Ingénieur, immunologiste à l’Institut national de sciences et de technologie d’Ulsan et chercheur en physique statistique, le professeur François Amblard a analysé dans un rapport la stratégie sud-coréenne qui a permis de combattre efficacement l’épidémie de Covid-19. Il donne une interview lumineuse au Quotidien du médecin, sur les raisons du succès coréen face au désarroi français, (dont quelques extraits sont reproduits ci-dessous).
Comment avez-vous perçu l’arrivée du SARS-CoV-2 en Corée du Sud ? Peut-on la comparer à ce qui est advenu en France ?
Un arsenal de lutte contre la pandémie a été mis en place avec une étonnante efficacité. L’épidémie a débuté le 18 février, le nombre de cas a augmenté pendant 15 jours avant de diminuer. En un mois, l’affaire était pliée et il n’y a pas eu plus de dix morts par jour, malgré un cluster initial d’un millier de personnes contaminées.
Après avoir vu la maîtrise coréenne, j’ai assisté au désastre français où l’on a entendu quotidiennement des choses ineptes : « les masques ne servent à rien », « les tests ne servent à rien ». On a vite compris que le discours scientifique s’était adapté et transformé en mensonge destiné à cacher les pénuries.
En quoi la relation entre politiques et scientifiques est-elle différente en Corée du Sud ?
La vraie clé de leur réussite réside dans le fait que les opérations sont entièrement contrôlées par les scientifiques, sans interférence politique […] En revanche, certains processus ne dépendent pas des professionnels de santé, comme la fermeture des frontières et la mobilisation de l’armée qui relèvent de la responsabilité du président. Il y a une séparation claire des responsabilités et des compétences.
On a entendu des âneries, y compris au plus haut de l’État français, sur la Corée du Sud. Il a été dit que les solutions qui ont été employées y ont fonctionné car ce pays n’était pas démocratique, et que les Coréens n’ont pas de problème avec le fait d’être traqués en permanence. Or, le débat démocratique ne s’est jamais arrêté : des élections législatives se sont tenues le 15 avril.
Le fondement culturel et philosophique coréen, c’est le respect de la connaissance, du savoir, de la science et de la médecine qui tranche avec l’espèce de relativisme qu’on voit s’installer un peu partout. Ce respect n’est pourtant pas étranger à nos valeurs en France.
Dans votre rapport, vous écrivez que les Coréens ont massivement adhéré aux mesures de dépistage et de traçage des cas, alors que cela fait débat en France. Pourquoi un tel écart d’adhésion des populations entre les deux pays ?
Les Coréens ont adhéré massivement à la politique de dépistage parce qu’elle est très claire, présentée par des professionnels et non par des politiques, et d’une façon adulte. À l’inverse, la communication française est présentée par des politiques qui prennent la population de très haut, sans direction fixe, et livrent une série de mensonges dont personne n’est dupe.
Dans votre rapport, vous expliquez qu’en l’absence de consensus scientifique, le choix du traitement en Corée est fait par les médecins en leur âme et conscience sans les débats sanglants entre anti- et pro-hydroxychloroquine que connaît la France. À quoi est imputable cette différence ?
Le centralisme pousse jusqu’au dogmatisme. L’infantilisation du corps médical par ses « chefs », avec l’idée que le chef sait tout mieux que les autres. Il existe aussi ici en Corée une hiérarchie très forte, mais tout le monde a compris, de haut en bas, que la connaissance manquante sur l’hydroxychloroquine serait beaucoup plus vite acquise en laissant tous les praticiens faire au mieux, mais sous la contrainte de devoir se concerter le plus efficacement possible, pour que la pharmacovigilance soit collective et maximale.