Covid19, les statistiques ne font pas une politique (pour Figaro Vox)

L’une des caractéristiques du traitement politique de la crise du covid-19 est la profusion des statistiques qui caractérise la communication officielle. Jamais dans l’histoire, une situation critique, sur le plan militaire, sanitaire ou économique, n’aura donné lieu à une telle déferlante de chiffres. Chaque jour tombe son lot d’informations quantitatives, à l’image d’un tableau de bord national : le nombre total des « cas confirmés » (2,3 millions), et son augmentation quotidienne (12 000), celui des décès, (55 000) et de leur hausse sur 24 heures, celui des « clusters » et des départements en vulnérabilité, le « taux de positivité des tests », les nouvelles hospitalisations en sept jours (8374) et les entrées en réanimation (1131). Sommet du raffinement : les PV pour infraction au confinement font aussi l’objet d’un chiffrage public (260000) …

Cette profusion de chiffres vise à favoriser la sensibilisation et la responsabilisation de l’opinion publique, face aux risques de contagion. Mais au-delà, son caractère systématique, son intensité quotidienne et son perfectionnisme, traduisent une pression anxiogène sur l’opinion destinée à lui imposer une discipline. Elle reflète une approche techno-sanitaire de la crise actuelle, dominée par une batterie d’indicateurs et l’influence prédominante d’experts dits scientifiques fortement médiatisés et implantés dans les rouages de décision.

Une nouvelle étape a été franchie dans cette conversion de la France à la logique d’un tableau de bord national lors de l’allocution télévisuelle du chef de l’Etat du 24 novembre annonçant des objectifs statistiques à atteindre pour remplir les conditions d’un déconfinement le 15 décembre : moins de 5000 contaminations quotidiennes et 3000 placements en réanimation.

La nation est ainsi pilotée comme une entreprise ou une administration, dans une logique gestionnaire. Le pouvoir politique s’en remet principalement à des indicateurs, définis par les experts, qui conditionnent les orientations futures, et se lie ainsi les mains. Le nombre quotidien des contaminations s’impose comme l’un des critères déterminants de la poursuite ou sortie du confinement. D’après la communication officielle, la stabilisation en cours, aux alentours de 12 000 contaminations en 24 heures, laisse peu d’espoir, une semaine avant l’échéance, d’atteindre la cible. L’échec devrait se traduire par des contraintes renouvelées ou renforcées.

Pourtant, il n’appartient pas aux chiffres de définir seuls la politique d’une nation. L’avenir de la France ne peut pas se réduire au décompte de « nouveaux cas confirmés ». Les statistiques ne sont qu’un outil parmi d’autres et non une fin en soi. Qui donc pourra jamais quantifier les ravages causés à la dignité des Français par la suspension de la liberté d’aller-et-venir, l’obligation de justifier auprès de l’administration chacune de leur sortie ? Ou encore l’humiliation ressentie face à la définition arbitraire de leurs besoins essentiels et non essentiels, à l’image de l’interdiction, pendant un mois, d’acheter des livres en librairie ?

La détresse des commerçants et des restaurateurs, privés de leur gagne-pain et de leur raison de vivre, des saisonniers en stations de ski, les créateurs et salariés de la culture, des millions de personnes ruinées, jetées l’enfer du chômage et du désœuvrement, la misère sociale, familiale et psychologique engendrée par le confinement, ne sont pas davantage des réalités mesurables. Les conséquences stratégiques, à long terme, de l’écroulement de l’économie française , mais aussi de l’effondrement du système éducatif français sur l’intelligence collective et la compétitivité de la nation, échappent, elles aussi, pour l’essentiel, à toute logique comptable.

Enfin que dire de l’effritement de la confiance des Français en leurs dirigeants politiques? Toute période de crise grave appelle à l’union sacrée de la nation derrière ses chefs. Aujourd’hui, c’est le contraire qui se produit. Un pays peut-il s’en sortir dans un tel climat de défiance et de morosité ? Les Français ont connu la Bérézina des masques, un premier confinement, suivi d’un relâchement, puis un « couvre-feu », suivi d’un nouveau confinement, enfin l’annonce d’un nouveau couvre-feu et de contraintes supplémentaires, sans que jamais n’apparaisse le bout du tunnel. Le raidissement d’une partie de l’opinion face à la perspective d’un vaccin est le fruit de cette débâcle. Ballottée au gré des caprices d’un virus et des injonctions contradictoires, la France désespère. Et ce désespoir n’est pas non plus chiffrable. Par-delà les statistiques anxiogènes, il manque à la France un discours d’espérance.

 

 

 

 

Author: Redaction