Discours de Manuel Valls à l’Assemblée nationale « Situation de la Grèce et enjeux européens »

Monsieur le président,
Mesdames, messieurs les ministres,
Mesdames, messieurs les députés,

Depuis 70 ans, l’Europe, ce « vieux rêve », est devenue une réalité pour nos pays, pour les peuples. Ensemble, à force de volonté, nous avons su transformer notre histoire : sceller une paix durable et faire que, du Sud à l’Est, la démocratie s’enracine.
C’est une magnifique construction par des Nations qui ont uni leurs forces, leurs destins, pour peser davantage. Economiquement ! Mais aussi politiquement, diplomatiquement.

L’Europe, c’est une voix qui parle et qui porte.

Bien sûr, elle a ses insuffisances, ses manques : des vides démocratiques qui restent à combler, des faiblesses diplomatiques, des difficultés économiques, qui peut le nier ?
Mais, soyons sûrs d’une chose : sans l’Europe, nous n’abandonnerions pas simplement un idéal … nous perdrions beaucoup de nous-mêmes. Dans un monde qui change si vite, nos Nations se trouveraient esseulées, diluées. Affaiblies, elles perdraient progressivement pied.

1/ L’Europe est à un moment crucial de son histoire

Le Gouvernement a souhaité que le débat d’aujourd’hui ait lieu pour que la représentation nationale soit pleinement associée, car nous sommes à un moment crucial. Crucial pour la Grèce et le peuple grec ! Crucial, aussi, pour nous, et pour la construction européenne.

Nous devons refuser une Europe du ressentiment, de la punition et de l’humiliation.
Une Europe où monteraient, ici, les sentiments anti-grecs, et là, les sentiments antiallemands, où s’installeraient définitivement les égoïsmes et les populismes ; une Europe où les plus faibles seraient livrés à eux-mêmes.

L’Europe, c’est la fierté d’être soi, pas le repli sur soi. C’est le respect des peuples et des individus.

Il y a entre la France et la Grèce, entre Paris et Athènes ce lien historique très fort, irremplaçable.

La Grèce c’est le berceau de l’Europe, par son histoire, sa culture et ce qu’elle nous a apporté : la démocratie.

Au début du 19ème siècle, le chant de liberté du peuple grec prenant son indépendance a été entonné en canon par les poètes, les écrivains, les artistes français – CHATEAUBRIAND, Victor HUGO, mais aussi DELACROIX, LAMARTINE étaient de leur nombre.

La Grèce est un grand pays européen. Elle est dans l’Union européenne depuis 1981, grâce notamment à la France avec, à l’époque le Président Valéry GISCARD D’ESTAING. Elle est alors sortie de la dictature des colonels.

Et il y a, aujourd’hui, les personnages incontournables de cette âme culturelle commune que nous nous sommes forgés. Des noms et des oeuvres de littérature, de musique, de cinéma résonnent ici, en France. Je pense à Mélina MERCOURI, à COSTA-GAVRAS, qui a fait jouer de grands acteurs français dans un film, Z, sur l’histoire de son pays. Et puis, il y a Jacqueline de ROMILLY, cette femme française qui a dévoué sa vie à la culture, la langue grecque – si bien qu’elle a reçu, à titre honorifique, en 1995, la nationalité grecque.

La Grèce, c’est une passion française. Et Europe, cette déesse qui a donné son nom à notre continent est au coeur de notre mythologie ! Nous devons être fidèles au passé et à l’avenir de cette relation.

La Grèce a aussi conscience de ce que l’Europe lui a apporté.

Sachons donc entendre les messages, d’un peuple qui a connu l’austérité. Non ! Par leur vote, les Grecs n’ont pas voulu couper les ponts avec l’Europe ! Ils n’ont pas dit non à l’Euro ! Car au fond, tous savent combien les conséquences de la sortie de la monnaie unique seraient terribles ; tous savent combien on ne peut pas en sortir « calmement » et « sans drame ».

Une sortie, c’est à coup sûr : l’effondrement des revenus, les prix des importations qui explosent, y compris pour les biens de première nécessité, des conséquences sociales et politiques et d’ordre public que personne d’entre nous n’est capable de prévoir. Est-ce cela que nous voulons, pour le peuple grec ? Est-ce cette image que nous voulons donner de l’Europe aux yeux du monde ? Non ! En tout cas, ce n’est pas la position de la France.

L’Europe a besoin de solidarité. Mais, face aux défis colossaux de notre époque, elle a aussi besoin d’unité et de stabilité. Le maintien de la Grèce dans l’Euro, et dans l’Union européenne, c’est aussi un enjeu géostratégique et géopolitique de la plus haute importance.

Je pense, bien sûr, à nos relations avec la Turquie, aux Balkans toujours fragiles, aux tensions à la frontière Est de l’Europe – la Grèce, par ses liens notamment avec la Russie et le monde orthodoxe, est un acteur majeur du partenariat oriental. Je pense, également, aux enjeux migratoires. La Grèce est aujourd’hui, avec l’Italie, l’un des pays les plus exposés aux arrivées massives de migrants. La Grèce, membre de  l’Otan, c’est aussi l’avant-poste européen d’un Proche-Orient en plein embrasement.

Affaiblir la Grèce, c’est donc nous affaiblir collectivement.

C’est un affaiblissement de l’Europe, avec des répercussions notamment économiques. C’est cette inquiétude que partagent les dirigeants américains et chinois. Le monde nous regarde. Et s’interroge.

2/ Le rôle de la France

C’est pourquoi, la France – et le Président de la République d’abord – consciente de ce qui se joue, ne ménage pas ses efforts, pour trouver des solutions, pour faire converger les points de vue.

Et nous agissons avec le Chef de l’Etat, sans relâche pour que la Grèce tienne ses engagements ; pour écouter le choix d’un peuple, tout en assurant la cohésion de l’Europe. C’est à cette condition que nous parviendrons à un accord satisfaisant pour toutes les parties.

Telle est, après tout, l’histoire de l’Europe : trouver des solutions communes, bâtir ensemble, dans le respect de gouvernements élus démocratiquement, dans le respect de chacun, des sensibilités qui ne sont pas les mêmes quand on est à Dublin, à Bratislava ou à Lisbonne.

Rien n’est facile, bien sûr. Les débats sont réels, les risques sérieux.

C’est pour cela que la France, membre fondateur, tient son rang, puise en ellemême cette force qui en a toujours fait un garant du destin européen. C’est notre vocation. Nous ne pouvons pas céder à la résignation.

Nous sommes la France. C’est-à-dire ce choix de ne pas subir, mais d’agir. Nous portons l’Europe en nous-mêmes. Dans notre coeur. Nous en connaissons le prix immense et la richesse incalculable. Nous ne pouvons nous dérober à nos responsabilités historiques. Le Président de la République assume pleinement ce rôle. Avec sens de l’Histoire.

Oui, la France – c’est son rôle, c’est ce que l’on attend d’elle – fait tout, aux côtés de ses partenaires, en s’appuyant sur la force, la cohésion, du couple Franco-Allemand. Son rôle, c’est le compromis. Ce n’est pas casser, exclure. Ce n’est pas de renverser la table.

Quand l’essentiel est en jeu – et l’essentiel est en jeu – la France et l’Allemagne ont le devoir de se hisser à la hauteur de l’événement. Bien sûr, chacun peut avoir ses sensibilités, notamment au sein de son opinion publique. Mais la force de cette relation, c’est de savoir avancer ensemble.

Nos deux pays le savent bien : cette relation n’est pas exclusive, mais elle est unique, car ensemble, nous avons une capacité à entraîner. Nous sommes deux pays souverains conscients de leurs responsabilités. La réunion qui s’est tenue à l’Elysée, lundi soir, était ainsi essentielle pour renouer le lien avec tous les acteurs.

Rien n’est facile, mais c’est à nous de nous élever à la hauteur du moment. C’est ce que fait le Président de la République aux côtés de la Chancelière d’Allemagne encore lundi dernier, et encore hier soir, à Bruxelles, avec le ministre des Finances et des Comptes publics.

Je veux saluer l’action déterminée de Michel SAPIN qui n’a eu de cesse, depuis le début de négociations, de multiplier les échanges et de tout mettre en oeuvre pour faire partager la vision française et soutenir la Grèce. Je tiens à le remercier, ici, pour son action au service des intérêts de notre pays et de ceux de l’Europe.

La détermination de la France est totale.

Et si nous nous mobilisons autant, ce n’est pas, comme j’ai pu l’entendre de la part de certains, parce que nous serions à la remorque de l’Allemagne, ou indulgents vis-à-vis du gouvernement d’Alexis TSIPRAS, mais parce que c’est notre intérêt. Et notre intérêt, c’est l’Europe.

3/ Pourquoi en est-on arrivé là ?

Mesdames, messieurs les députés,

Bien comprendre la situation actuelle, c’est aussi porter un regard rétrospectif sur les dix dernières années.

La Grèce a connu une forte croissance économique durant les années 2000, en partie d’ailleurs grâce à la stabilité offerte par l’appartenance à la zone euro.

Mais, elle n’a pas su moderniser son économie, et mener les réformes nécessaires, que ce soit dans le secteur privé ou public. Ainsi, au moment où a éclaté la crise économique, l’économie grecque était déjà très fragile, avec une dette publique et un déficit de la balance commerciale extrêmement élevés.

Les mécanismes de prévention, permettant d’anticiper une crise dans la zone euro, n’ont donc pas fonctionné. Nous avons dû inventer en urgence, et donc forcément en tâtonnant, des mécanismes de gestion de crise. Sans la solidarité de ses partenaires européens, la Grèce aurait été en faillite en 2010. Nous avons évité cela, en lui apportant une assistance financière massive – proche de 240 milliards d’euros – et en mettant en place un programme de réformes pour le redressement de son économie.

La France avec la majorité précédente a porté cela. Accepter désormais, non sans renoncement, une sortie de la Grèce de la zone euro, c’est être en contradiction totale avec nos valeurs et les orientations que la France a toujours voulues pour l’Europe. C’est un aveu d’impuissance. Au nom de ce qu’est la France, je m’y refuse.

Au prix de réels efforts, souvent douloureux pour la population – et que personne ne doit sous-estimer -, l’économie grecque n’était certes pas guérie, fin 2014, mais en voie de guérison : la croissance était de retour, et le budget public était en excédent primaire. Pour autant, le problème de la dette restait entier et les grecs ne voyaient pas arriver concrètement le fruit de leurs efforts.

Début 2015, le gouvernement grec nouvellement élu a souhaité revoir les modalités du programme d’assistance, et en particulier le détail des réformes nécessaires pour que la Grèce puisse recevoir le reste de l’aide financière prévue.

Les discussions ont été longues et difficiles – je n’y reviens pas –, mais il y a deux semaines nous étions tout près d’un accord. Les institutions – la Commission européenne, la BCE, le FMI – avaient fait des propositions nouvelles, avec en particulier des cibles budgétaires revues à la baisse. L’objectif était de permettre à la Grèce d’honorer ses engagements passés, mais aussi de renouer avec la croissance.

Le gouvernement grec a cependant décidé d’interrompre de manière unilatérale les négociations – nous l’avons regretté – et d’organiser un référendum pour permettre à son peuple de s’exprimer souverainement. Ce choix, nous n’avons pas à le discuter.

4 / Quelle situation au lendemain du sommet de la zone euro ?

Le sommet d’hier a permis au dialogue de reprendre, de réenclencher un processus et de rétablir le lien dont nous avions tous besoin pour avancer. C’était nécessaire. Ce travail de dialogue doit pleinement se poursuivre. Car les fondements ont, ces
derniers mois, été posés. Et un accord est à portée de main !

La condition c’est, le Président de la République l’a souligné, la solidarité. C’est aussi la responsabilité, celle des Etats-membres et celle de la Grèce. Je dis bien aussi celle de la Grèce. La France et nos partenaires européens sont légitimement attachés à cela et plus encore ceux qui ont, au cours des dernières années, consenti des efforts importants – et parfois même des sacrifices.

L’Europe, ce n’est pas un droit de tirage illimité. Ce sont des règles communes à respecter. Sans cela, il n’y a pas d’union possible !

La France se mobilise jusqu’au bout, fidèle à ses valeurs pour aider la Grèce mais il faut que le gouvernement grec veuille aussi s’aider lui-même.

C’est donc aussi au gouvernement grec d’être au rendez-vous de son histoire et de l’histoire européenne. C’est un moment de vérité. Pour lui !

Les bases d’un accord complet, global et durable sont connues :

– d’abord, des réformes nécessaires et détaillées pour moderniser et redresser l’économie, bâtir un Etat solide, réactif, efficace, un Etat qui fonctionne vraiment ; pour avancer sur des questions essentielles telles que la TVA, les retraites, sans toucher aux petites retraites ; mener ces réformes est la condition essentielle à l’obtention d’un nouveau programme d’aide financière.

– deuxième point de l’accord : des moyens pour financer la croissance en Grèce, car, comme je l’ai dit, c’est d’abord cela que veulent les Grecs. Et le Président de la Commission européenne, Jean-Claude JUNCKER, a proposé un paquet de 35 milliards d’euros, qui doivent permettre d’apporter à l’économie grecque l’oxygène dont elle a besoin pour redémarrer ;

– enfin, troisième point : une perspective claire sur le traitement de la dette. Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir de sujet tabou. Je le dis : il est essentiel d’établir une trajectoire soutenable de la dette grecque pour les prochaines années. C’est un moyen indispensable pour avancer vers une solution durable à la crise actuelle.

Il est aujourd’hui urgent de conclure cet accord ; il nous reste peu de temps devant nous.

Ce matin, les Grecs ont soumis formellement leur demande d’aide d’urgence dans le cadre du mécanisme européen de stabilité.

Jeudi, ils présenteront un programme complet de réformes précises à mener à court et à moyen termes.

Samedi, sur la base de l’évaluation faite par les institutions, une nouvelle réunion de l’eurogroupe se tiendra, avant que dimanche une nouvelle réunion des chefs d’Etat ou de gouvernement ne soit organisée.

Nous avons donc cinq jours. C’est en partie le destin de l’Europe, comme construction politique, qui se joue. Nous devons pleinement nous engager. Le temps est à l’action. Et je veux être très clair : comme l’a dit le Président de la République, quelle que soit l’issue, l’Assemblée nationale aura à se prononcer. Et s’il y a un accord, l’Assemblée nationale devra se prononcer par un vote.

Mesdames, messieurs les députés,

L’Europe appelle autant à l’humilité qu’à une détermination farouche : c’est une histoire progressive, faite d’étapes, de coups, voire d’à-coups. Sa capacité à
surmonter les crises lui a permis de grandir.

Qu’on le veuille ou non, l’Europe politique est mise à l’épreuve, dans la douleur et dans l’incertitude. Mais cette Europe politique, nous l’avons tous réclamée ici, déçus que nous étions d’une Europe qui se confondait uniquement avec un projet économique. Nous y sommes. Il appartient à la France, au couple franco-allemand de se saisir de cette crise pour en faire une opportunité. L’opportunité d’une zone euro renforcée, et donc d’une Europe plus forte.

Il y a urgence !

Reconnaissons que de réels progrès ont été faits au cours des dernières années pour renforcer la zone euro. Elle est beaucoup plus robuste qu’il y a encore quelques années. Je pense à un outil comme le mécanisme européen de stabilité et à l’Union bancaire.

Pour autant, et l’exemple grec le montre, le travail sur l’approfondissement de la zone euro n’est pas achevé. La question qui se pose en filigrane, c’est bien sûr celle du gouvernement économique de l’Europe. Il se met en place. Pas assez vite ! Il faut accélérer, c’est-à-dire répondre à ces questions : quel agenda de convergence économique et fiscale souhaitons nous porter ? Quelle ambition avons-nous pour avancer en matière sociale, qu’il s’agisse des salaires ou de toute forme de concurrence déloyale ? Quelle politique économique pour la zone euro, pour garantir que notre monnaie unique soit pleinement au service de la croissance et de l’emploi, des pays du Nord aux pays du Sud ? Quelle structure ? Quelle force de frappe ?
Quelle représentativité démocratique ?

Tous ces enjeux sont devant nous. Et après l’urgence, nous aurons aussi, mesdames, messieurs les députés, à y répondre ! Et la France, comme toujours, devra être et sera à l’initiative. Pour que l’Europe tienne sa place, avance, reste dans le coeur des peuples et continue de bâtir son histoire.

Discours du 8 juillet 2015 Discours de Manuel Valls à l’Assemblée nationale « Situation de la Grèce et enjeux européens »

Author: Redaction