Congrès des généralistes enseignants : intervention de Marisol TOURAINE

 

Intervention de Marisol Touraine

Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes

Congrès des généralistes enseignants

Jeudi 26 novembre 2015


Monsieur le président du Collège national des généralistes enseignants, cher Vincent RENARD,

Monsieur le président du Collège de médecine générale, cher Pierre-Louis DRUAIS,

Mesdames, messieurs,

Nous sommes aujourd’hui à un moment décisif pour l’avenir de la médecine générale. Le projet de loi de modernisation de notre système de santé, qui comprend des mesures fortes pour renforcer la médecine de ville, est actuellement examiné en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale. Dans quelques mois, je tiendrai avec le Premier ministre une grande conférence de la santé, qui nous permettra d’avancer encore en direction d’une meilleure reconnaissance et d’un rôle accru de la médecine générale, placée au cœur de la prévention et des soins primaires, au plus près des besoins des patients. Et il y a trois ans, presque jour pour jour, je présentais le Pacte Territoire-Santé : 12 engagements pour mieux valoriser l’exercice médical dans les zones sous-dotées, et inciter les jeunes professionnels à s’y installer. Ma volonté est aujourd’hui d’approfondir ce pacte à travers de nouvelles propositions et vous redire ma détermination à œuvrer à la reconnaissance et à la valorisation de la médecine géénrale, comme je l’ai fait devant vous il y a deux ans et lors de nos différentes rencontres.

Mais je ne peux commencer mon propos sans revenir sur les évènements du 13 novembre. La France a été attaquée, lâchement, froidement. Mes pensées vont aux femmes et aux  hommes, souvent jeunes, assassinés. A leurs familles, à leurs amis, à toute cette génération, gaie, ouverte au monde, tolérante, cultivée, qui en quelques heures tragiques a perdu l’innocence due à son âge. Une jeune femme, tout jeune médecin généraliste, a été tuée. Je pense évidemment aussi aux blessés. 97 sont encore hospitalisés, 18 en réanimation.

Face à cette situation, les praticiens hospitaliers, les ambulanciers, les infirmiers, les aides-soignants, les psychologues, ont fait preuve d’un professionnalisme héroïque, qui force l’admiration. Mais c’est bien l’ensemble de notre système de santé qui a montré sa solidarité et son exemplarité. Je veux aussi saluer les médecins et infirmiers libéraux qui se sont présentés spontanément pour proposer leur aide. Dans cette nuit tragique, nous avons pu mesurer l’excellence de notre système de santé. La mobilisation des professionnels de santé et l’excellence de leur formation ont permis de faire face à l’urgence.

Cette excellence, il nous faut la protéger, la renforcer, la faire vivre. C’est bien l’objet de ce 15ème congrès de votre collège : « Enseigner et exercer la médecine générale ». Mieux enseigner et mieux former, pour mieux exercer. C’est de cela dont je veux vous parler aujourd’hui, en vous présentant en particulier un nouveau pacte territoire santé qui doit nous permettre de favoriser la formation et les conditions d’exercice des professionnels de santé qui correspondent à leurs attentes.

Mon pari, ma conviction – et c’est pour cela que j’évoque le sujet devant vous – c’est que pour répondre au déficit de professionnels dans certains territoires il ne faut pas se demander : comment obliger des jeunes médecins à aller dans ces territoires ? Mais comment y changer les conditions d’exercice pour attirer les professionnels ? A cet égard, les articles de la loi de modernisation de notre système de santé qui portent sur l’organisation des parcours, la coopération entre les professionnels, une meilleure articulation entre médecine de ville et l’hôpital répondent aussi à cette exigence.

L’engagement de votre collège est connu. Nos échanges sont réguliers et vos demandes sur la nécessité de se donner les moyens d’aller jusqu’au bout de la structuration de la filière universitaire de médecine générale font partie de cette démarche. Vos demandes sont légitimes et ont été entendues. L’année dernière a marqué une avancée importante avec la création d’une sous-section de médecine générale au Conseil national des universités.

J’ai lu à cet égard avec intérêt votre article sur l’« état des lieux de la médecine générale universitaire au 1er janvier 2015 ». Oui, les actions doivent être amplifiées pour renforcer l’attractivité de la médecine générale, notamment au niveau de la formation initiale. J’aurais l’occasion d’y revenir.

Pour construire le pacte territoire santé 2, je me suis notamment inspirée du rapport du Professeur DRUAIS sur la place du médecin généraliste, qui avait déjà permis d’enrichir le projet de loi de modernisation de notre système de santé, comme il est en train de nourrir les travaux de la grande conférence de santé. Ce matin, je suis venue vous parler, évoquer avec vous l’enseignement de la médecine générale et donc la médecine générale, et dévoiler le pacte territoire santé 2.

 I.  Trois ans après le lancement du premier Pacte Territoire Santé, je veux renforcer des mesures qui ont prouvé leur efficacité et leur pertinence en matière de formation, d’installation et d’amélioration des conditions d’exercice.

Les dispositifs qui ont prouvé leur efficacité et rencontré l’adhésion des professionnels de santé, les jeunes et les moins jeunes. Ils doivent être renforcés.

1.     Tout d’abord, les stages en ville.

Pour que les étudiants fassent le choix de la médecine libérale encore faut-il qu’ils aient pu goûter à l’exercice en ville à travers leur formation. C’est pourquoi le pacte territoire santé prévoyait la généralisation de ces stages.

Nous devons encore augmenter et soutenir le nombre de maîtres de stages. Les médecins en exercice ont un rôle majeur à jouer dans la formation de leurs jeunes confrères. Le nombre de maîtres de stages a déjà doublé  depuis 2012 : vous êtes aujourd’hui près de 4.500 généralistes à encadrer des étudiants en second cycle. Vous avez bénéficié d’une formation spécifique, rigoureuse, pleinement intégrée au développement professionnel continu. Cette formation doit rester hors quota, car il est hors de question de demander à l’un d’entre vous de choisir entre une formation pour devenir maître de stage et d’autres formations. Par ailleurs, je veux ouvrir les stages en ville auprès de médecins libéraux d’autres spécialités comme la pédiatrie, la psychiatrie, la gynécologie médicale.

2.     Ensuite, il faut continuer à  favoriser l’implantation des étudiants dans les territoires déficitaires

Pour mieux accompagner les jeunes lors de leur installation, j’ai créé en 2012 les contrats de praticiens territoriaux de médecine générale (PTMG). Depuis 2013, près de 500 médecins ont fait ce choix, majoritairement dans des territoires ruraux. Par ailleurs, les conditions du contrat d’engagement de service public ont été réformées pour le rendre plus attractif. Résultats : + 275 % du nombre d’engagements depuis 2012 et aujourd’hui, près de 1.325 étudiants en sont signataires.

Ces dispositifs fonctionnent et c’est pourquoi je veux fixer des objectifs encore plus ambitieux pour 2017, avec 1000 titulaires du statut de praticien en médecine générale ou ambulatoire et 1700 futurs médecins ou dentistes signataires d’un contrat d’engagement de service public.

3.     Troisième point, je veux poursuivre l’objectif d’un travail en équipe renforcé

Agir sur les conditions financières n’est pas suffisant. Aujourd’hui, les professionnels de santé libéraux veulent aussi travailler en équipe. C’est pourquoi l’une de mes priorités est de développer l’exercice pluriprofessionnel autour des médecins généralistes. En 2012, il y avait 174 maisons de santé pluri-professionnelles, et d’ici la fin de 2015, il y en aura plus de 800. 1000 maisons de santé en fonctionnement  devront exister d’ici 2017.

Par ailleurs, une attention particulière sera portée, en partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations, à la création et à la rénovation de maisons de santé dans les territoires urbains les plus fragiles.

4.     Enfin, je réaffirme l’objectif d’accéder aux soins urgents en moins de 30 minutes

En 2012, nous avons décidé d’augmenter le nombre de médecins correspondant du SAMU. Alors qu’ils n’étaient que 150, ils sont aujourd’hui 500. Leur maillage a permis de ramener un million de Français à moins de 30 minutes des soins urgents. Mon objectif est de mobiliser 700 médecins correspondant du SAMU d’ici 2017.

II.  L’acte 2 du pacte territoire santé amplifie le mouvement initié en 2012 en innovant, d’abord pour la formation des futurs professionnels de santé.

La formation, c’est l’une des clés de la réussite de notre système de santé. C’est par les jeunes et avec les jeunes que nous y parviendrons, à condition d’être à la hauteur de leurs attentes. Vous êtes idéalement bien placés pour en mesurer les enjeux et pour répondre à ces aspirations. Je compte évidemment sur vous.

 1.      Première mesure : j’ai décidé d’augmenter le numerus clausus de manière ciblée.

Je veux que nous passions du concept de numerus clausus national à celui de numerus clausus régional. Pourquoi ? Parce qu’augmenter le numerus clausus national ne permet pas de répartir la hausse des étudiants de façon égalitaire. Entre 2004 et 2008, le numerus clausus a doublé. Pourtant, la densité médicale a faibli dans certaines zones. C’est pourquoi nous avons besoin d’un numerus clausus régional en soutien d’une démarche ciblée.

Concrètement, cela se traduira par une hausse dès cette année du nombre de médecins à former dans 10 universités situées dans des régions où les densités médicales sont les plus faibles. Au total, 131 places supplémentaires seront créées en 2016. Elles seront fléchées : +7% à Dijon, +10% à Clermont-Ferrand, +9% à Tours. Elle sera accompagnée d’un soutien substantiel aux capacités de formation et un travail sur la fidélisation des étudiants dans leur région de formation sera entrepris.

2.  Deuxième mesure : doubler le nombre de médecins généralistes chefs de clinique et mieux reconnaître l’implication des médecins maîtres de stages

Les médecins libéraux doivent pouvoir assumer la fonction d’enseignant en même temps que celle de praticien. C’est pourquoi le nombre de médecins généralistes chefs de clinique doublera dans les deux ans à venir. 40 postes ont ainsi été intégrés et budgétés au sein du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016. 40 autres postes seront créés en 2017. Par ailleurs, cette possibilité de double exercice en ville et à l’université sera ouverte à d’autres spécialités, notamment la pédiatrie ou la psychiatrie. Enfin, les étudiants pourront participer à la permanence des soins ambulatoires au même titre qu’ils participent à la permanence des soins hospitaliers.

Concernant les maîtres de stages qui sont au cœur de la formation professionnelle de terrain et de l’exercice au quotidien de la médecine générale, je vous précise que j’augmenterai le montant de leur rémunération. Dans le contexte budgétaire qui est le nôtre, ce choix marque une priorité et signe mon attachement à la reconnaissance de votre implication. 

3.     Troisième mesure : donner un nouvel élan à la  recherche en soins primaires.

J’ai donné aux médecins libéraux un accès aux financements publics de la recherche clinique. Pour poursuivre cette dynamique, le projet de loi de modernisation de notre système de santé introduit un label « maison ou centre de santé universitaire ». Je vous invite d’ores et déjà à travailler ensemble au cahier des charges. Chaque département devra en accueillir au moins une d’ici 2017. Ces futures centres ou maisons de santé universitaires seront une structure de référence pour la recherche en soins primaires. Je sais pouvoir compter sur votre collège et l’ensemble des généralistes enseignants.

III.  Innover pour la formation, donc. Mais aussi innover pour l’exercice des professionnels de santé et l’adapter aux besoins des populations et des territoires

1.     Tout d’abord, en proposant de nouvelles mesures pour le travail d’équipe.

Pour permettre aux professionnels de santé de s’organiser pour prendre en charge une population à l’échelle d’un territoire, le projet de loi de modernisation de notre système de santé instaure la possibilité de former des « équipes libérales ». Ces équipes associent des cabinets de ville de généralistes et/ou de spécialistes, ainsi que des auxiliaires médicaux. Par exemple, dans une région marquée par un fort taux d’obésité, des généralistes, des médecins endocrinologues, des cardiologues, des diététiciens peuvent décider de renforcer leur coordination pour optimiser le parcours de soins de certains patients. A la suite du rapport du Professeur DRUAIS sur la place et le rôle de la médecine générale dans le système de santé, je veux encourager des « équipes de soins primaires » – en dehors de celles qui existent dans les maisons de santé – autour de médecins généralistes pour structurer cette offre. Le temps nécessaire à la coordination doit être rémunéré. C’est pourquoi un soutien financier sera accordé pour soutenir les initiatives des professionnels. Dès 2016, 200 projets pourront faire l’objet d’un accompagnement spécifique.

2.      Ensuite, je veux aider les médecins à mieux répondre aux demandes urgentes de soins

Pour permettre aux médecins généralistes d’assurer des consultations sans rendez-vous avec des plages horaires élargies et coordonnées entre plusieurs cabinets, je m’engage à mieux les accompagner financièrement. Cette aide permettra notamment la mise en place d’un secrétariat mutualisé entre des médecins.

3.   Par ailleurs, adapter l’exercice des professionnels de santé aux besoins des populations, c’est l’adapter au développement des maladies chroniques

Une meilleure prise en charge des patients atteints de maladies chroniques passera notamment par une plus grande coordination de l’exercice. C’est pourquoi le « dispositif PAERPA » sera généralisé à l’ensemble des régions (à ce jour, il est expérimenté dans neuf territoires). De nouvelles plateformes territoriales d’appui aux professionnels de santé et au premier chef les médecins traitants, seront mises en place pour faciliter les parcours de patients et la coopération entre les infirmiers et infirmières libéraux et les médecins sera renforcée sur la base du « protocole ASALEE ».

4.      Enfin, adapter l’exercice médical aux nouvelles réalités, c’est soutenir la télémédecine

Les exemples sont nombreux, en région, où la télémédecine est utilisée, comme en Bourgogne avec le développement de la télé-expertise pour la prise en charge des accidents vasculaires  cérébraux. Pour encourager ce mouvement, 40 millions d’euros seront prochainement investis dans le développement de la télémédecine en ville.

Par ailleurs, des expérimentions en ville et dans le secteur médico-social seront déployées dans 9 régions pour permettre une téléconsultation au profit de patients souffrant d’affections de longue durée, notamment dans des territoires où l’accès à des spécialistes est plus difficile. Ces expérimentations porteront également sur de la télésurveillance à domicile pour des personnes souffrant d’insuffisance cardiaque, rénale ou respiratoire. Un plan de déploiement d’équipements de télémédecine sera conduit dans les EHPAD, maisons et centres de santé.

5.     Enfin, pour accompagner les professionnels de santé dans cette mutation, je veux mettre à leur disposition une information complète, fiable et lisible.

C’est pourquoi j’ai décidé d’ouvrir un nouveau portail d’accompagnement des professionnels de santé à l’adresse : www.paps.sante.fr. Ce site décline les informations pratiques dans chaque région. Concrètement, les professionnels auront accès à toutes les informations relatives aux lieux de stage, aux aides proposées pour l’installation ou encore aux démarches pour monter une maison de santé ou s’inscrire dans une coopération territoriale.

***

Mesdames, messieurs,

La prise en charge des maladies chroniques, le vieillissement de la population, le développement de la prévention pour permettre à tous d’avoir les mêmes chances d’être en bonne santé, renforcent le rôle des médecins généralistes.

Votre congrès est un moment important pour la médecine générale et pour donner envie aux étudiants de choisir cette spécialité au cœur des besoins de la société. Ma volonté, c’est de vous accompagner pour encourager les étudiants à prendre cette voie. Parce que la médecine générale est une belle et grande spécialité, une spécialité à part entière, qui compte le plus grand nombre de praticiens, qui ouvre à des modes d’exercice multiples, variés, humains.

Mon ambition, à travers la politique que je porte depuis maintenant trois ans, est de permettre à l’exercice médical de faire face aux défis qu’il connaît. Comme moi vous le savez, l’immobilisme, n’est jamais la solution. Si l’on veut valoriser la médecine générale, décloisonner la médecine de ville et l’hôpital, si l’on veut que la recherche franchisse les portes de l’hôpital, saisir les formidables opportunités des nouvelles technologies, alors il faut innover, moderniser, avancer.

Moderniser la formation, l’adapter aux nouvelles réalités. Moderniser aussi les conditions d’exercice. C’est tout l’enjeu de la politique que je mène, avec le premier pacte territoire santé, la réforme du 3ème cycle ou encore le projet de loi de modernisation de notre système de santé. Cette loi permet la réorganisation du système de santé autour des soins primaires, en promouvant son maillage territorial et en améliorant sa visibilité. Je ne vais pas ici ouvrir le débat sur la loi, sur les oppositions qu’elle a pu faire naître, mais j’aimerais exprimer un regret. Le regret que les médecins n’aient pris le temps de prendre position ou n’aient pas été entendus sur les enjeux de santé publique contenus dans la loi, comme le tabac, l’alcool ou l’obésité.

De nouvelles étapes attendues en 2016, comme les textes d’application du projet de loi de modernisation de notre système de santé, la grande conférence de santé et la négociation de la nouvelle convention médicale de 2016, viendront enrichir cette politique pour toujours davantage valoriser la médecine libérale et en particulier la médecine générale, l’adapter aux attentes des professionnels de santé et aux besoins des patients.

Je vous remercie.

Author: Redaction