Engrenage infernal

Ci-dessous, ma chronique d’hier pour Figarovox. La démission de M. Philippe et son remplacement par M. Castex, présenté comme un « haut fonctionnaire », sont tout ce qu’il y a de plus logique. La politique française accélère sa conversion au grand spectacle narcissique. M. Philippe faisait de l’ombre à la magnificence élyséenne et sa cote de popularité écrasait celle du président. Il a été remercié. Le nouveau venu, méconnu, sans expérience du parlement ni d’une fonction ministérielle, haut fonctionnaire, ne devrait faire d’ombre à personne. Le naufrage présidentialiste du régime se poursuit, la concentration de l’illusion du pouvoir dans le visage d’un seul homme englobant à lui seul le Parlement, le Premier ministre, le gouvernement, l’administration, rayonnant sur les sphères d’influence médiatique et judiciaire. Les difficultés du pays s’accumulent: explosion de la dette publique, des faillites, du chômage de masse, de la pauvreté, de la violence, accélération phénoménale du déclin scolaire et intellectuel, de l’écroulement de l’autorité de l’Etat et fragmentation communautaire. Mais le drame de la France s’efface derrière l’obsession de la réélection de 2022. Une seule chose compte: anéantir coûte que coûte l’opposition républicaine pour assurer le face-à-face tant attendu entre l’occupant actuel de l’Elysée et la candidate lepéniste, ne laissant de choix aux Français qu’entre « moi » ou le chaos. En vérité, ils n’auront le choix qu’entre le chaos et le chaos sur fond de vertigineux déclin. Cette stratégie du pire qui soumet le sort d’une nation à la dérive vaniteuse d’un individu pourrait nous indigner, nous révulser. Mais si les Français devaient tomber dans le piège – ce qui n’est pas certain – , à force de propagande éhontée, de magouilles, de mensonges, d’élections et de sondages truqués, d’abêtissement de long terme par l’écroulement du niveau scolaire, c’est qu’au fond, ils auront mérité leur triste sort; et alors tant pis pour nous.

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Dans la Ve République, le changement de Premier ministre est toujours un événement politique. Le départ de M. Philippe correspond à un cas de figure particulier : celui du président de la République écartant de Matignon un chef de gouvernement dont la cote de popularité fait concurrence à la sienne ou la dépasse.

Deux exemples viennent à l’esprit. Le 5 juillet 1972, M. Pompidou limoge Jacques Chaban Delmas. Il reproche à ce dernier le succès, au Parlement comme dans l’opinion, de son discours sur la « nouvelle société ». Il nomme à sa place Pierre Messmer, un fidèle, dont l’austérité contraste avec la flamboyance de son prédécesseur. Le 16 mai 1991, François Mitterrand demande à Michel Rocard, Premier ministre populaire, créateur du RMI (l’ancien RSA) de lui remettre sa démission. Sa succession donne lieu à un coup politique : la nomination, avec Edith Cresson, de la première femme chef de gouvernement de l’histoire de France… Victime de ses maladresses et de manœuvres de déstabilisation des « éléphants » du parti socialiste, elle doit jeter l’éponge un an plus tard.

Dans ces deux cas de figure, le président de la République reprochait au Premier ministre de soigner sa popularité plutôt que de s’exposer, d’accomplir et d’assumer des réformes difficiles et de protéger le prestige de l’Elysée. Cette inversion des valeurs – un Premier ministre plus populaire que le chef de l’Etat – était considéré comme le signe d’une dérive de la Ve République dont l’esprit repose sur un chef de l’Etat souverain, au-dessus de la mêlée et un Premier ministre acceptant de prendre les risques et les coups. 

Le changement de Premier ministre, dans ce genre de circonstances, est lié à plusieurs objectifs : provoquer un électrochoc dans l’opinion, symboliser un changement d’orientation de la politique, écarter un chef de gouvernement jugé insuffisamment efficace.  Un effet « bouc émissaire » est à l’œuvre : le Premier ministre démissionnaire, même s’il est populaire, est censé porter, dans l’inconscient collectif, le poids des déceptions ou des échecs passés. Les seconds chefs de gouvernement d’un mandat présidentiel sont généralement des hommes de confiance ou des proches désignés pour ne pas faire de l’ombre au chef de l’Etat. Toutes ces caractéristiques se retrouvent bel et bien dans le remplacement de M. Edouard Philippe. Son départ est censé exprimer l’avènement du « monde d’après », ou du « nouveau chemin » qui succède ainsi à la « transformation de la France » formule clé des trois premières années du quinquennat.

Ce changement de Premier ministre comporte cependant une différence notable avec les précédents de 1972 et de 1991. Ni Georges Pompidou, ni Mitterrand en cours de second mandat, ne songeaient à leur réélection mais plutôt à fonder une politique sur des nouvelles bases. Le départ de M. Philippe intervient dans un contexte dramatique : tsunami du chômage, fragmentation de la société française et sa violence croissante, calamiteux déclin scolaire du pays. Il s’inscrit avant tout dans la logique d’un calcul politique : la réélection de 2022. Réalisé en dehors de l’implication du Parlement et de la volonté populaire – plébiscitant le maintien de M. Philippe –, il souligne donc toute la tragédie du système politique français.  Il est dans la logique d’une mutation profonde du sens même de la vie politique, de plus en plus tournée vers le destin personnel d’un personnage, le chef de l’Etat, nonobstant les grands enjeux nationaux de long terme. Il reflète une fois encore un climat de déconnexion de la sphère dirigeante et de la réalité de la France. Il souligne une fois encore que la refondation de la démocratie française devrait être la grande priorité de l’heure.

Maxime TANDONNET

Author: Redaction