Intervention de Marisol Touraine
Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes
Congrès AIDES
Vendredi 12 juin 2015
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président, Bruno SPIRE,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président du Conseil départemental,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et messieurs,
Il y a 31 ans, le décès de Michel Foucault était l’évènement déclencheur de la création d’AIDES par son compagnon Daniel Defert. Il déclarait, dans un texte qui date de septembre 1984 : « Face à une urgence médicale certaine et une crise morale qui est une crise d’identité, je propose un lieu de réflexion, de solidarité et de transformation ».
AIDES est une association particulière, qui s’attache à lutter contre la maladie, pour les malades ; une association exigeante, constructive, force de revendications et de propositions. Prendre en compte une réalité qui évolue à l’intérieur comme au-delà de nos frontières, c’est de cela que dépendra notre victoire contre le Sida.
Oui, la maladie évolue. Les contaminations continuent d’augmenter, votre dernière campagne a pour objectif que personne ne l’oublie. 150 000 Français vivent avec le VIH et 30 000 d’entre eux l’ignorent. Chaque année, 6 000 nouveaux cas sont détectés. Des jeunes s’infectent, ignorants des gestes élémentaires de prévention, des moins jeunes aussi, parce qu’ils sont las de ces mêmes gestes.
Le quotidien de ceux qui sont porteurs du VIH évolue lui aussi. En France, le Sida ne tue plus de la même manière. C’est une chance, mais aussi un immense défi. Soutenir les malades dans leur quotidien. Lutter à la fois contre les discriminations et contre la tentation chez certains de baisser la garde. Agir à l’international. Ces enjeux sont majeurs.
Depuis maintenant trois ans, je me suis engagée, j’ai agi pour mieux prévenir, mieux dépister les personnes les plus exposées, mieux accompagner ceux qui vivent quotidiennement avec la maladie, mieux défendre leur dignité. Pour innover, aussi, dans notre manière de traiter le VIH et maintenant, ensemble, le VHC.
- 1. Nous avons porté ensemble des mesures fortes, qui sont autant de progrès dans le combat que nous menons et qui aboutissent à une mobilisation forte dans le projet de loi de modernisation de notre système de santé.
Pour l’accès au préservatif, d’abord. Nous avons lancé dès 2012 une grande campagne de communication que nous renouvelons désormais chaque année. Oui, il nous faut marteler que le préservatif reste le meilleur moyen de se protéger du VIH et des infections sexuellement transmissibles. C’est pourquoi, au 1er janvier 2014, nous avons fait le choix de baisser 7% à 5,5% le taux de la TVA qui lui est appliqué, alors qu’il devait passer à 10%.
La mobilisation pour le dépistage, elle aussi, a été renforcée. Dès 2013, nous avons poursuivi et généralisé la pratique des dépistages communautaires grâce aux tests rapides d’orientation diagnostique (TROD). J’ai par ailleurs lancé un programme complémentaire de dépistage par tests rapides dans quatre régions (Ile-de-France, PACA, Rhône-Alpes, Guyane) destiné aux populations particulièrement exposées.
L’année suivante, à mon initiative, l’Assemblée nationale a voté la création des Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic des infections par le VIH et des hépatites et des infections sexuellement transmissibles (CEGGID). Vous avez souligné le progrès qu’ils constituent. Ils seront effectifs au 1er janvier 2016 et je serai attentive à la question de leur financement.
Avec le projet de loi de modernisation de notre système de santé, nous ouvrons une nouvelle étape ambitieuse, historique à maints égards.
Pour toujours mieux dépister d’abord, en facilitant l’accès aux tests rapides d’orientation diagnostique, en autorisant la commercialisation des autotests et le dépistage des mineurs sans consentement parental.
Pour réduire les risques de contamination, ensuite ; en milieu carcéral – et je vous remercie d’avoir souligné cette avancée – comme en ville, avec l’expérimentation des salles de consommation à moindre risque (SCMR). En dépit des attaques virulentes contre ce dispositif, j’ai tenu bon. Notre pays va pouvoir rapidement ouvrir de telles salles dans les grandes villes qui le souhaitent. J’en suis fière.
Pour renforcer les droits des malades, enfin, la loi innove : avec le droit à l’oubli, avec l’action de groupe en santé, avec le droit à la médiation sanitaire, avec l’expérimentation de dispositifs d’accompagnement. J’ai étendu la représentation des usagers, prévoyant un mécanisme spécifique pour le Comité économique des produits de santé (CEPS). J’ai tenu l’engagement que j’avais pris pour que soit reconnu le droit d’avoir accès à la thanatopraxie.
Ce sont des avancées majeures qui auraient dû trouver, au Parlement, un écho favorable au-delà des rangs de la majorité. Cela n’a pas été le cas. Je le regrette. Ces progrès, je les ai portés avec le soutien des professionnels de santé publique et avec les associations.
Sans vous, rien n’aurait été possible : vous êtes les aiguillons de l’action publique, vous êtes les précurseurs des changements à venir, vous êtes les sentinelles du système de santé. M. le Président, vous avez salué la qualité de nos échanges ces derniers mois. A mon tour de vous remercier pour le soutien que vous m’avez témoigné.
- 2. Je veux insister aujourd’hui sur deux innovations dont nous savons tous qu’elles seront déterminantes pour les années à venir. Il nous faut avancer.
Vous avez rappelé l’enjeu formidable que constitue la PrEP (prophylaxie pré-exposition).
A la conférence de Seattle, en février dernier, ont été présentées les premières données démontrant l’efficacité de la PrEP chez des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. Je pense évidemment à l’essai Ipergay, conduit avec le soutien de votre association, par l’ANRS, dont je veux aujourd’hui saluer l’apport à la lutte contre le Sida.
Nous disposons donc des premiers résultats. Des recommandations internationales sont en voie d’élaboration. Il nous faut désormais définir clairement la place de la PrEP dans les stratégies de prise en charge. Je vais donc saisir l’ANRS et le Conseil national du Sida et des hépatites virales : je leur demande de me remettre pour la fin de l’année des recommandations adaptées à la situation française.
Nous devons d’abord marteler que le préservatif reste le meilleur moyen de se protéger des infections sexuellement transmissibles. Et avoir à l’esprit qu’un traitement PrEP expose, comme tout médicament, à des effets secondaires et des interactions médicamenteuses. Il ne permet pas non plus de prévenir les autres infections sexuellement transmises. C’est donc un nouveau dispositif, assurément prometteur, qui doit trouver sa place dans notre stratégie globale de prévention.
La demande de recommandation temporaire d’utilisation (RTU), déposée par votre association, est en cours d’instruction. Je suis personnellement très attentive à son cheminement au sein de l’ANSM. L’année 2016 sera celle de la mise en œuvre d’une stratégie nouvelle, globale, cohérente.
La seconde grande innovation concerne le traitement de l’hépatite C. Encore un sujet sur lequel je me suis battue. La France, peut-être plus que tout autre pays, s’est mobilisée pour permettre à nos concitoyens d’y accéder.
J’ai pris très tôt l’initiative de mobiliser les pays européens – car c’est bien au niveau européen que cela se joue. Une première, qui en appellera d’autre. J’ai permis un accès rapide des patients à ce nouveau produit, en lui délivrant une ATU. Et j’ai mis en place un mécanisme spécifique pour réguler les dépenses de ce type de médicaments. Nous avons aujourd’hui en France le prix public le plus bas d’Europe. Et la France est le pays d’Europe qui offre l’accès le plus large à ce traitement.
Pour autant, il faut regarder plus loin. Nous sommes à la veille de l’arrivée de nombreuses molécules aussi efficaces que coûteuses. Alors je dis : non à la sélection par l’argent et oui à l’innovation pour tous, c’est-à-dire dans le cadre de la Sécurité sociale. Nous allons devoir être aussi inventifs que combatifs : aucun doute qu’AIDES saura l’être.
- 3. Le Sida, la maladie, ont évolué. Notre manière de l’aborder aussi. Elle dépasse les seuls aspects curatif et préventif. Elle nous appelle à faire davantage pour faciliter le quotidien des malades.
Agir contre toutes les formes de discrimination vécues par les personnes séropositives, ce combat doit être poursuivi.
Les chiffres de votre dernière enquête sont accablants : un dentiste sur trois refuserait de soigner les personnes séropositives. Comment accepter une telle exclusion ordinaire ?
C’est pour répondre à cette situation que le projet de loi de modernisation de notre système de santé réaffirme solennellement le respect du principe de non-discrimination dans l’accès à la prévention ou aux soins. Les ordres des professions de santé seront désormais tenus d’évaluer les comportements discriminatoires et de – je cite le texte – « mesurer l’importance et la nature des pratiques de refus de soins par les moyens qu’il(s) juge(nt) appropriés ». La loi précise que ce travail sera conduit « en lien avec les associations », ce qui est loin d’être un détail, vous en conviendrez.
Sans attendre la promulgation de la loi, je vais écrire aux présidents des ordres pour leur demander d’anticiper la mise en œuvre de cette réforme et de s’atteler à l’élaboration d’un plan d’action. Mon objectif est qu’il soit mis fin aux comportements discriminatoires, qui jettent la suspicion sur un corps médical qui n’a plus à prouver son engagement aux côtés des patients.
Les discriminations, vous les combattez partout ; je connais vos inquiétudes concernant la situation des étrangers malades en situation irrégulière.
Depuis la place qui est la mienne, je cherche à améliorer notre manière d’accompagner ces populations fragilisées. Parfois, cela se fait dans l’urgence, à la suite d’alertes adressées à mes services par les associations. De manière plus structurelle, les ARS disposent désormais d’outils destinés à les aider à identifier les situations pour lesquelles des mesures d’éloignement ne sont pas compatibles avec l’état de santé.
Vous avez redit, Monsieur le Président, votre engagement, votre attachement à la tradition humaniste de la France. Je vous rappelle mon action en faveur de l’AME dont j’ai supprimé le droit de timbre. Je l’ai fait au nom du gouvernement.
Je suis vigilante à ce que le projet de loi réformant les droits des étrangers en France respecte les droits des étrangers malades. C’est bien le ministère de la santé qui fixera le cadre de travail de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) s’agissant des étrangers malades.
Parler des étrangers malades, c’est aussi parler de l’engagement de la France dans le combat mondial contre le VIH. Sous l’impulsion du Président de la République, la France est devenue le deuxième contributeur au Fonds mondial contre le Sida, la tuberculose et le paludisme. Elle finance plus de la moitié des ressources d’UNITAID. A notre initiative, ces deux institutions resserrent leur collaboration et renforcent l’efficacité de leur action au quotidien sur le terrain.
Notre combat est collectif. Il réunit organisations internationales, gouvernements, ONG, communautés de malades, chercheurs, fondations et industrie pharmaceutique. Il doit s’élargir à de nouveaux contributeurs, publics et privés, notamment issus des pays émergents.
Je veux redire ici ce que j’ai rappelé à l’Assemblée mondiale de la Santé il y a quelques semaines. Il n’y aura pas de résultats durables sans systèmes de santé forts et structurés. L’épidémie d’Ebola nous l’a à nouveau montré. Il nous faut accompagner les pays en voie de développement dans le renforcement de leurs systèmes de santé.
Cette priorité, la France la défendra en tant que nouveau membre du Conseil exécutif de l’Organisation mondiale de la santé. Nous la porterons aussi dans notre politique d’aide au développement.
Je veux vous dire ici un dernier mot sur la situation au Burundi, qui vous préoccupe comme moi. Nous avons entendu le message d’alerte adressé par des associations burundaises de lutte contre le Sida sur les risques possibles de ruptures de stock de traitement, les difficultés d’approvisionnement et sur les risques encourus par les employés de ces associations sur place.
La France est très préoccupée par la dégradation du climat politique dans ce pays et son impact sur les enjeux sanitaires. L’ambassade de France est pleinement mobilisée sur place. J’ai demandé à ce que soit assurée la continuité des services destinés aux malades du Sida, en lien avec le Fonds mondial qui finance une grande partie des traitements dans ce pays.
***
Mesdames, Messieurs,
En créant AIDES, il y a 31 ans, vous avez inventé un militantisme de terrain, présent sur tous les fronts du combat contre la maladie. Votre cible c’est elle, mais ce sont aussi les préjugés. Il y a un avant et un après votre naissance. De votre combat, de votre action, est né le mouvement de la démocratie sanitaire que je veux appeler démocratie en santé. Si la société a changé, nous vous le devons pour beaucoup : je le dis en tant que ministre et en tant que citoyenne de ce pays.
M. le Président, Bruno SPIRE, votre mandat s’achève. Trouvez ici à la fois l’expression de ma gratitude pour vos huit ans de présidence et entendez mes vœux de bonheur pour votre retour à la vie « normale », même si je sais que la cause de l’intérêt général trouvera toujours en vous un défenseur passionné.
Je vous remercie.