Mardi 9 juillet 2019
Paris, Pavillon Gabriel
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le président d’Europlace, cher Augustin de Romanet,
Mesdames et messieurs les élus franciliens,
Mesdames et messieurs, chers amis,
Peut-être que certains d’entre vous connaissent Willie Stark. C’est le gouverneur d’un Etat du sud des Etats-Unis. Je rassure ceux qui ne le connaîtraient pas : il n’a pas existé. Dans la vraie vie j’entends. Il a en revanche bel et bien existé sous la plume de Robert Penn Warren. Dans son livre Les fous du roi, le vrai-faux gouverneur Willie Stark répète cette phrase pour exprimer son impatience : « Un de ces jours, ce n’est jamais aujourd’hui ».
Reconnaissons que durant des années en France, nous avons un peu abusé du « Un de ces jours » lorsqu’il s’agissait de conduire les réformes dont notre pays avait besoin. Et les résultats n’étaient « jamais aujourd’hui ». Certains de nos partenaires européens, eux, allaient de mieux en mieux. La France, elle, s’affaiblissait malgré des atouts exceptionnels. Cher Willie Stark, chers amis, je vous le dis donc avec assurance : la France a cessé de procrastiner.
Depuis deux ans, elle s’est engagée dans un vaste mouvement de transformation pour devenir l’économie la plus compétitive et la plus attractive d’Europe. Nous n’y étions pas et nous avons encore du travail. Pour renforcer la compétitivité de la place de Paris. Pour faciliter la relocalisation d’activités financières. Pas uniquement pour le plaisir de les accueillir, mais pour financer notre économie, nos usines, nos laboratoires, nos commerces.
La volonté de réformer n’est pas suffisante pour réussir. Il faut agir avec méthode, ne laisser aucun angle mort, lever chacun des verrous qui bloquent notre économie : droit du travail, fiscalité, appétence pour l’entreprenariat, transport public, dépense publique, pouvoir d’achat des actifs. Comme vous avez été très attentifs lors de nos deux dernières rencontres, je ne vais pas en dresser la liste exhaustive.
Notez seulement que tous les engagements que j’ai pris ont été mis en œuvre et que les réformes continuent. Nous avons engagé dès l’hiver dernier, la transformation de notre fonction publique. J’ai détaillé le 18 juin dernier, les axes de la réforme de notre assurance chômage. Enfin, nous engagerons bientôt, la transformation de notre système de retraite.
Je ne crois pas au hasard, et permettez-moi de rappeler tant aux investisseurs qu’aux Français quelques résultats que je qualifierai d’encourageants. Ces résultats, c’est :
– un chômage qui a atteint en France son plus bas niveau depuis dix ans ;
– un pouvoir d’achat qui augmente et des impôts qui baissent. En 2019 et en 2020, la France aura connu la plus grande baisse d’impôts depuis 2007 ;
– c’est une baisse de la dépense publique en volume pour la première fois depuis 40 ans ;
– ce sont des créations d’entreprises à leur plus haut niveau depuis 20 ans ;
– c’est un investissement privé des entreprises qui a atteint son plus haut niveau depuis 12 ans ;
– et notre pays redevient une terre d’accueil pour les investisseurs et pour les talents du monde entier. Ce n’est pas moi qui le dis ! Mais des organismes, des indicateurs, des classements d’attractivité indépendants qui n’ont pas toujours été très tendres avec nous dans le passé.
J’ai peut-être été un peu long dans l’énumération de ces résultats. N’y voyez surtout pas un exercice d’autosatisfaction. Ce n’est pas le genre de la maison. Je suis juste heureux et fier que mon pays exploite enfin son formidable potentiel. Et puis, ces résultats sont la preuve, toujours réconfortante, qu’en politique comme ailleurs, la constance et la cohérence payent.
Nous sommes donc aujourd’hui à la croisée des chemins. Voire, avec vos métiers, « à la croisée des mondes » pour paraphraser le titre d’une célèbre fresque du romancier britannique Philip Pullman. L’Europe, la France ont besoin de financements. Elles ont besoin d’un système financier solide pour attirer ces financements. Et avec les élus franciliens, nous voulons que Paris tienne son rang de première place financière continentale. Ce qui implique selon moi, de relever 3 défis.
Le premier de ces défis, c’est celui du Brexit.
Nous n’avons jamais considéré le départ des Britanniques de l’Union européenne comme une bonne nouvelle, au contraire. Mais le peuple britannique a fait un choix souverain. Et nous devons respecter ce choix. Respecter ce choix ne veut pas dire le subir. L’Europe doit aller de l’avant. Dans tous les domaines et en particulier dans le domaine financier.
Le Brexit ne nous laisse pas d’autre choix que de réorganiser le système financier européen. D’en développer l’autonomie et la complémentarité pour éviter qu’il ne devienne une sorte de « canard sans tête ». Tout espace, fût-il financier, a besoin d’un centre de gravité.
En effet, il n’est pas concevable que le système financier européen dépende d’une place financière qui se situe en-dehors de l’Union européenne. En dehors des besoins de ses entreprises et de ses territoires. En-dehors aussi de la supervision de ses régulateurs. A fortiori durant des périodes de crise ou d’instabilité. C’est donc à la fois une question de stabilité et de souveraineté.
La France défendra donc avec détermination la souveraineté financière européenne. Elle défendra les pouvoirs de ses régulateurs ; elle défendra sa réglementation ; elle défendra les intérêts de la croissance européenne. Elle le fera dans le respect de l’équilibre entre l’impératif de stabilité financière d’une part et la capacité des acteurs européens à prendre des risques d’autre part. Et pour y parvenir, nous veillerons au développement d’une concurrence saine et équitable avec les établissements financiers qui se trouvent en-dehors de l’Union.
C’est pourquoi, nous porterons la plus grande attention à l’évaluation précise des conséquences sur l’économie européenne de l’accord final de Bâle 3. Nous serons également attentifs à son calendrier et à ses modalités de transposition en Europe en tenant compte de plusieurs choses : d’abord des spécificités et des besoins de l’économie européenne ; mais aussi des choix qui seront faits dans les différentes zones géographiques, en particulier aux Etats-Unis. L’idée étant de ne pas nous imposer des normes démesurément contraignantes par rapport à celles des autres. C’est un sujet qui est fondamentalement politique. La discussion n’a pas commencé. Le sujet reste donc entier.
J’ajoute que cette discussion politique devra aussi porter sur la révision du cadre de la directive « Solvabilité 2 » dans les assurances, qui sera un autre chantier majeur de la prochaine Commission, pour promouvoir les investissements européens de long terme.
Le deuxième défi en effet, c’est celui du financement de la croissance européenne de demain.
Je ne peux pas me satisfaire d’une situation dans laquelle nos entreprises, nos startups et nos licornes sont obligées de lever des capitaux aux Etats-Unis ou en Asie pour grandir, faute d’une base en capital suffisante en Europe. On doit pouvoir trouver, constituer, développer en France et en Europe, des fonds pour financer nos entreprises innovantes et en croissance.
Cela implique – en tous cas pour ce qui concerne la France – de mieux faire travailler notre épargne. Et c’est pour cette raison que nous avons depuis 2017 engagé une transformation puissante, du paysage de l’épargne française, et ce autour de deux volets.
Un volet fiscal avec la mise en place d’une « Flat-Tax » simple et lisible. Avec aussi la transformation de l’ISF en IFI pour ne plus pénaliser l’argent qui profite à nos entreprises.
Le second volet de cette transformation est réglementaire. Son but ? Corriger les biais économiques de l’épargne règlementée et rendre plus attractifs les produits financiers qui financent les entreprises: c’est la modernisation de l’épargne retraite ; les flexibilités accrues sur le PEA et l’assurance-vie en unités de compte.
Et c’est parce que nous voulons libérer l’épargne française que nous avons besoin de vous, d’une place financière qui se mobilise pour promouvoir ces nouveaux produits, qui s’ouvre aux acteurs financiers qui relocalisent ; qui s’ouvre aux Fintechs qui développent de nouveaux services pour les épargnants. D’une place qui s’ouvre aux fonds et aux équipes de gestion spécialisées dans les secteurs d’avenir. Les épargnants français, privés et institutionnels, méritent ce qu’il y a de mieux pour faire fructifier leur argent.
Ce défi n’est pas que français. Il est aussi européen. En tous cas, c’est ce que nous attendons de l’Union bancaire et du marché unique des services financiers : faire en sorte que l’épargne des Européens fasse son « Erasmus » en finançant des entreprises européennes.
Vous connaissez peut-être ce chiffre de l’OCDE selon lequel la part des actifs financiers détenus sous la forme de monnaie fiduciaire ou à faible rendement représente 10% du portefeuille des ménages aux Etats-Unis, contre 20% au Royaume-Uni et 40% dans l’UE à 27. Bien souvent « prudence est mère de sûreté ». Malgré tout, nous devons donner aux épargnants européens un peu plus le goût – non du risque – mais disons de l’action. Celui du rendement aussi ! Parce que les deux vont ensemble a fortiori dans un environnement de taux durablement bas.
Et puis, nous avons besoin d’une intégration financière renforcée. Parce que nous avons besoin que l’épargne européenne finance mieux les entreprises européennes. Nous avons besoin de lever des financements plus facilement et à moindre en coût. De diversifier l’origine géographique des actifs financiers et de mieux en répartir le risque. Cela implique également de bâtir des acteurs financiers vraiment européens. Et pourquoi pas, de réussir dans le secteur financier, ce qu’on a su réussir dans d’autres domaines.
Reconnaissons-le : le bilan de l’Union des marchés de capitaux durant cette dernière mandature européenne est modeste. Et nous devons imprimer un nouvel élan. C’est la raison pour laquelle la France, avec l’Allemagne et les Pays-Bas, ont lancé un groupe de haut niveau chargé de faire des propositions pour relancer l’Union des marchés de capitaux.
Je suis confiant. Les Européens savent surprendre. Beaucoup dans cette salle se souviennent sans doute de la perplexité qui a entouré il y a cinq ans, la renaissance d’Euronext. Eh bien, cinq ans après, le rebond est là. Et Euronext a étendu son modèle fédéral à d’autres bourses européennes. Nous n’avons aucun complexe à avoir. Dans aucun domaine.
Le troisième et dernier défi, c’est celui de la finance durable.
Je l’ai dit lors de ma déclaration de politique générale : ces prochains mois seront ceux de l’accélération écologique. La France s’est donnée comme objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Nous avons d’ailleurs inscrit cet objectif à l’article 1 du projet de loi énergie-climat actuellement en discussion. Il doit devenir un objectif européen : c’est ce qu’attend toute la jeunesse européenne.
Pour réussir cette transition, nous aurons besoin d’investissement. D’investissement public. Nous y consacrons des moyens très importants. Mais nous aurons surtout besoin de financements privés. Or, contrairement à ce que véhiculent certaines caricatures, je ne crois pas que la finance soit par essence l’ennemie du long terme. Je ne suis pas naïf. Je sais qu’il y a encore des comportements financiers purement spéculatifs, opportunistes qui peuvent fragiliser le capital des entreprises européennes et le bon fonctionnement du marché de capitaux en Europe. Beaucoup sur la place réfléchissent en ce moment à ces questions. C’est une réflexion utile que nous soutenons et que nous souhaitons également porter au niveau européen.
Mais les vrais financiers sont à mon sens des « financeurs ». Et ces financeurs sont souvent des visionnaires qui raisonnent à long terme. Toutes les grandes révolutions commerciales -pensez à Venise- ou industrielles – pensez au rail – ont vu le jour avec leur soutien. Et vous êtes nombreux ici, banquiers, assureurs, investisseurs, à avoir des horizons qui sont compris entre 10 et 30 ans.
Ça tombe bien ! La transition écologique obéit au même horizon. Les technologies sont mâtures. La demande – en véhicules propres, en énergie sobre en carbone, en aliments de qualité, en produits recyclés – est là. Les besoins ne sont plus émergents. Ils sont urgents. Je sais évidemment pouvoir compter sur votre engagement. Rien n’interdit toutefois de joindre le rentable au responsable.
Nous avons donc besoin de vos investissements. Nous avons aussi besoin de vos métiers. Pour faire plusieurs choses :
– pour proposer des outils de financement au service de la transition écologique. La Place de Paris a très tôt démontré sa capacité d’innovation dans ce domaine, avec le lancement des premières grandes émissions d’obligations vertes.
– Nous avons besoin de vos métiers pour proposer des solutions d’épargne verte aux épargnants européens. Des épargnants qui comme les consommateurs – ce sont souvent les mêmes – veulent donner du sens à leur épargne. La loi PACTE va faciliter l’accès aux produits financiers verts et solidaires. Et la place de Paris jouit d’une réelle expertise dans la gestion des investissements socialement responsables.
– Nous avons besoin de vous pour prendre des engagements ambitieux dans le domaine de finance durable, comme ceux que les banques françaises ont pris le 2 juillet dernier.
– Enfin, nous avons besoin de vous pour construire une information extra-financière de qualité pour les entreprises. Ne nous y trompons pas : derrière ces normes, il y a une vision. Et des valeurs. Celles du rôle des entreprises dans le monde. De leur vocation. De leur éthique. Et celui qui parviendra à imposer ses critères imposera sa vision. Moi, quand on me parle de valeurs, quand on me parle de responsabilité ou de production de normes, eh bien je pense « Europe ». Je pense à cet équilibre que les Européens ont peut-être le mieux approché entre efficience économique et responsabilité. Entre liberté et protection. Le Gouvernement prendra des initiatives dans ce domaine pour la nouvelle mandature européenne.
Dans son style inimitable et dans un autre contexte, le même gouverneur Willie Stark précise que « ne pas desserrer les dents est toujours un bon placement ». Chacun ses placements, me direz-vous. Il faut néanmoins savoir se taire, ne serait-ce que pour ne pas lasser son auditoire avec de trop longs discours. Surtout quand c’est la troisième fois. Je vous remercie donc de votre attention et vous souhaite une excellente poursuite de vos travaux.