Conférence sociale européenne : Déclaration conjointe des ministres
Le socle européen des droits sociaux devra reposer sur plusieurs composantes.
La première est historiquement au fondement de l’Europe sociale : la définition de règles communes en matière de conditions de travail et de santé au travail. Nous devons réaffirmer fortement cet objectif sur lequel l’Europe s’est construite, et lui donner toute sa portée, ce qui doit conduire à donner plus de poids aux droits sociaux inclus dans les traités et à reconnaître que les libertés économiques ne peuvent pas l’emporter sur les droits sociaux. Il faut progressivement instaurer des salaires minima décents, pour lutter contre la pauvreté des travailleurs, tout en promouvant une couverture large et efficace des accords collectifs, en respectant les pratiques nationales et le rôle des partenaires sociaux dans chacun des Etats membres. Par ailleurs, l’évolution du travail dans nos sociétés doit nous conduire à jeter les bases de droits nouveaux : par exemple, nous devrions réfléchir à accompagner la révolution numérique d’un droit à la déconnexion pour les salariés européens.
Deuxième composante à laquelle nous sommes attachés : un marché du travail accessible à tous et socialement juste.
Accessible à tous, cela suppose de permettre à chacun de bénéficier des opportunités qui existent dans les autres Etats membres : qu’il s’agisse de mettre en place un programme plus ambitieux soutenant financièrement la mobilité des personnes en apprentissage et en formation professionnelle, de créer une carte européenne d’étudiant qui donnerait accès à certains services (résidences étudiantes, restaurants universitaires, bibliothèques), ou encore de faciliter l’accès au premier emploi. Cela va de pair avec un accompagnement spécifique des jeunes les plus éloignés de l’emploi pour les aider à accéder à l’emploi, notamment en pérennisant l’initiative européenne pour la jeunesse et la garantie jeunesse, dont le budget doit être accru.
Juste, cela suppose de réaffirmer le principe fondamental de l’égalité entre les femmes et les hommes, tout en défendant les principes de non-discrimination et d’égalité au travail, en promouvant des emplois stables et de qualité, et notamment en prenant des mesures incitant à une répartition plus équitable des obligations familiales.
Nous sommes également déterminés, dans le cadre de la révision en cours de la directive de 1996, à renforcer considérablement la lutte contre les fraudes au détachement. Toute exploitation des travailleurs mine nos modèles sociaux et la confiance dans l’Europe. Il nous faut assurer un traitement et une rémunération égaux pour tous les travailleurs. Nous devons aussi améliorer la coordination des systèmes de sécurité sociale, afin que tous les travailleurs puissent conserver leur couverture sociale dans le cadre de leur mobilité dans un autre Etat membre et que les cotisations sociales afférentes soient versées au bon endroit.
Il est aussi crucial de renforcer le devoir de vigilance des donneurs d’ordre vis-à-vis de leurs sous-traitants : celui qui conduit un chantier, des travaux, qui dirige une entreprise, ne peut pas fermer les yeux sur les pratiques sociales de ses sous-traitants.
Troisième composante : un filet social garanti pour tous les travailleurs européens pour mieux les protéger des aléas de la vie professionnelle. La création de « comptes d’activité » qui permettent aux travailleurs de disposer toute leur vie d’un droit universel à la formation et plus largement d’un filet de sécurité, quelles que soient les ruptures de leurs parcours professionnels, doit être encouragée. De nouvelles formes d’emploi sont en train de bouleverser les marchés du travail, à travers les plateformes numériques. Il nous faut appréhender cette nouvelle réalité pour protéger tous les travailleurs, quelle que soit la modalité selon laquelle ils exercent leur activité, et pour leur garantir une protection sociale et la portabilité de leurs droits. Cela pourrait être fait par le biais d’une directive cadre sur les conditions de travail décentes pour toutes les formes d’emploi, telle que proposée par le parlement européen.
Ce socle doit reposer enfin sur un dialogue social accru. Car le socle social européen, c’est aussi la conviction que les représentants des salariés et des employeurs, qui sont au plus près des réalités économiques et sociales, doivent être au cœur des réformes menées et de la régulation de nos marchés du travail. Les positions des partenaires sociaux devraient être mieux intégrées à tous les stades, niveaux et dans toutes les institutions pertinentes pour l’élaboration des politiques.
Nous porterons avec force ces convictions auprès de nos homologues et des institutions européennes. A cet égard, nous nous réjouissons de la tenue du sommet qui aura lieu le 25 mars prochain à l’occasion des 60 ans du Traité de Rome et du sommet européen que la Suède accueillera, le 17 novembre prochain, à Göteborg, qui sont autant d’occasions de réaffirmer l’importance d’une Europe sociale forte.
Nous nous engageons également à faire vivre cette réflexion dans chacun de nos Etats membres, en lien avec les parlements nationaux, les partenaires sociaux et les représentants de la société civile, afin de les associer à ce projet européen ambitieux.
Alors que dans toute l’Europe les populismes progressent, l’Europe doit être un bouclier social efficace pour nos concitoyens. Nous l’affirmons ici : les noces de diamant de l’Europe, au moment où nous fêtons nos 60 ans de destin commun, seront sociales ou ne seront pas !
Signataires :
Mme Marisol TOURAINE, ministre des affaires sociales et de la santé (France)
Mme Myriam EL KHOMRI, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social (France)
M. Nicolas SCHMIT, ministre du travail, de l’emploi et de l’économie sociale et solidaire (Luxembourg)
M. Michael FARRUGIA, ministre de la famille et de la solidarité sociale (Malte)
Mme Ylva JOHANSSON, ministre de l’emploi (Suède)
M. Alois STÖGER, ministre fédéral des affaires sociales, du travail et de la protection des consommateurs (Autriche)
Mme Andrea NAHLES, ministre fédérale du travail et des affaires sociales (Allemagne)
M. José VIEIRA DA SILVA, ministre du travail, de la solidarité de la sécurité sociale (Portugal)
M. Giuliano POLETTI, ministre du travail et des politiques sociales (Italie)
Mme Michaela MARKSOVA, ministre du travail et des affaires sociales (République tchèque)
M. Lodewijk ASSCHER, ministre des affaires sociales et de l'emploi (Pays-Bas)
M. Branislav ONDRUS, secrétaire d’Etat auprès du ministre du travail, des affaires sociales et de la famille (Slovaquie)