements. Tardieu, quand il a gouverné, était obsédé par la modernisation économique et sociale de la France. Il fut à l’origine d’un plan d’outillage national en 1929, de développement des routes, de l’électrification et de la modernisation de l’agriculture ainsi que de l’instauration des assurances sociales – maladie et retraites – sa réforme la plus essentielle à ses yeux. Il reprochait vivement à la classe politique de son temps d’avoir entravé son action et militait pour une profonde réforme des institutions, destinée à renforcer l’exécutif dans le cadre d’un système démocratique. Trente ans après, ce fut la Ve République du Général de Gaulle (qui a reconnu s’être inspiré de son modèle), en tout cas telle qu’elle était à ses débuts en 1960.

En quoi son message porte-t-il encore aujourd’hui ?

Tardieu était le visionnaire de la fracture démocratique. Il aimait profondément et sincèrement le peuple, qu’il avait appris à connaître dans les tranchées de la Grande Guerre. Il s’indignait de le voir aussi maltraité et méprisé par la classe dirigeante. « Depuis soixante-dix ans, écrivait-il, on se moque du peuple français. Et c’est au peuple français qu’il appartient de décider s’il lui plaît qu’on se moque de lui. » Il dénonçait les mensonges d’un mode d’exercice du pouvoir qui ne représentait que lui-même, ses intérêts particuliers dans le mépris du peuple et de l’intérêt général. Mais aussi, il haïssait les dictatures qu’elles fussent parlementaires ou autocratiques.  La liberté était chez lui la valeur fondamentale. Il préconisait le droit de vote des femmes (contre la gauche radicale de l’époque qui redoutait l’influence des « curés » sur ces dernières) et un gouvernement par référendum de manière à rendre au peuple la souveraineté. Ainsi, son message est-il d’une actualité stupéfiante…

Peut-on dire qu’il était le précurseur d’une forme de populisme ?

Dès le début des années 1930, André Tardieu fustigeait, dans des pamphlets quasi-prophétiques le communisme soviétique, le fascisme et le nazisme. L’antisémitisme lui faisait horreur en un temps où il était tristement répandu. Ayant lu Mein Kampf en allemand, juste après sa parution, il multipliait les mises en garde contre les projets de conquête, d’asservissement de l’Europe ou d’anéantissement du Führer. Dans l’indifférence générale…  Avant même l’avènement à la chancellerie allemande de ce dernier en 1933, Tardieu maudissait la barbarie hitlérienne alors que la classe politique dans son ensemble prônait l’accommodement.   Le salut de la France face au danger hitlérien ne passait pas à ses yeux par le recours à une dictature autocratique mais par la restauration d’une démocratie authentique, fondée sur la liberté, le référendum, le respect du peuple et le renouveau de « l’esprit public » grâce à l’instruction. Il connaissait et admirait beaucoup Churchill.

Comment Tardieu a-t-il achevé sa vie publique ?

Il était une sorte d’Alceste, le Misanthrope de Molière, qui disait sa vérité à tout le monde dans ses livres tels que « le souverain captif » (1936), notamment au monde politique qui avait fini par le détester, y compris ses propres créatures comme Paul Reynaud. A partir de 1935, Tardieu, écœuré et malade, a quitté Paris dans la solitude absolue pour s’installer sur les hauteurs de Menton face à la Méditerranée où il méditait une œuvre historique et littéraire. Il a disparu à la suite d’un AVC en juillet 1939 qui l’a laissé paralysé et muet puis il est décédé en 1945. Tardieu portait un regard désabusé sinon accablé sur son époque. La nôtre n’aurait probablement pas trouvé davantage grâce à ses yeux. La transformation actuelle de la vie politique en grand spectacle narcissique et vaniteux, fondé sur le mépris du peuple, de l’intérêt général et de l’intelligence, est aux antipodes de son message.

Maxime Tandonnet, André Tardieu, Tempus-Perrin, mars 2024, 380 pages, 9€

Author: Redaction

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