Seul le prononcé fait foi
Monsieur le président,
Messieurs les présidents,
Mesdames et messieurs les ministres,
Mesdames et messieurs les magistrats et représentants des forces de sécurité,
Mesdames et messieurs les représentants d’associations de victimes,
Mesdames et messieurs,
Cuarenta y ocho horas. La espera, insoportable, había durado cuarenta y ocho horas hasta que el alcalde de la localidad de Ermua, en Vizcaya anunciara la noticia.
Quiero hablar del asesinato del joven consejero municipal Miguel Ángel Blanco después de su secuestro por la organización terrorista ETA.
No quiero dejar, de hecho, hoy, de saludar muy atentamente a su hermana Marimar Blanco.
Fue hace un poco más de veinte años, en mil novecientos noventa y siete.
Recuerdo hoy todavía que, aprendiendo la noticia, millones de españoles, reunidos en esta ciudad, en las calles de Madrid, de Barcelona o del País Vasco durante decenas y decenas de horas, habían emitido un grito, un inmenso grito.
Un cri d’effroi face au terrible dénouement de cette prise d’otage. Un cri de rage, de colère aussi. Colère contre une violence qui depuis vingt ans, ensanglantait l’Espagne. Une violence qui était à la fois physique, meurtrière, et, comme le montre avec une terrible justesse, le roman « Patria » de Fernando Aramburu, cette violence était aussi psychologique, quotidienne. Une violence qui pouvait frapper quiconque, à tout instant.
Ce cri de colère a retenti ici en Espagne. Il a retenti en Europe et en particulier en France. D’abord parce que la France servait de base arrière, de repli et de ravitaillement, aux terroristes de l’ETA et qu’elle en combattait les membres sur son sol depuis de nombreuses années.
Et puis parce que, contrairement à la formule du philosophe français Pascal, la vérité était cette fois identique « des deux côtés des Pyrénées ». Vérité de peuples frères. Vérité de la démocratie. Vérité de valeurs partagées. Vérité d’une lutte sans merci, conduite côte à côte dans la durée. Permettez-moi, à cet égard, de saluer les dirigeants français qui, avant moi, se sont particulièrement investis dans cette lutte. Je pense notamment au président Nicolas Sarkozy, en sa qualité de ministre de l’Intérieur puis de chef d’Etat, mais il y en a eu bien d’autres. La victoire que nous célébrons aujourd’hui est évidemment aussi la leur. C’est pourquoi, à défaut de pouvoir tous les citer, je voudrais leur exprimer mon plus profond respect et ma reconnaissance.
J’aime trop l’histoire, je la respecte trop, je la sais trop complexe, pour prétendre la commenter ou la faire aujourd’hui. En l’espèce, l’histoire, celle des historiens, ne fait que commencer. Ce travail sera long. Il sera peut-être douloureux. Mais il est nécessaire. Nécessaire pour comprendre. Nécessaire pour ne pas oublier. Nécessaire pour « mettre le passé à sa juste place », c’est-à-dire ni trop loin, ni trop près de nous, pour pouvoir à la fois le regarder en face et s’en affranchir.
Les 8 000 scellés que nous avons aujourd’hui l’honneur de remettre au nom de la République française, racontent cela.
Ils racontent le quotidien sanglant de la haine. La veule ingénierie du meurtre qui conduit par exemple des terroristes à camoufler des explosifs sous le siège d’enfant d’un vélo dans le but de causer le plus grand nombre de victimes possible.
Des scellés qui donnent des noms, des adresses, des voix et des visages au crime clandestin et que nous devons au patient travail de Mme Colette RENTY, directrice du greffe du Tribunal de Paris. Des scellés qui permettront de nourrir le travail des historiens, le travail de mémoire, mais de poursuivre aussi des enquêtes sur des crimes qui demeurent non élucidés. L’histoire a la mémoire longue ; la justice aussi.
J’en profite également pour remercier M. Jean-Michel HAYAT, président du Tribunal de Paris qui a autorisé cette remise historique et « exorbitante de droit commun » comme le veut la formule juridique. Je voudrais aussi remercier Mme Hélène DAVO qui a rendu possible cette cérémonie pour célébrer la victoire du droit contre la peur. Une victoire qui, à bien des égards, n’a pas été simple à obtenir. Mais que nous avons obtenue à force de constance, de ténacité et grâce à une coopération sans faille.
Nos gouvernements ont pu connaître des divergences politiques. Mais jamais en trente ans, ces alternances, ces divergences n’ont remis en cause ou affaibli notre solidarité face à la barbarie. Il est bon que nos concitoyens sachent que leur sécurité passe avant toute autre considération.
Ces scellées racontent l’histoire d’hommes et de femmes qui, des deux côtés de la frontière, ont dédié et pour certains d’entre eux, risqué leur vie, pour combattre l’ETA. Pour traquer les auteurs d’attentats. Pour déjouer des projets d’attentat. Pour interpeller des membres de l’organisation. Pour réunir les preuves nécessaires à leur condamnation. Et finalement pour vaincre.
Vous me permettrez à cet égard, de rendre un hommage particulier à Mme Laurence LE VERT première vice-présidente du Tribunal de Paris, qui a consacré une bonne partie de sa carrière à la lutte contre ETA et qui en est aujourd’hui, une des plus grandes spécialistes.
Je voudrais également saluer nos services de renseignement et de sécurité que représente aujourd’hui M. Laurent NUNEZ, directeur général de la sécurité intérieure qui, dès les années 1990, ont très vite appris à travailler avec la Guardia Civil, dans une totale confiance et une complète efficacité. Une complémentarité qui constitue aujourd’hui pour nous un précieux et redoutable atout.
Car ces scellés nous ramènent aussi à notre présent. À Paris en janvier et en novembre 2015. À Nice le 14 juillet 2016. Au marché de Noël de Berlin le 19 décembre 2016. À ce soir de concert à Manchester le 22 mai 2017. À Barcelone et à Cambrils les 17 et 18 août 2017. À la trop longue liste de ces heures tragiques durant lesquelles des concitoyens sont tombés sous les coups de la barbarie. Permettez-moi à cet égard, d’avoir en ce jour, une pensée très émue pour Laura PAUMIER et Mauranne HAREL qui, voilà tout juste un an, qui ont été assassinées sur l’esplanade de la gare Saint-Charles à Marseille et auxquelles notre pays a rendu hommage ce matin, avec leur famille et leurs proches.
Cette fois, c’est vers nos forces de sécurité, française et espagnole, vers nos forces armées, vers nos magistrats, vers le parquet de Paris cher François MOLINS, vers l’audience nationale espagnole, que je me tourne pour leur adresser notre plus profonde reconnaissance et leur faire part de notre admiration.
Nous sommes peu, messieurs les présidents, à connaître l’étendue de leur abnégation, de leur savoir-faire, des risques qu’ils encourent, souvent dans le secret, toujours dans la discrétion, pour protéger leurs concitoyens. Des risques que ces forces de sécurité, que ces magistrats, prennent une fois de plus côte à côte, dans une totale et parfaite intelligence pour combattre le terrorisme.
Mes derniers mots, forcément insuffisants, seront pour les victimes, pour leur famille et pour leurs proches. En particulier pour la famille de Raul CENTENO, qui fut, à Cap Breton, la dernière victime de l’ETA.
S’il existe des mots qui blessent, il n’y en a peu hélas qui guérissent. Je le dis souvent quand je m’exprime devant vous : ce que vous avez souffert, ce dont vous souffrez encore, je ne l’ai pas vécu. Cette simple vérité suffit à nous séparer. Et nous ne pourrons jamais vous rejoindre dans cette douleur, ni totalement vous comprendre.
Comprendre par exemple que pour beaucoup d’entre vous, le plus difficile est parfois de « se convaincre que la vie est encore vivable. D’où le rôle crucial que jouent les associations de victimes en Espagne comme en France. Des associations qui savent trouver les mots, qui connaissent aussi ces obstacles souvent invisibles mais bien réels – la culpabilité, la peur de sortir, l’impossibilité de se concentrer sur un travail, la perte totale de forces tant physiques que mentales – auxquels se heurtent un grand nombre d’entre vous. Des associations qui aiguillonnent, qui secondent et qui parfois alertent les pouvoirs publics sur les difficultés, les besoins très spécifiques, sur les tracasseries administratives qui se dressent sur le long chemin de la reconstruction.
C’est donc évidemment avec des sentiments mêlés que nous célébrons aujourd’hui notre victoire commune contre un terrorisme. Des sentiments où se côtoient une immense fierté, une très grande gratitude, mais aussi des blessures, et des pertes irremplaçables. Malgré tout, avec vous, monsieur le président, avec la nation espagnole, avec les familles des victimes, avec nos disparus, nous sommes là, debout, forcément tristes, mais résolus et soudés. Résolus et soudés à combattre, sans relâche, sans faiblesses, avec tous les moyens à notre portée, le terrorisme. À combattre pour des valeurs universelles auxquelles nous croyons. Des valeurs pour lesquelles, les nations européennes ont payé et continuent de payer un lourd tribut. Et c’est parce que nous sommes et nous resterons soudés, que nous sommes et resterons, j’en suis persuadé, invincibles.