Discours de M. Edouard PHILIPPE, Premier ministre
A Dijon
Mardi 5 septembre 2017
Seul le prononcé fait foi
Madame, Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président de la Chambre des métiers,
Madame, Messieurs les Députés,
Madame, Monsieur les Sénateurs,
Messieurs les Présidents des organisations professionnelles,
Mesdames et messieurs,
C’est très pratique d’être Normand. C’est pratique parce que quel que soit l’endroit où on se trouve, on se sent toujours un peu chez soi. On est chez soi en Normandie, ça c’est normal. On est chez soi en Île-de-France. On est chez soi en Bretagne, au Royaume-Uni. On est aussi un peu chez soi en Espagne, beaucoup en Sicile, également à Antioche. Et on est chez soi ici, en Bourgogne. En tous cas, les Normands y ont été chez eux jusqu’au Xe siècle. Jusqu’à ce que le comte « Richard le Justicier » les raccompagne d’abord à Autun puis en Normandie.
L’épisode aurait pu être humiliant. Pour un Normand j’entends. Mais, l’honneur est sauf. Il est sauf car Richard tire une immense gloire de cette victoire contre un ennemi réputé invincible. Une gloire qui lui permet de jeter les bases de ce qui deviendra le duché de Bourgogne et de choisir Dijon comme capitale. À quelque chose malheur est bon. Je peux donc venir ici la tête haute.
Je vous rassure : je me présente devant vous ni en conquérant, ni en justicier. Mon objectif est à la fois plus modeste et je l’espère plus durable. Il consiste à essayer de vous faire partager un peu de l’esprit de conquête qui nous anime ainsi que l’exigence de justice sociale ou d’équité qui l’accompagne.
L’esprit de conquête, c’est la profonde transformation des structures économiques et sociales de notre pays que nous avons engagée sous la responsabilité du président de la République.
Bien entendu, il ne s’agit pas de tout chambouler pour le plaisir. Mais de « réparer le pays », de « redresser la cité qui penche » comme disaient les Grecs (Sophocle, OEdipe roi), de réussir les
5 ou 6 grands chantiers, les 5 ou 6 grandes transformations que tout le monde appelle de ses voeux depuis vingt ans, mais auxquelles personne n’a vraiment voulu s’attaquer.
Je ne vais pas les détailler ici, ce serait trop long. Elles concernent le redressement de nos finances publiques, l’amélioration de nos politiques publiques ; elles concernent la baisse de notre fiscalité, les transitions écologiques et numériques que nous devons réussir ; elles concernent surtout nos politiques de lutte contre le chômage de masse.
Ce que j’aimerais vous faire comprendre c’est que ces transformations forment un tout cohérent, une sorte d’écosystème ; que l’une ne va pas sans l’autre ; que chacune s’appuie et amplifie les effets des autres. Ces transformations, elles vous concernent aussi directement. Oui, directement, car elles façonneront votre nouvel environnement de travail. Les mesures que je veux vous présenter aujourd’hui s’inscrivent pleinement dans ces transformations. Elles en sont même le symbole.
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Vous êtes 2,8 millions de commerçants, d’artisans, d’exploitants agricoles et de professionnels libéraux à avoir choisi l’indépendance ; à avoir choisi la liberté. On oublie parfois que cette « liberté pour chaque individu d’effectuer quelque travail qu’il souhaite, ou même d’en effectuer plusieurs » – je cite les mots du préambule de l’édit de Turgot de février 1776 -, est un des trois acquis fondamentaux de la Révolution française avec l’abolition des privilèges et la reconnaissance de la propriété individuelle.
Ce n’est pas un choix facile l’indépendance, ou la liberté dans l’indépendance. Choisir l’indépendance, c’est choisir la responsabilité, une forme d’instabilité, d’imprévisibilité. C’est aussi choisir la solitude face aux difficultés. Mais ce choix, vous l’assumez, tous les jours, avec courage.
C’est une des raisons pour lesquelles les Français vous aiment, vous admirent et sans doute pour certains d’entre eux, vous envient. Vous n’êtes pas pour rien dans la réconciliation des Français avec l’esprit d’entreprise. Vous êtes l’incarnation de l’entreprise humaine, de cette économie de proximité, de ces services du quotidien, de ces expertises qui font vivre nos villes,nos villages, nos territoires. Et qui contribue à redonner du sens et de la dignité au travail.
Vous avez choisi la liberté donc. L’Etat respecte cette liberté. C’est normal. Mais je veux qu’il fasse plus : je veux qu’il la valorise, qu’il la consolide. Alors comment vous aider, chaque jour, à mieux exercer cette liberté ? Comment vous aider à conquérir cette indépendance ? Je vois au moins quatre façons d’y parvenir.
1. D’abord, « penser à vous ». Cela semble assez logique, assez naturel. Pourtant, cela n’a pas été toujours le cas, en particulier dans le domaine du droit du travail.
Le 31 août dernier, j’ai présenté le contenu des 5 ordonnances qui réforment le code du travail. C’est la première fois dans l’histoire sociale de notre pays, qu’un volet entier concerne les PME-TPE. Vous en connaissez la philosophie : sécuriser, clarifier, faciliter aussi l’accès à de nouveaux droits et surtout diffuser le dialogue social là où, autrefois, il n’avait pas la possibilité de se développer. Parce que c’est ce dialogue, au plus près des réalités du carnet de commande, de la conjoncture locale, qui permet de franchir soit des caps difficiles, soit des étapes dans le développement de l’entreprise.
2. Deuxième façon de vous aider : mieux rémunérer votre travail. C’est l’un des grands objectifs de la refonte de la fiscalité. Faire en sorte que le travail paye. À tous les niveaux. Pour y parvenir, nous avons décidé de basculer une partie du financement de la protection sociale des cotisations vers la CSG. C’est un vrai choix. Un choix politique j’entends. Un choix de société. Le choix de promouvoir l’activité.
En ce qui vous concerne, je voudrais préciser aujourd’hui quatre points :
a) Nous compenserons totalement la hausse de la CSG pour tous les indépendants par une baisse de la cotisation « famille ». C’est évidemment une question d’équité, de justice.
b) Nous allons faire plus que compenser, en accordant un gain de pouvoir d’achat à plus de 75% des travailleurs indépendants grâce à une baisse dégressive de la cotisation maladie. En clair, pour un indépendant qui gagne un SMIC, le gain sera de 270 euros par an. Et de 550 euros pour un indépendant qui gagne 2 400 euros nets par mois. Ces coups de pouce seront visibles dès les premiers acomptes, soit à l’été 2018.
c) Nous irons plus loin aussi pour les très petits entrepreneurs, qui sont notamment ceux qui démarrent une activité.
Nous avons décidé de les exonérer du paiement de la cotisation foncière des entreprises minimum à partir de 2019. Concrètement, les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 5 000 euros en seront dorénavant exonérées. Cette taxe, dont le montant était parfois disproportionné par rapport aux revenus de l’activité, suscitait beaucoup d’incompréhension. Elle était aussi, reconnaissons-le, complètement injuste.
d) Afin d’encourager la création d’entreprise, les travailleurs indépendants qui s’engagent dans une aventure entrepreneuriale ne paieront plus à compter de 2019 de cotisations de sécurité sociale la première année d’activité, dans la limite d’un seuil de revenu de 30 000 euros, ce qui couvre plus de 90% des cas. Pour les auto-entrepreneurs, l’entrée dans les cotisations sociales sera progressive, durant leurs trois premières années d’activité.
On s’inscrit certes dans une logique de pouvoir d’achat, mais aussi d’amorçage et d’affermissement de modèles économiques encore fragiles.
3. Troisième façon de vous aider : simplifier. Quand on est coiffeur, charcutier, médecin, start-uper, fleuriste, on est aussi par la force des choses, un peu comptable, DRH, directeur juridique, directeur financier, assistant de direction. Or le temps qu’on passe à remplir des déclarations et des formulaires, on ne le passe pas à exercer ce qui constitue le coeur de son activité. Donc simplifier pour gagner du temps ; simplifier pour vous permettre de vous consacrer pleinement à votre travail. La question est comment ? Je vous propose 3 mesures de simplification :
a) D’abord, je souhaite que d’ici 2020, les travailleurs indépendants n’aient plus à faire deux déclarations comme c’est le cas aujourd’hui, au RSI d’une part et à l’administration fiscale d’autre part.
Nous allons engager un vaste chantier technique d’unification de ces déclarations. Là encore, cela semble tout simple, mais personne ne l’avait fait auparavant. Nous le ferons.
b) La deuxième mesure de simplification concerne la gestion de vos paiements de cotisations. Vous le savez, il existe un décalage temporel entre votre activité et le moment où l’on prélève vos cotisations. Ce décalage peut devenir problématique en cas de fortes fluctuations de revenu. Je vous propose, non pas d’annuler ce décalage, mais d’en limiter au maximum les rigidités ou les effets négatifs sur votre trésorerie.
Pour cela, nous souhaitons agir en deux temps :
D’ici la fin de l’année, le Gouvernement mettra en oeuvre une première série d’améliorations : la possibilité de demander par anticipation un délai de paiement, le choix pour les cotisants trimestriels de payer par carte bancaire ou encore l’organisation de campagnes de rappels par SMS un peu avant les échéances.
A plus long terme et dans le cadre d’une expérimentation qui commencera dès 2018, nous développerons un système plus intelligent ou disons plus agile, vous permettant si vous le souhaitez, d’ajuster mois par mois ou trimestre par trimestre le montant de vos cotisations. En clair, quand ça ira bien, vous pourrez payer un peu plus. Et quand ça ira moins bien, vous pourrez payer un peu moins. Contrairement à aujourd’hui, c’est désormais vous qui aurez la main.
c) La troisième mesure de simplification concerne quant à elle les commerçants et artisans ayant une faible activité.
Elle vise à rehausser les plafonds de chiffre d’affaires pour le régime micro, soit 170 000 euros pour les activités de vente et 70 000 euros pour les services. Ce régime permet de calculer de manière très simple le bénéfice imposable en appliquant au chiffre d’affaires un abattement forfaitaire. Concrètement, cela évite de retracer et de justifier les charges réelles déductibles et in fine, cela allège les obligations comptables.
Nous veillerons, bien sûr, à ne pas créer de situations de concurrence déloyale. D’ailleurs, le régime micro n’est que rarement plus avantageux, financièrement, que le régime réel, mais il est plus simple. Or, nous voulons pousser aussi loin que possible la logique de simplification, surtout pour les plus petits revenus.
d) Quatrième façon de vous aider : vous protéger. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie rendre plus facile d’accès et plus équitable votre système de protection sociale. Cela signifie aussi vous garantir la même qualité de service et de prestations que les salariés. Je ne reviens pas sur les graves dysfonctionnements du RSI et les drames qu’ils ont provoqués : appels de cotisations aux montants incompréhensibles, retraites payées avec retard, interventions d’huissiers. Beaucoup d’entre vous ont vécu un calvaire. Et je veux aussi saluer la mobilisation des agents et des élus du RSI qui ont accompli des miracles pour vous aider à faire face à vos obligations malgré des bugs informatiques à répétition.
On aurait pu continuer à bricoler ; à se reposer sur les agents pour prolonger la durée de vie d’un système que chacun savait condamné. Mais le président de la République a souhaité vous proposer un nouveau départ. Ce nouveau départ, c’est la gestion à partir du 1er janvier 2018, du RSI par le régime général. Je connais vos craintes ; je les comprends. Il ne s’agit évidemment pas de reproduire les erreurs du passé. Encore moins de nier vos spécificités.
Mais je vois au moins 3 motifs pour lesquels nous pouvons, ensemble, regarder l’avenir avec calme, sinon avec optimisme :
a) D’abord, nous avons prévu une période transitoire d’une durée maximale de deux ans pour garantir un transfert totalement sécurisé de cette gestion. On acte le principe vite. Mais on se donne le temps de faire les choses correctement, avec rigueur. Cette transition sera conduite dans des conditions permettant une évolution progressive, mais rapide, des organisations de travail, et un transfert de gestion respectueux de la gouvernance, des personnels et des relations sociales au sein du RSI, ainsi que des organismes conventionnés. J’ai demandé à Agnès Buzyn et à Gérald Darmanin d’y veiller.
b) Ensuite, beaucoup des prestations auxquelles vous avez droit se sont rapprochées de celles des salariés.
Je pense à la prise en charge des arrêts maladie ou aux modalités de liquidation des retraites de base. Ces rapprochements faciliteront leur reprise en gestion par le régime général.
c) Enfin, le président de la République a été très clair durant la campagne : les indépendants bénéficieront d’une organisation et d’une gouvernance dédiées au sein du régime général, pour tenir compte de leurs spécificités.
Je ne sous-estime pas les défis qui nous attendent. J’ai conscience que nous n’avons pas le droit à l’erreur. Mais j’ai aussi conscience de ce qui est en jeu pour l’avenir des indépendants : des droits renforcés, une meilleure qualité de service, une organisation plus simple et plus lisible.
Voilà, chers amis indépendants, ces premières mesures de simplification, de « gratification » et de protection que je voulais vous présenter aujourd’hui.
Des mesures simples, ciblées, cohérentes, qui s’inscrivent dans le droit fil de tout ce que nous mettons en oeuvre pour stimuler le travail et l’activité dans notre pays.
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D’autres chantiers vous concerneront au premier chef. Je me contente de les évoquer. Nous nous reverrons, si vous le voulez bien, au moment de leur mise en oeuvre effective. Ils sont au nombre de trois :
1. Le premier vise à renforcer la protection sociale des travailleurs indépendants, en poursuivant le rapprochement de leurs droits sociaux avec ceux des salariés. Dès cette rentrée, nous lancerons une mission parlementaire sur la réforme du congé maternité. Là aussi, le président de la République s’y est engagé durant la campagne : nous voulons garantir les mêmes conditions de congé maternité pour toutes.
La nature et surtout la grande diversité de vos activités nécessitent évidemment qu’on analyse de façon précise les situations. La réflexion va s’engager sans tarder.
2. Le deuxième chantier concerne la réforme de l’assurance chômage, sa gouvernance bien sûr, mais aussi son extension : extension aux salariés démissionnaires qui voudraient, pourquoi pas, se lancer dans une activité indépendante ; son extension aussi à vous, aux indépendants. Il s’agit d’une mesure très forte d’égalité ou d’équité si vous préférez, mais aussi d’encouragement à l’audace, à l’initiative. On doit pouvoir lancer son activité sans forcément y laisser sa chemise si les choses tournent mal.
3. Enfin le dernier chantier traite de ce qu’une Nation a sans doute de plus précieux : les compétences des femmes et des hommes qui la composent. En fait, il s’agit d’un chantier double puisque nous allons à la fois totalement refondre la formation professionnelle – y compris pour vous- et développer massivement l’apprentissage. Tout à l’heure, avant de vous rejoindre, j’ai longuement évoqué le sujet avec la gérante d’un salon de coiffure. Que disait-elle ? D’abord, qu’elle avait besoin d’apprentis pour l’aider dans son travail. Ensuite qu’elle aimait former des apprentis. Des apprentis qui trouvaient presque à chaque fois un emploi stable comme 7 apprentis sur 10 en France. Je l’ai dit, je le répète : les compétences sont notre « trésor national », une assurance presque tous risques contre les vicissitudes de la vie professionnelle, la seule vraie sécurité qui soit. Nous allons donc investir comme jamais dans ces deux voies royales de l’insertion ou de la réinsertion.
C’est cette France de toutes les excellences, cette France des compétences, des savoir-faire, des libertés, des sécurités et des droits réels que je vous invite à construire avec nous. Une France qui depuis l’été 2017, a décidé de recouvrer la pleine maîtrise de son avenir. Une France qui se transforme, qui innove, qui cherche des solutions pour renouer enfin avec la croissance et l’emploi. Je vous remercie.
Discours d’Édouard Philippe, Premier ministre – Dijon – 05/09/2017