Ci-dessous, mon dernier article pour Figaro Vox. Il parle de l’autorité de l’Etat et de la démocratie, autour du barrage de Sivens.
L’autorité est une notion absente des débats de société. Elle est d’ailleurs incompatible avec la tournure prise par la vie politique qui n’existe plus qu’à travers les polémiques, jeux de mots, petites phrases, pitreries médiatiques. Quand une décision est prise, par la voie démocratique et dans le respect du droit, elle doit s’appliquer. Sinon, la démocratie, fondée sur la loi de la majorité, n’est plus qu’une illusion et la vie sociale, en l’absence d’une règle commune, dégénère en violence et en chaos.
Une anecdote m’est revenue en écrivant cette chronique pour le Figaro Vox. Elle est strictement authentique, sans que je n’aie rien inventé, j’en donne ma parole d’honneur.
Quelques années auparavant, lors d’une mission en région parisienne, je devais me rendre dans un lycée professionnel, au fond de la plus lointaine banlieue. Cet établissement a vocation à accueillir les jeunes les plus délinquants et les plus violents, dont l’Education nationale ne sait plus que faire. Il m’avait été présenté par tous les responsables du département comme un véritable enfer, où il valait mieux éviter d’entrer, même en termes de sécurité personnelle…
Bon. En découvrant le lieu, relégué à cent lieues de nos « bons quartiers », et des palais de la République, ce que j’y ai découvert m’a abasourdi: une parfaite propreté, pas un tag, pas un mégot de cigarette; des lycéens qui, croisés dans les couloirs, regardent dans les yeux et disent invariablement, « bonjour Monsieur »; mieux encore, à chaque classe visitée à l’improviste, des jeunes qui se lèvent comme un seul homme, les bras le long du torse, pour saluer le visiteur; et puis, des résultats au bac qui s’améliorent d’année en année, la violence, la drogue et l’insolence, la religion (le voile), strictement bannies des lieux. Inutile d’être hypocrite et de tourner autour du pot, dans ce lycée, je n’ai pas vu un seul lycéen « d’origine européenne » (pour éviter les mots qui fâchent).
Le miracle, il tenait à la personnalité d’un homme, le proviseur, à son autorité naturelle. De taille moyenne, mince, le visage ovale, les cheveux court, la cinquantaine, l’homme s’exprimait d’une voix calme, allant à l’essentiel, sans frime ni bavardage. Dans son style et son allure, tout exprimait la détermination, la modestie désintéressée, la passion de réussir, non pour lui, mais pour son établissement, sa mission. En trois ans, il avait réussi à sortir ce dernier du chaos dans lequel il était plongé, par quelques principes clairs et précis. A la première violence, insulte, tag, trace ou odeur de cannabis, tentative de racket, les forces de l’ordre étaient appelées à intervenir dans les 10 minutes et la justice à sanctionner en temps réel. Mais cet appareil de dissuasion a rarement servi, sauf au début. La volonté, l’intelligence simple et discrète, le désintéressement du proviseur, son exemple personnel, ont permis de restaurer la vie dans ce lycée où tout n’est pas parfait mais qui n’a rien d’un coupe-gorge ni d’une zone livrée à l’apocalypse tel que j’en avais entendu parler.
Quand j’y repense, je me dis, pourquoi, ce qui est possible pour un établissement scolaire, ne le serait pas pour une ville, une région, un pays… Hélas, l’étrange alchimie du caractère, de l’intelligence et de l’honnêteté, qui fonde l’autorité par l’exemple, se rencontre rarement dans la vie sociale et elle est quasiment absente de la France politique et médiatique qui valorise l’esbroufe plutôt que les qualités personnelles.
Maxime TANDONNET