Mesdames, messieurs les ministres,
Monsieur le Délégué interministériel à la sécurité routière,
Madame la présidente de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives,
Monsieur le président du Conseil national de la sécurité routière,
Mesdames, messieurs,
Tout faire pour sauver des vies.
Tout faire pour que la route ne soit pas le lieu de tant de destins brisés.
Ce sont les objectifs du Comité interministériel de la Sécurité routière qui vient de se réunir. Dans ce domaine de la Sécurité routière, nous ne devons jamais ralentir nos efforts : efforts de prévention, efforts de formation, efforts de répression. Rien n’est jamais gagné. Les résultats s’obtiennent par la ténacité, mais aussi la fermeté quant au respect de la loi.
En quarante ans, le nombre de morts sur les routes a très fortement baissé, de 16 000 à environ 8 000 au début des années 2000, puis une nouvelle division par deux en quinze ans. Il faut le souligner : ces résultats ont été obtenus grâce à des mesures fortes soutenues par une grande continuité des politiques publiques, depuis notamment le chantier ouvert par le président Jacques CHIRAC. Cette volonté est aujourd’hui intacte. Ce sont des sujets trop graves, trop sérieux, pour se prêter à la moindre polémique.
Ces résultats sont fragiles, en France, comme chez nos voisins européens, où des indicateurs négatifs sont réapparus. Depuis deux ans, certains comportements au volant se sont clairement relâchés. Certes, ni le nombre global d’accidents, ni le nombre de blessés – environ 35 000 en 2014 – n’augmentent. Ils sont même en légère baisse depuis le début de l’année. Mais le nombre d’accidents mortels, lui, s’aggrave.
La mortalité routière a ainsi augmenté de 3,5 % en 2014 avec – il faut être précis, car chacun doit avoir en tête ces chiffres – 3 384 personnes décédées, c’est-à-dire 116 de plus qu’en 2013. Sur les huit premiers mois de 2015, et il faudra attendre la fin de l’année pour tirer un bilan précis, le nombre de tués sur les routes est en augmentation : 99 de plus qu’en 2014.
Ces chiffres, nous le disons très clairement, sont inacceptables.
Les routes de France ne peuvent pas être un cimetière, un cimetière pour nos jeunes, pour nos familles. Nous ne pouvons pas laisser faire. Car derrière les statistiques, les chiffres, il y a des existences fauchées, et notamment tant de jeunes emportés à l’aube de leur vie. La route est aujourd’hui la première cause de mortalité chez les 18-25 ans. Chaque mort sur la route est un drame pour notre pays. Il y a les morts, il y a aussi tous les blessés, toutes les personnes qui se retrouvent traumatisées ou gravement handicapées, ces victimes que nous devons aussi aider, accompagner, soutenir tout au long de leur vie.
Une question se pose alors : comment expliquer cette augmentation des 18 derniers mois, alors que la tendance, depuis des années, était à la baisse, et qu’en 2013, nous avions constaté une baisse de 11 % ? Avec 3 250 morts l’année 2013, nous avions connu le plus bas niveau depuis 1948, soit moins 403 morts par rapport à 2012.
Les experts de l’Observatoire national interministériel de la Sécurité routière ont mis en évidence plusieurs faits.
En un an, la vitesse moyenne a augmenté d’1 %. En d’autres termes, on roule plus vite.
Les infractions au code de la route sont en hausse globale de 1,5 %. En d’autres termes, on est moins vigilant.
Enfin, beaucoup plus grave, les infractions pour excès de vitesse augmentent de 11,3 %, celles pour conduite alcoolisée ou après usage de stupéfiants de 44,1 % – cela indique nos priorités. En d’autres termes, on met plus en danger sa vie et celle des autres.
Face à cela, il faut faire preuve de la plus grande fermeté. L’Etat peut beaucoup, il le démontre encore aujourd’hui. Mais il ne peut pas tout, il ne peut pas se mettre à la place de chaque individu, de chaque citoyen. Dans ces moments-là, il faut aussi en appeler à la responsabilité individuelle de chacun. Parce que la responsabilité individuelle de chacun est engagée quand il s’agit de la route. Nous avons en tête encore les drames de ces dernières heures, notamment le drame de Chamonix.
D’ailleurs, les chiffres d’infractions constatées, en hausse, montrent, tout comme les 11 millions de dépistages d’alcoolémie réalisés l’an dernier, qu’il n’y a aucun relâchement de l’effort des policiers et des gendarmes en matière de sécurité routière. Aucun.
Mais nous devons encore renforcer notre action. Dès le 26 janvier dernier, le ministre de l’Intérieur Bernard CAZENEUVE, pour qui ce dossier est bien sûr une priorité, avait arrêté un plan pour la sécurité routière. Ce plan comporte 26 mesures. Et si ce Comité interministériel que je viens de présider est le premier depuis quatre ans, ces mesures de janvier, comme les précédentes, sont le fruit d’un travail interministériel de qualité. Il y a d’ailleurs depuis des années un Délégué interministériel pour assurer cette tâche.
Des mesures courageuses ont été prises. Je pense par exemple à l’interdiction des oreillettes ou des écouteurs au volant, en vigueur depuis le 1er juillet. Ou encore à la mesure ciblant l’abus d’alcool des conducteurs novices : leur alcoolémie maximale est aujourd’hui fixée à 0,2 gramme par litre. Enfin, les mesures contre les excès de vitesse, avec l’installation d’un nouveau type de radar, le radar autonome.
19 mesures sont déjà en vigueur. 4 le seront d’ici à la fin de l’année. Les 3 dernières demandent plus de temps : possibilité donnée aux maires d’instaurer une limite à 30 km/h en milieu urbain ; évolution de la signalisation ; test salivaire pour déceler les stupéfiants. Cette dernière mesure, chère Marisol TOURAINE, intégrée au projet de loi Santé, a été votée en première lecture au Sénat. Elle doit désormais être adoptée très vite.
Ce plan n’a pas pu encore produire tous ses effets, mais les mauvais chiffres de cet été – 695 personnes tuées sur les routes – exigeaient, nous l’avions annoncé avec le ministre de l’Intérieur, qui m’a proposé la tenue d’un Comité interministériel, de prendre de nouvelles mesures fortes, ce que nous avons fait aujourd’hui.
La méthode qui prime depuis maintenant plusieurs années a été respectée, à savoir : favoriser, avant toute décision, le débat dans une enceinte ouverte et délibérative, le Conseil national de la sécurité routière, qui associe de nombreux experts et associations et que j’ai réactivé quand j’étais ministre de l’Intérieur. Je me félicite ainsi que son président, le député Armand JUNG, ait participé ce matin, en compagnie de tous les ministres qui m’entourent, à notre séance de travail. Ses analyses, celles de l’ensemble du Conseil national de la sécurité routière, ont largement contribué à arrêter les mesures que vous avez dans le dossier de presse et que je vais vous présenter.
Ces mesures – 22, auxquelles s’ajoutent 33 mesures plus spécifiques, plus techniques – concernent tous les conducteurs français ou étrangers et tous les véhicules qui empruntent nos routes.
L’objectif n’a pas changé, je l’ai fixé quand j’étais ministre de l’Intérieur. Il est particulièrement ambitieux, car dans ce domaine-là, il faut l’être : moins de 2 000 personnes tuées sur les routes en 2020, c’est-à-dire réduire la mortalité routière de moitié par rapport à son niveau de 2010.
Deux remarques cependant, parce que là aussi nous devons la clarté, la transparence et la vérité aux Français. Quand on atteint un tel niveau, celui que nous avons atteint en 2013, il est beaucoup plus difficile, pour des raisons de palier que chacun peut comprendre, de diviser par deux un chiffre qui était, 15, 20 ans ou 30 ans auparavant, bien plus important. Puis, deuxième remarque : nous ne sommes plus à un moment où une seule mesure – je pense à l’obligation du port de la ceinture, au permis à points ou à l’installation de radars – peut constituer l’alpha et l’oméga pour faire diminuer le nombre de morts. Il faut une stratégie avec différentes cibles et avec des principes. Les mesures arrêtées suivent précisément quatre grands principes.
D’abord, intensifier la lutte contre les comportements dangereux. Cela implique de revoir en profondeur et sur plusieurs années notre stratégie de contrôle automatisé de la vitesse par radar. C’est le bon moment pour agir. Le parc de radars installés arrive en fin de vie et sera complètement renouvelé au cours des prochaines années. Il ne faut pas se contenter des implantations actuelles ; elles sont, vous le savez – et la presse d’ailleurs y participe – désormais trop connues des automobilistes. Il faut déployer des radars de nouvelle génération pour, à terme, détecter une plus grande variété d’infractions : franchissements de ligne continue, interdictions de tourner non respectées, dépassements interdits voire, sur certaines portions, respect des distances de sécurité.
Dès le mois de janvier, nous avions décidé d’installer les radars double face. Nous allons aujourd’hui plus loin en créant notamment des dispositifs de leurre, comme cela se pratique au Royaume-Uni ou en Suisse. Les radars seront ainsi toujours annoncés par des panneaux d’avertissement – cette règle appliquée depuis douze ans n’est pas remise en cause. Mais la présence d’un panneau ne signifiera pas toujours qu’il y a un radar. Il pourra très bien n’y avoir aucun radar installé, ou bien une réplique vide. Ceci nous permettra de multiplier par quatre les zones de contrôle sécurisées. C’est tout à fait considérable ! La position des radars pourra varier en fonction de l’accidentologie constatée.
Je précise que le plafond du nombre d’appareils installés sera relevé pour atteindre 4 700 dans trois ans contre 4 200 aujourd’hui, ce qui permettra d’accompagner les radars multi-infractions, dont l’emplacement souhaitable en termes de sécurité routière peut différer des tronçons de sécurisation pour seul excès de vitesse.
Nous allons aussi utiliser davantage les radars mobiles embarqués dans des véhicules, dont le niveau d’utilisation est trop faible. Ils seront désormais opérés par des prestataires agrées, pour libérer les policiers et les gendarmes sur des missions de patrouille ou de police judiciaire. Les employer sur des missions de contrôle embarqué n’apporte aucune plus-value.
Enfin, nous expérimenterons le recours aux drones pour détecter les conduites à risques.
La lutte contre les comportements dangereux, c’est aussi la lutte contre la conduite en état d’ivresse ou sous l’emprise de stupéfiants – je vous ai rappelé les chiffres. Le recours aux éthylotests anti-démarrage reste trop faible. Nous avons fait un effort pour multiplier le nombre d’installateurs agréés. Trente-sept départements sont désormais couverts, tous doivent l’être dans les six prochains mois. Les magistrats pourront ainsi imposer l’installation de ce dispositif plus facilement. Les préfets pourront également, dans le cas d’une suspension ou d’un retrait de permis pour alcoolémie, conditionner la restitution du permis à l’installation de cet appareil.
Les contrôles de l’usage de stupéfiants au volant seront simplifiés. La prise de sang sera ainsi remplacée par un second test salivaire, en plus de celui que j’ai évoqué il y a un instant, que les officiers de police judiciaire pourront mettre en œuvre sans que cela requière une réquisition du parquet.
Deuxième principe : la protection des usagers vulnérables. Nous avons décidé – c’est un point très important – de mieux protéger les usagers de deux-roues. Avec 24 % des tués sur les routes pour 2 % du kilométrage parcouru, ils payent le plus lourd tribut.
Ces usagers n’ont pourtant fait l’objet d’aucune mesure spécifique de protection depuis 1973 et l’obligation du port du casque.
Plusieurs des mesures adoptées aujourd’hui ciblent donc directement leur sécurité. Ils devront ainsi effectuer un contrôle technique quand ils revendent leur deux-roues. Une mesure de bon sens qui existe, vous le savez, pour les voitures depuis 1992.
L’apprentissage de la conduite de moto de grosse cylindrée se fera de manière progressive.
Les motards devront porter des gants homologués. Cela permettra de prévenir des blessures particulièrement graves.
Les enfants de moins de 12 ans seront, quant à eux, obligé de porter un casque lorsqu’ils font du vélo.
Nous voulons enfin mieux accompagner – la garde des Sceaux y est longuement revenue à l’occasion de notre comité interministériel – les victimes des accidents et leurs proches, pour ne pas ajouter la complexité bureaucratique à leur douleur.
Le troisième principe est de mettre un terme aux situations de « deux poids, deux mesures » en garantissant plus encore l’égalité de tous devant la loi.
Ceux qui conduisent des voitures de société ou de l’administration n’échapperont plus aux sanctions. Désormais, les organisations qui ne révèleront pas l’identité du conducteur en infraction seront redevables d’une amende de 650 euros.
Les véhicules étrangers qui roulent en France sortent eux aussi de l’impunité. Un permis à point virtuel sera créé et si les conducteurs perdent tous leurs points, ils se verront interdits de conduire sur le territoire. Si cette interdiction est contournée, le véhicule sera saisi.
Faire que les règles s’appliquent à tous, c’est assurer qu’elles sont acceptées de tous et respectées par tous.
Enfin, dernier principe : ouvrir davantage la sécurité routière aux technologies numériques – et je sais que le président JUNG y tient tout particulièrement.
Les nouveaux systèmes d’information, le big data, les évolutions technologiques et industrielles vont nous permettre d’améliorer l’étude des causes des accidents et donc d’ajuster les réponses que nous apportons et les moyens mis à disposition des usagers pour que les comportements à risque cessent.
Un dispositif qui contiendra l’ensemble des données publiques relatives aux limitations de vitesse et mis à jour en temps réel sera progressivement créé. Ces données seront libres de droit et d’utilisation. Et une telle base de données facilitera le développement de dispositifs d’aide à la conduite et, là aussi, le respect des règles.
Mesdames, messieurs,
Nous prenons aujourd’hui les mesures qui s’imposent. Car jamais nous ne devons nous résigner à la mortalité sur les routes.
Le sujet est bien trop grave – ce sont plusieurs tués, 9 à 10, par jour – et il charrie tant de drames, tant de souffrance, sans relâche. Pouvoirs publics, et je pense bien sûr au rôle de notre école, associations, dont je salue l’action, usagers, citoyens, au nom même de cette responsabilité que j’évoquais, doivent se mobiliser pour sensibiliser, convaincre, pour que les comportements au volant changent et changent durablement.
Nous savons, et nous l’assumons, que certaines mesures ne sont pas populaires, notamment pour tout ce qui touche aux radars. Certains Français nous reprochent de les priver de leur liberté. Mais se tuer, ou tuer d’autres sur la route n’est pas une liberté.
Et je n’aime pas cette mise en cause malsaine des radars qui ne seraient là que pour alimenter les caisses de l’Etat. Je vous rappelle que le produit des radars est de l’ordre de 600 millions d’euros, qui se divise en trois tiers : pour la rénovation, l’entretien des radars ; pour l’AFITF, ce qui permet aussi d’engager la rénovation de notre réseau routier ; et le dernier tiers pour les collectivités territoriales. N’alimentons pas ce débat malsain. Nous avons une seule préoccupation : réduire le nombre de morts sur les routes. Et je garantis que l’installation et l’emploi de ces radars seront exclusivement guidés par des préoccupations de sécurité routière.
Ce message de fermeté est aujourd’hui plus que jamais nécessaire, car il est inacceptable que des vies soient brisées alors qu’on peut l’éviter.
Par ailleurs, même si le renouvellement de la stratégie radar vise à faire respecter effectivement le 90 km/h – et c’est tout de même cela la priorité : faire respecter ce qui existe déjà –, il faudra bien sûr évaluer attentivement les résultats de l’expérimentation du 80 km/h maximal sur les routes départementales, menée dans trois départements.
Un nouveau comité interministériel se tiendra dans un an. Il nous permettra de faire le point, de mieux agir s’il le faut, d’ajuster, en lien avec le Conseil national de la sécurité routière. C’est ainsi que nous atteindrons notre objectif. Et c’est ainsi que nous sauverons des vies, encore plus de vies, et toujours plus de vies.
Je vous remercie, mesdames et messieurs.
Discours du 2 octobre 2015, Comité interministériel de la sécurité routière