Pourquoi est-ce que le spectacle de la commémoration de Verdun, le 29 mai, nous met-il aussi mal à l’aise? La cérémonie s’est en effet conclu par l’image de centaines de jeunes courant parmi les tombes. Cette mise en scène relève d’une sorte de monstrueux contre-sens. Verdun est le symbole d’une souffrance indescriptible des jeunes Français et Allemands (qui n’y pouvaient rien, obéissant aux ordres de leur état-major): poilus enterrés vivants dans la boue mélangée aux entrailles de leurs camarades sous le déluge des obus, exterminés au lance-flamme et aux gaz asphyxiants. Un documentaire du France TV, dimanche soir, montrait les survivants aux yeux hagards, devenus fous. Or, une course collective de jeunes gens et filles a quelque chose de joyeux, comme le départ d’un Marathon ou d’un jogging. Dans le même ordre d’idées, on aurait pu aussi danser sur le cimetière, ou jouer à saute-mouton sur les croix. La logique est celle de la table-rase: noyer le souvenir du malheur, de la souffrance, de la tragédie, par une mise en scène ludique. Cette image baigne dans le relativisme: tout est équivalent à tout, le bonheur au malheur, la souffrance à la joie, la mort à la vie. Elle est empreinte de nihilisme aussi. Le recueillement, le silence, la solennité qu’appelle la mémoire de ceux qui ont tant souffert sont à balayer dans une grande débandade joyeuse. On apprend aux jeunes enfants qui accompagnent leurs parents au cimetière à ne pas courir au milieu des tombeaux. Désormais, à Verdun, la grande transgression est reine: il faut courir dans le cimetière. Ce sont les repères de l’histoire, la souffrance de Verdun au nom du patriotisme absolu et du sens de l’honneur,qui volent en éclats. A Verdun le 29 mai 2016, il fallait en finir avec les derniers vestiges de l’honneur supérieur à la vie et au bonheur, un principe tellement incompréhensible voire scandaleux dans le monde moderne livré à l’individualisme et au narcissisme absolus. L’idéologie de la table rase bat son plein.
Maxime TANDONNET