Madame la ministre, messieurs les ministres,
Madame la Directrice générale,
Madame la maire de Paris,
Monsieur le président du Mémorial de la Shoah,
Monsieur le Délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme,
Mesdames et messieurs les anciens déportés,
Chers lycéens,
Mesdames et messieurs,
Devant nous, sur ces murs, la mémoire est à jamais gravée dans la pierre. Et nous étions, il y a un instant, dans cette crypte : il y a cette flamme, cette flamme éternelle, pour faire la lumière sur ce qui s’est passé et pour, à travers la transmission, éclairer l’avenir.
C’est cela, le Mémorial de la Shoah : un havre de paix, blotti au cœur de Paris, où l’on commémore – avec un vertige toujours renouvelé face au gouffre de l’horreur – le souvenir des morts ; où l’on étudie les raisons, les bases de ce qui a conduit à cette horreur.
C’est un lieu de vigilance, une injonction permanente à la lucidité et au courage ; pour aujourd’hui et, bien sûr, pour demain.
Comme tous les 27 janvier, comme l’an dernier, autour du président de la République, nous sommes rassemblés pour ne jamais oublier ce que fut le plus grand crime commis contre l’humanité.
Le plus grand crime. Un crime sans précédent.
Sans précédent dans l’histoire, parce que des hommes ont assassiné – et vous nous l’expliquez très bien, monsieur le directeur –, méticuleusement, mécaniquement, des milliers, des millions d’autres hommes, d’autres femmes, dans les camps de la mort, dans les camions et les chambres à gaz, sur les routes d’Europe, dans les ghettos des plus grandes villes comme dans les plus petits villages et les plus petits hameaux. La barbarie était insatiable. Il fallait engloutir la vie, humilier les êtres, broyer les corps. Le plus grand nombre ! Le plus vite possible ! Et en effaçant, surtout, en essayant d’effacer toutes les traces.
Un crime sans précédent pour la France, qui a prêté main forte, qui a trempé ses mains dans l’horreur du génocide, en livrant ses propres enfants. Oui, il y a eu des Français pour dénoncer d’autres Français, parce que juifs. Il y a eu des Français pour, au petit matin, arrêter des hommes, des femmes, des enfants, pour les faire monter dans des autobus, les parquer comme des bêtes dans des camps de transit, les jeter dans des trains de marchandises menant à des usines de mort.
Il y a eu des Français pour tirer un trait sur la France !
Un crime sans précédent, enfin, pour nos consciences. Car dans nulle autre époque l’homme n’était parvenu à un tel déferlement meurtrier. Contre les Juifs, mais aussi contre les Tsiganes, les homosexuels, les infirmes, les handicapés, les opposants politiques … Dans nulle autre époque l’homme n’était parvenu à une telle négation de lui-même.
Alors, il fallait ce lieu. Et d’autres lieux encore. Contre les négationnistes, bien sûr ! Mais aussi contre le silence, contre cette tendance à ne pas regarder l’histoire en face, comme ce fut trop longtemps le cas.
Après la guerre, en France, ce fut pendant plus de 20 ans le silence de tout un peuple. Certains savaient mais ne voulaient pas dire … Beaucoup ignoraient … Nombreux faisaient en sorte de ne pas savoir.
Puis, grâce à l’abnégation de quelques-uns, anonymes ou personnalités – je pense bien sûr à Serge KLARSFELD ou à Claude LANZMANN –, grâce à la littérature, au cinéma, grâce à l’école, et notamment à ce magnifique Concours national de la Résistance et de la Déportation, la Shoah a enfin été connue de tous.
Malheureusement, un autre silence s’est imposé. Au silence des consciences a succédé, comment dire, une forme de silence de l’Etat. La France a mis du temps – trop de temps –avant que de reconnaitre son rôle dans la déportation, et donc dans l’extermination des Juifs. Ce déni, ce refus n’a pris véritablement fin qu’en 1995, grâce au président de la République, Jacques CHIRAC.
Il y a eu un troisième et dernier silence, qui forcément nous bouleverse – ce « terrible mutisme » dont Paul CELAN a parlé : celui des survivants. C’était l’humble silence de ceux qui ont connu l’horreur. Un silence imposé ; car comment se faire comprendre des vivants après avoir vu de si près la mort ? Comment parler à ses semblables quand les préoccupations du présent semblent si dérisoires, mesurées aux souffrances du passé ? Comment raconter ce qui n’était pas racontable ?
Pourtant, peu à peu, à force de courage, les langues se sont déliées. Et surtout, les oreilles se sont tendues. Les survivants ont pris la parole, ont écrit pour dire, autant qu’ils le pouvaient, ce qui s’était passé. Et ces témoignages sont en partie conservés ici, au Mémorial de la Shoah.
Depuis 11 ans maintenant, il est une magnifique réponse au silence.
Contre ceux qui ont voulu remplacer des noms par des numéros, il redonne une identité aux disparus. Le « Mur des noms » est tel une sépulture pour les 76 000 Juifs de France déportés dans les camps.
Contre ceux qui veulent falsifier l’histoire, ce Mémorial donne toutes les ressources pour connaître les faits : un institut pédagogique, un auditorium, un centre d’enseignement multimédia. On y trouve, surtout, un centre de documentation fondé par Isaac SCHNEERSOHN en 1943, sous l’Occupation.
Contre ceux qui seraient tentés d’accepter la fatalité, ce Mémorial rappelle, enfin, qu’il y a eu des femmes et des hommes pour s’élever contre la barbarie. Le « Mur des Justes » recueille ainsi les noms de celles et ceux qui, au cœur même de l’épreuve, ont refusé de céder à la facilité.
Et ils ne furent pas les seuls. D’autres Français, par leurs actes de bravoure – cacher, fabriquer de faux papiers, passer les frontières –, des actes qui leur faisaient courir les plus grands dangers, ont sauvé des vies.
Depuis 11 ans, ce Mémorial est une réponse au silence. Il doit, aussi, nous donner la force de toujours résister.
La cérémonie de tout à l’heure l’a bien rappelé : un ancien déporté et un jeune adolescent, une ancienne déportée et un lycéen du lycée Charlemagne, qui allument une bougie, ensemble, comme pour montrer ce passage indispensable de relai. Charge, dès lors, à une jeunesse éveillée, consciente des dangers – et c’est le sens de la convention que nous allons signer –, de se montrer intraitable, comme nous le sommes, face à ce passé qui peut toujours ressurgir. Et c’est pour cela que l’Etat se mobilise comme jamais il ne l’a fait auparavant.
Le partenariat qui a été noué entre le Mémorial et la DILCRA est exemplaire ; et la mémoire, vous le savez, c’est la meilleure façon de lutter contre la haine.
Car nous n’en n’avons pas fini avec l’antisémitisme ! Il est là, virulent, vénéneux, criminel. Il tue encore, toujours, des Français juifs parce qu’ils sont juifs.
Il y a dix ans, presque jour pour jour, commençait le supplice d’Ilan HALIMI, torturé par ses bourreaux. Il y a quatre ans, à Toulouse, dans une école juive, un père de famille et trois enfants – des enfants ! – étaient abattus de sang-froid. Il y a un an, dans l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, quatre nouvelles victimes – victimes du terrorisme.
L’antisémitisme vient de la profondeur des siècles. Mais il a trouvé ces dernières années un nouveau souffle infernal derrière ce qu’Elie BARNAVI a appelé « le masque plus avenant de l’antisionisme ». Mais, même là, il ne trompe personne. Ce n’est pas le même nom, mais c’est toujours la même haine, les mêmes crimes, les mêmes meurtres.
Et à ces crimes et à ces meurtres s’ajoutent tous ces actes quotidiens, toutes les insultes, ces cris insupportables de « Mort aux Juifs », appelant à de nouveaux pogroms dans les rues même de notre belle capitale.
Notre rôle, à tous, c’est de résister et de protéger. C’est de dire avec la plus grande force que s’en prendre à un Français juif, c’est s’en prendre à la France, à ce qu’elle est, à ce en quoi elle croit : des femmes et des hommes libres de pratiquer leur religion, leur spiritualité, en toute liberté et en toute sécurité.
Résister, c’est aussi nous battre avec une même ardeur contre toutes les idéologies totalitaires. C’est ce que nous faisons, en Afrique de l’Ouest, en Syrie, en Irak, et bien sûr ici sur notre sol. Car ces têtes qu’on décapite, ces individus que l’on tue, ces consciences et ces corps que l’on viole, ces populations que l’on asservit, nous intiment l’ordre de tout faire pour venir à bout de cette nouvelle barbarie. Le combat sera long, mais j’ai la certitude que nous le gagnerons.
Et résister, c’est enfin ne jamais laisser le silence reprendre le dessus. Il est insupportable de voir cette remise en cause d’une vérité historique, de voir ces théories du complot prospérer sur Internet et les réseaux sociaux. Insupportable d’entendre cette petite musique, y compris dans nos écoles, dans nos lycées, dans nos quartiers comme dans les salons en ville, qui voudrait que « l’on en fasse trop avec la Shoah ».
Car la mémoire de la Shoah n’appartient pas aux Juifs. Elle nous appartient à nous tous. Elle fait partie de notre mémoire collective. Et si nous voulons être une Nation unie, embrasser les mêmes projets, construire un avenir commun ; si nous voulons, comme l’écrit Edouard GLISSANT, « partager la beauté du monde et être solidaire de ses souffrances, » alors « nous devons apprendre à nous souvenir ensemble ». Nous souvenir ensemble, pour pouvoir avancer, côte à côte.
Mesdames, messieurs,
Aujourd’hui, nous commémorons la libération du camp d’Auschwitz. Ce mot, à lui seul, est devenu le symbole de la cruauté de l’homme, de la faillite de l’humanité. Et ce jour du 27 janvier, en même temps qu’il marque la découverte des carnages et des charniers, est devenu le jour de la délivrance.
Délivrance des camps. Délivrance des corps émaciés, meurtris qui survivaient encore. Délivrance des peuples asservis et persécutés, qui avaient perdu tout espoir.
Et pourtant, on ne se délivre pas et on ne se libère jamais des camps. On ne le peut pas. On ne le doit pas. Et je suis convaincu que les lycéens que nous rencontrions il y a un instant, avec notamment la ministre de l’Education nationale, se souviendront toujours. Ils me le disaient : ils sont marqués par cette expérience. Les camps sont là comme le pire de nos cauchemars. Et, aussi, comme le plus fort des commandements.
Le souvenir des camps nous dit de ne jamais cesser le combat. Pour que jamais plus le silence ne recouvre la vérité. Pour que jamais plus les mensonges ne trompent les consciences. Pour que jamais plus la haine de l’autre, des Juifs, le racisme, l’antisémitisme, ne puissent aveugler les hommes.
Et ce combat est celui de chacun d’entre nous. C’est un combat de tous les instants, un combat que nous devons, ensemble, mener de front, sans faiblir, toujours guidés par la flamme du souvenir et par l’amour pour notre pays.
C’est le rôle du Mémorial, c’est le rôle des collectivités locales, et je salue bien sûr l’action de la ville de Paris. C’est le rôle de l’Etat, de la DILCRA, et de toutes ses institutions. C’est bien sûr le rôle de l’école, qui est là pour transmettre cette mémoire, pour construire de nouveaux citoyens, pour faire vivre nos valeurs.
Et c’est un combat, malgré les temps difficiles, malgré les difficultés, que nous remporterons. Car il y va, tout simplement, de la République et de la France.
Je vous remercie.
27 janvier 2016 Discours du Premier ministre au Mémorial de la Shoah